mardi 28 décembre 2010

Condamnation prononcée à l'encontre d'un internaute ayant usé d'adresses email trompeuses

Depuis plusieurs années, un litige opposait un particulier (Laurent X) au maire de la commune de Marignier et Conseiller Général du département de la Haute-Savoie, portant sur l'achat par cette collectivité locale d'une parcelle de terrain qui appartenait à la mère du particulier, destinée à l'aménagement d'une piste cyclable. Une promesse de vente était signée, mais le tracé initial permettant l'accès aux terrains dont ce dernier revendique la jouissance et sur lesquels il entend développer une entreprise de photographie aérienne n'aurait pas été respecté. Le particulier estimait alors qu'en l'absence de droit de passage son activité se retrouve enclavée et qu'il a subi un important préjudice financier.

Seulement, ce litige dégénéra progressivement en rancoeur personnelle contre le maire de la commune de Marignier. Une première condamnation était prononcée le 30 avril 2009 par la Cour d'appel de Chambery pour violences avec préméditation.

Une nouvelle plainte était déposée le 29 mars 2009 par le premier magistrat au motif que sous couvert de son identité des renseignements avaient été sollicités par internet auprès du responsable des activités foncières auprès de la société d'équipement du département de Haute-Savoie (SEDHS), en charge du dossier de la piste cyclable.

Les investigations établissaient qu'un individu utilisait l'adresse mail libellée cabinet.mudry@orange.fr pour envoyer des messages signés 'Raymond Mdry' et l'adresse mail gendarme4@orange.fr pour envoyer des messages au directeur des systèmes d'information au conseil général de la Haute-Savoie. Ces messages avaient pour but de soutirer des informations confidentielles destinées à alimenter le litige qui l'oppose aux élus depuis de nombreuses années.

Les réquisitions opérées par l'enquêteur spécialisé en nouvelles technologies permettaient d'identifier le particulier comme étant le créateur puis l'utilisateur de ces adresses électroniques. Le prévenu placé en garde à vue reconnaissait ensuite que ces adresses lui appartenaient, qu'il était l'auteur des messages envoyés dans le seul souci de rechercher la vérité, et qu'il avait obtenu des documents qui concernaient le dossier foncier de sa mère. Lors de l'audience, il contestait les faits qui lui étaient reprochés.

La Cour d'appel de Chambéry appelée à traiter de ce litige relève que le particulier "a créé deux adresses électroniques aux fins de tromper les destinataires de ses messages en leur faisant croire qu'ils étaient sollicités par le cabinet du maire de MARIGNIER ou par la gendarmerie de cette commune".

Qu'en la matière, "c'est par l'emploi de ces manoeuvres frauduleuses qu'il a ainsi obtenu du responsable des activités foncières à la SEDHS et du directeur des systèmes d'information au conseil général de la Haute-Savoie, des informations et des documents confidentiels destinés à alimenter le litige qu'il entretient avec la collectivité territoriale. C'est ainsi que par message du 25 mars 2009 il sollicitait sous couvert d'une adresse au nom du cabinet du maire de Marignier des informations qui lui étaient retournées par message en date du 26 mars 2009, accompagné de pièces jointes".

Les magistrats font alors application de l'article 313-1 du Code pénal. Cet article prévoit que :
"L'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manoeuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge."
Pour la Cour d'appel, il est établi que "par des manoeuvres frauduleuses, en l'espèce un stratagème informatique, le prévenu s'est fait remettre un bien quelconque, en l'espèce un document contenant des informations confidentielles et des pièces extraites d'un dossier administratif, à savoir un courrier et une promesse de vente".

Dans ces conditions, le délit d'escroquerie est bien caractérisé et la Cour d'appel de Chambéry a confirmé la condamnation pénale à six mois d'emprisonnement dont 5 mois avec sursis.

