mardi 18 avril 2006

La loi économie numérique applicable aux voyagistes ? (ou quand une loi laisse place au doute)

La loi n° 2006-437 du 14 avril 2006 portant diverses dispositions relatives au tourisme vient de procéder à une modification du Code du tourisme. Selon l'article 9 de ce texte, l'article L. 211-1 du Code du tourisme est complété par un nouvel alinéa :

Les titulaires des licence, agrément, autorisation et habilitation prévus par le présent titre peuvent réaliser sous forme électronique les opérations mentionnées aux alinéas précédents dans les conditions prévues par le présent titre et par les articles 1369-1 et 1369-3 du Code civil ainsi que par les articles L. 121-15-1 à L. 121-15-3 du Code de la consommation, par la section 2 du chapitre Ier du titre II du livre Ier et par l'article L. 134-2 du même code.


Cet article avait été introduit, en octobre 2005 et en cours de débat parlementaire, à l'initiative de la Commission des affaires économiques du Sénat, sur avis favorable du Gouvernement. Il avait pour objet de "mentionner dans le code du tourisme, pour la vente de voyages à distance, les dispositions pertinentes relatives au commerce électronique, issues pour l'essentiel de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique".

En particulier, et comme le précise le rapport parlementaire de l'Assemblée nationale, lors de l'examen en deuxième lecture:

L'application des règles du commerce électronique conduit en particulier à appliquer aux vendeurs en ligne les règles de responsabilité civile prévue par l'article 15 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, lui-même inspiré des dispositions en vigueur pour la vente de voyages, établies initialement par la loi n° 92-645 du 13 juillet 1992 fixant les conditions d'exercice des activités relatives à l'organisation et à la vente de voyages ou de séjour, et reprises désormais par l'article L. 211-17 du code du tourisme.


Cet ajout à l'article L. 211-1 du Code du tourisme nécessite plusieurs précisions.

Tout d'abord, il vise expressément :
- l'article 1369-1 du Code civil qui prévoit la possibilité d'utiliser la voie électronique pour la mise à disposition des conditions contractuelles ou des informations sur des biens ou services ;
- l'article 1369-3 du Code civil concernant l'envoi par voie de courrier électronique des informations à un professionnel (sic!) dès lors que celui-ci a communiqué son adresse électronique ;
- les articles L. 121-15-1 à L. 121-15-3 du Code de la consommation qui encadrent les publicités réalisées par voie électronique ;
- la section 2 du chapitre Ier du titre II du livre Ier du Code de la consommation qui concerne la vente à distance ;
- l'article L. 134-2 du Code de la consommation en matière d'archivage des contrats de consommation conclus par voie électronique.

Cette énumération à la Prévert laisse un goût très amer.

1/ Les articles du Code civil visés par la loi du 14 avril 2006 ont été renumérotés par l'ordonnance du 16 juin 2005. En pratique, la loi "tourisme" vise donc des dispositions qui n'ont pas été introduites par la loi "économie numérique". Pire, elle vise des dispositions en marge du souhait de protection du consommateur.

En particulier, la référence à l'article 1369-3 du Code civil qui vise l'envoi d'informations à des professionnels semble totalement en décalage. Il aurait sans doute été nécessaire d'avoir un peignage législatif en la matière afin de viser les (bons) articles 1369-4 et 1369-6 du Code civil.

2/ La loi "tourisme" énumère un certain nombre de dispositions tout en oubliant d'autres essentielles. Est-ce à dire que celles-ci ne sont pas applicables aux contrats conclus en ligne avec des voyagistes ?

Il s'agit notamment des dispositions autonomes prévues par la loi "économie numérique" en matière d'informations précontractuelles (article 19 LCEN) ou en matière d'adaptation de la réglementation pour les contrats conclus à l'aide de terminaux mobiles (article 28). Il s'agit aussi des dispositions du Code civil relatives au double clic (1369-5).