Source : CA Chambery, 25/11/2010, Laurent X c/ Ministère public, Société d'équipement du département de la Haute-Savoie et a. (inédit)

lundi 27 décembre 2010

Quand le juge joue le père fouettard avec le Père-Noel.fr

Le Père-Noel existe. Je l'ai rencontré. C'était en 2000 et c'était sur internet. A l'époque, deux frères créaient un site internet au nom évocateur : pere-noel.fr. Des cadeaux par milliers ? Non, mais des problèmes  oui et le Tribunal de Saint-Etienne qui a eu l'occasion d'hériter d'un très grand nombre de dossiers doit encore s'en souvenir.

Difficile de résumer ce feuilleton judiciaire. Peut être que le mieux est un lien vers un article écrit par Cédric Manara sur "Les risques juridiques liés à internet, chantés par Tino Rossi" (Juriscom.net).

Comme tout bon remix, quelques couplets supplémentaires pourraient être ajoutés au refrain. Cette fois-ci, c'est la Cour d'appel de Lyon qui le 3 décembre 2010 a délivré son cadeau dans les chaussons des anciens dirigeants de la société. L'enjeu de l'affaire n'était pas neutre : devait-on faire supporter par les anciens dirigeants la dette de la société en vertu d'une faute d'une gestion qui serait alors reconnue ?

En effet, le liquidateur des deux sociétés (sociétés PERE-NOEL et IPSEH qui s'occupait de la partie logistique) avait décidé de faire usage des dispositions de l'article L. 624-3 du Code de commerce (dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005) qui prévoyaient que lorsque la liquidation judiciaire d'une personne fait apparaître une insuffisance d'actif le Tribunal peut en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif décider que les dettes de la personne morale seront supportées en tout ou partie par les dirigeants de droit ou de fait ou par certains d'entre eux.

Tout d'abord, le chiffre ! La procédure collecte a enregistré :
- pour la société PERE-NOEL une insuffisance d'actif de 12.862.948,35 euros
- pour la société IPSEH une insuffisance d'actif de 8.833.339 euros.

Ensuite, les fautes ?

La Cour d'appel relève que :
"depuis la constitution des de la société en 1999 la comptabilité de la société PERENOEL a été tenue de manière irrégulière et incomplète"
et surtout que :
"le défaut de tenue de comptabilité régulière et complète qui a contribué à l'aggravation du passif en raison de l'absence de connaissance de la situation réelle, était essentiellement imputable aux frères X mais qu'en sa qualité d'administrateur et de directeur général depuis le 15 juin 2001, puis de Président Directeur Général à compter du 25 octobre 2002 Thomas Y, devait aussi répondre des insuffisances de la comptabilité de l'entreprise et ce même si les commissaires aux comptes qui ont certifié sans réserves les comptes des exercices 2000 et 2001 et se sont abstenus de mettre en oeuvre la procédure d'alerte, ont manqué à leurs obligations"
Et puis, la Cour d'appel souligne:
"l'inadaptation totale du système mis en place par Alexandre X dans la société PERENOEL aux nécessités de la vente par correspondance générant un passif important en raison de nombreux litiges avec des clients qui ont payé mais n'ont pas été livrés de leurs commandes"
Côté IPSEH, les juges lyonnais relèvent que :
"cette société qui n'a pas tenu de comptabilité s'est aussi abstenue d'établir des déclarations de résultat et des déclarations de TVA ce qui a été à l'origine du passif".
Concernant la répartition de l'insuffisance d'actifs, "les premiers juges ont à bon droit retenu à l'encontre de Thomas Y des fautes dans la gestion de chacune des deux sociétés à l'origine de l'aggravation de l'insuffisance d'actif et estimé, qu'en considération de la gravité des fautes commises par Alexandre et Grégoire X fondateurs des deux sociétés qu'ils ont dirigées ou animées jusqu'en octobre 2002 et de l'inexpérience de Thomas Y et des efforts déployés par lui à compter d'octobre 2002, il convenait de prononcer à son encontre des sanctions pécuniaires très inférieures à celles prononcées à l'encontre des consorts X".