Vis-à-vis du Code de la consommation, de nombreuses dispositions ne sont pas visées comme celles sur l'information des consommateurs (articles L. 111-1 et suivants), en matière de publicité mensongère ou de clauses abusives (qui pourtant a vocation à s'appliquer aux voyagistes en ligne comme on l'abordera prochainement).

Face à cette dernière interrogation, il faut relever que si certaines dispositions d'ordre public ne sont pas citées, il est évident qu'elles demeureront applicables. A l'inverse, celles n'ayant pas la "force" d'une disposition d'ordre public pourront-elles être écartées par les voyagistes en ligne ? On peut penser à l'article 1369-5 en matière de double clic.

En outre, et en guise de clarification, l'insertion des dispositions de l'article L. 121-20-3 du Code de la consommation (qui prévoit la responsabilité de plein droit du cybermarchand) ne règle pas le problème - et en particulièrement l'interrogation essentielle - de savoir si l'exonération de responsabilité prévue à l'article L. 211-18 du Code de tourisme au profit des vendeurs de vols secs est applicable aux contrats conclus en ligne.

De manière classique, il est possible d'interpréter les dispositions de l'article L. 121-20-3 du Code de la consommation comme rendant responsables de plein droit tous les acteurs du commerce électronique. L'exonération "générale" applicable "spécifiquement" aux vendeurs de vols secs ne serait pas opposable au motif que l'article L. 121-20-3 du Code de la consommation est d'ordre public.

En intégrant une référence à cette disposition du Code de la consommation en entête du chapitre concernant les voyagistes, certains acteurs pourraient interpréter l’exception prévue à l'article L. 211-18 comme également applicable aux vendeurs de vols secs par voie électronique. Pour aller dans le sens d’une telle interprétation, un juge a récemment estimé que l’article L. 211-17 du Code du tourisme (et donc son exception prévue à l'article L. 211-18 ?) pose des principes provenant "d’une loi d’ordre public". L’ensemble de ces éléments ne pourrait-il pas militer en faveur d’une sortie des cybervendeurs de vols secs du champ de l’article L. 121-20-3 ?

En pratique, le texte législatif commet une double erreur : il énumère des textes anciens et surtout, fait cette énumération de manière partielle laissant entrevoir une sorte de secteur "d'exception" pour lequel toutes les dispositions ne seraient pas applicables.

Alors que le texte se voulait une clarification, il apparaît clairement qu'il s'agit d'une disposition inutile et créant un plus grande confusion et inintelligibilité. Cela ne va pas sans, hélas, rappeler une disposition de la loi du 26 février 2005.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour, article très intéressant, posant les bonnes questions. Cette loi n'apporte pas de réponses aux interrogations déjà existantes, elle ne fait en effet qu'en rajouter.

Juste une demande de précision :
"Pour aller dans le sens d’une telle interprétation, un juge a récemment estimé que l’article L. 211-17 du Code du tourisme (et donc son exception prévue à l'article L. 211-18 ?) pose des principes provenant "d’une loi d’ordre public". "

Peut-on avoir la référence du jugement?

Merci, bonne continuation

Benoit Tabaka a dit…

Une petite analyse du jugement en question sera publiée demain. Je sais, c'est du teasing :-)

Plus sérieusement, il s'agit d'un jugement du Tribunal de grande instance de Bobigny du 21 mars 2006.

Anonyme a dit…

Bonjour, je viens de découvrir votre blog, vraiment très intéressant et, en tout cas pour moi qui ne suis l'évolution du droit qu'en qualité d'amateur, très pointu... Petite question: sur quoi se base t'on pour affirmer que l'article L. 121-20-3 du Code de la consommation est d'ordre public ?

Si vous pouviez m'éclairer...

Stéphane

Benoit Tabaka a dit…

C'est l'article L121-20-16 qui permet d'affirmer cela. Il précise que les dispositions de la section sont d'ordre public.