Les juges condamnent donc Thomas Y (qui avait été nommé DG puis PDG après la disparition des fondateurs) à supporter 40.000 euros au titre de l'insuffisance d'actifs des deux sociétés. Une insuffisance d'actif à hauteur de 4.530.000 euros est mise à la charge d'Alexandre X, Grégoire X et Thomas Y.

Source : CA Lyon, 03/12/2010, Thomas Y c/ Alexandre et Grégoire X, Me Patrick Dubois, agissant en qualité de liquidateur judiciaire des Stés PERE NOEL.FR et IPSEH (inédit).

lundi 20 décembre 2010

Le clic vaut acceptation des conditions générales de vente

Le 6 juin 2007, un internaute décide d'acquérir sur le site Promovacances.com un séjour pour deux personnes en Martinique avec un départ le 2 août 2007 et un retour le 16 août 2007 pour un montant total de 3195€. Le 25 juillet 2007, il adresse un courrier recommandé à la société Karavel aux termes duquel il demande, pour des raisons médicales impérieuses, le report à une date ultérieure du voyage. Le 28 juillet 2007, ils adressaient une seconde lettre à la société Karavel en demandant le report des dates du voyage. En l'absence de réponse, il décida de se rendre à l'aéroport le 2 août 2007 où l'embarquement leur a été refusé au motif de l'annulation de leur réservation.

L'internaute décida donc de saisir le Tribunal d'instance de Paris 10e afin d'obtenir l'indemnisation de leur préjudice. Le tribunal, par un jugement en date du 5 novembre 2008, fit droit à leurs demandes et leur attribua la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts et 1200 euros au titre de l'article 700 CPC.

En effet, le tribunal estima que "la demande de report de la date du voyage telle que faite dans un délai très bref ne donne pas lieu contractuellement à remboursement et que, dans ce cas, le voyagiste n'est pas en droit de se considérer comme libéré de son obligation de fournir les prestations liées au voyage payé, le client bénéficiant donc toujours du voyage à la date initialement prévue".

Le voyagiste décida d'interjeter appel de ce jugement en se fondant sur les conditions générales de vente où "selon l'article 3 des conditions d'annulation ou de modification, la modification de la date de départ a pour conséquence l'annulation de la réservation et entraîne la perception de frais d'annulation". Le débat, en appel, a donc porté sur l'opposabilité de cette clause aux consommateurs.

Les juges parisiens relèvent que :
"la commande a été réalisée via Internet ; que dans le bon de commande, figure la mention suivante, claire, au mode impératif et détachée du reste du texte : 'n'oubliez pas de prendre connaissance des conditions générales de vente ' et suit un lien hypertexte souligné ; qu'en cliquant sur ce lien, on parvient aux conditions générales de vente qui prévoient sous la rubrique Annulation/Modification à l'initiative du client' en son article 3.2 ' Attention : une modification de la date de départ a pour conséquence une annulation de la réservation. Par conséquent, cette modification entraînera la perception de frais d'annulation tels que prévus à l'article 3.1...' ; qu'en l'espèce, l'annulation étant intervenue moins de 7 jours avant le départ, les frais d'annulation s'élèvent à 100% du prix payé"
Et que surtout :
"lors de l'achat, le 'clic' de fin de commande valide les conditions générales de vente"

Dans ces conditions, les consommateurs "ne peuvent ainsi sérieusement soutenir qu'ils n'avaient pas
approuvé les conditions générales de vente".

La Cour d'appel de Paris infirme donc le jugement de première instance et condamne les époux à restituer les sommes versées par la société Karavel à la suite du jugement de première instance.

A noter que cette question de l'acceptation des conditions générales s'était déjà posée dans plusieurs affaires. Le TGI de Bobigny, dans un dossier opposant la société LastMinute à UFC Que Choisir avait estimé que
"s’il est exact que la communication des conditions générales de vente est réalisée à la fin du processus de commande, pour autant, il est exact que le client ne peut s’engager de façon irrévocable qu’après avoir coché la case qui lui fait obligation de prendre connaissance au préalable desdites conditions. Comme l’indique le voyagiste, il appartient donc au consommateur de prendre connaissance de ces conditions et aucun système ne pourra garantir leur lecture effective".
Et le tribunal invitait donc le voyagiste "à présenter ses conditions générales de vente de façon claire, accessible et préalable au choix du consommateur".

Ainsi, une nouvelle fois, un juge rappelle que s'il appartient au cyber-marchand de prévoir un mécanisme d'acceptation des conditions générales, et ceci de manière claire, accessible et préalable, il n'appartient jamais au cyber-marchand de s'assurer que le consommateur ait effectivement pris connaissance desdites conditions générales.

Source : CA Paris, 25/11/2010, SAS Karavel c/ X. (inédit)

jeudi 16 décembre 2010

Banque en ligne : Natixis condamnée pour manquement à son obligation de sécurité

L'affaire est très intéressante car elle a le mérite de rappeler et de préciser les obligations à la charge du banquier en matière d'accès et de gestion de ses comptes par l'internet du site internet de la banque.

En l'espèce, un agent de la RATP avait constitué au cours de plusieurs années une épargne salariale par l'intermédiaire d'un compte d'épargne salariale "Tick Epargne" administré par une convention conclue entre son employeur et Natixis. Le 15 septembre 2006, elle constate un débit de la somme de 13.244,85 euros de son compte épargne temps au profit du compte bancaire de son époux avec lequel elle était en instance de divorce.

La titulaire du compte décida donc de saisir la justice à l'encontre de la banque afin d'obtenir le remboursement de la somme débitée sans son accord par son époux. Par jugement en date du 10 février 2009, le Tribunal d'instance d'Asnières déboutait la titulaire du compte de l'ensemble de ses demandes et la condamnait à verser à Natixis 400 euros au titre de l'article 700. Elle décida de faire appel.

Devant la Cour d'appel de Versailles, les magistrats ont une analyse différente du dossier. Tout d'abord, les magistrats écartent l'application de l'article 1421 du Code civil permettant à chacun des époux communs en biens d'administrer les biens communs. Cet article était invoqué par Natixis et permettait ainsi de considérer que l'ordre de virement avait toutes les apparences d'un ordre donné par le titulaire du compte ou du moins avec son accord.

Seulement, pour la Cour d'appel de Versailles, "le devoir de non-immixtion du banquier dans les affaires de ses clients n'est pas ici en cause, Mme X fondant son action non sur la violation par la société NATIXIS d'un devoir de contrôle ou de mise en garde, mais sur celle de l'obligation de sécurité due par toute banque imposant à ses clients la gestion informatique sur 'internet' de leurs comptes".

Et la Cour d'appel n'hésite pas. Elle rappelle ainsi que :
"dans un premier temps, l'épargnant qui souhaitait consulter en ligne ses comptes sur le site internet de la société intimée pouvait accéder à son espace sécurisé en saisissant ses identifiants tels que le numéro d'entreprise et le code serveur qui étaient mentionnés sur les relevés adressés à titre personnel au titulaire ; qu'ensuite, l'utilisateur devait nécessairement, s'il voulait effectuer une opération, utiliser un mot de passe ; qu'ainsi la réalisation de toute opération telle que demande de remboursement d'avoirs disponibles ou demandes de transfert, requéraient l'utilisation par l'épargnant du mot de passe, qu'on lui laissait créer lui-même lors de sa première connexion".

Ainsi, pour les juges "l'utilisation du compte épargne entreprise à l'insu de la titulaire, notamment par son époux, avec lequel elle était alors en instance de divorce, restait alors possible, tout tiers suffisamment proche de Mme X pour entrer en possession de ses relevés de compte n'ayant qu'à créer lui-même un premier mot de passe pour se rendre maître des sommes non bloquées qui étaient déposées sur ce dernier".

Par ailleurs, les magistrats relèvent que "la modification apportée à la procédure à compter du 3 novembre 2006 consistait à rendre obligatoire y compris pour la consultation des comptes, l'utilisation du mot de passe personnel, lequel ne pouvait plus être créé à sa guise par le titulaire, mais était communiqué par la banque au titulaire du compte par courrier séparé de celui portant le code identifiant ; que c'est la banque qui crée maintenant le mot de passe d'origine, que le client modifie ensuite s'il le veut".

Ainsi, la Cour d'appel en déduit que "l'intervention de cette modification démontre que la société NATIXIS INTEREPARGNE avait bien conscience de ce que dans une première période de gestion en ligne des comptes individuels de ses clients, elle ne remplissait pas totalement son obligation de sécurité et donc de sécurisation des opérations de gestion informatique de ces comptes".

La Cour d'appel de Versailles condamne donc la banque à rembourser à la titulaire du compte la moitié des sommes débitées frauduleusement par son époux (correspondant à la hauteur des sommes lui revenant à l'issue de la procédure de divorce) ainsi que 1.500 euros au titre de l'article 700 CPC.

Source : CA Versailles, 18 novembre 2010, X c/ SA NATIXIS INTEREPARGNE (inédit)

mercredi 15 décembre 2010

Fraude à la carte bancaire, petit panorama judiciaire

Il est rare, excessivement rare même, que des cybermarchands évoquent en 2010 (enfin presque 2011) les problématiques de fraude à la carte bancaire. Pourquoi ? Non pas que c'est une honte que la famille marchande tente de dissimuler sous un tapis, mais tout simplement parce que le secteur demeure marqué voire traumatisé par le traitement médiatique des problématiques de fraude à la carte bancaire.

Rappelons quelques principes. La carte bancaire est un outil de paiement "face à face". En effet, le système de protection et d'authentification du porteur de la carte passe par la saisie du fameux code confidentiel à 4 chiffres demandé lors d'un tel paiement en face à face.

Sur internet, cette méthode d'authentification n'a jamais pu être réellement reproduite. La première étape a donc été de demander aux consommateurs de saisir le cryptogramme visuel (appelé également CVV ou CVV2), les fameux 3 derniers chiffres qui figurent au dos de la carte (ou les 4 qui figurent sur le recto des American Express). L'objectif était simple : s'assurer que la personne qui paye a bien en sa possession la carte "physique" et pas seulement les 16 chiffres et la date de validité de la carte bancaire.

Malgré cette protection, des fraudes à la carte bancaire continuent de toucher le secteur du commerce électronique. Selon le dernier rapport de l'Observatoire de la sécurité des cartes de paiement, en 2009, la fraude à la carte bancaire dans le domaine du commerce électronique s'établissait à 0,263% soit environ 52 millions d'euros.

Mais derrière ces 52 millions d'euros de fraude à la carte bancaire, la victime n'est pas le consommateur ou plus exactement le porteur de la carte, mais bien le cybermarchand. En effet, en cas de constat d'un débit frauduleux sur le compte bancaire effectué au moyen des données de sa carte bancaire, le porteur de la carte a la possibilité de répudier le paiement frauduleux. Sa banque le remboursera. Néanmoins, la banque se retournera vers le marchand et débitera son compte du montant correspondant. Il reviendra au cybermarchand le soin de se retourner contre le fraudeur pour tenter d'obtenir une indemnisation pour la perte subie.

Après certains cybermarchands agissent. C'est le cas de PriceMinister. Depuis maintenant 5 années, le principe en matière de fraude à la carte bancaire est plutôt simple : tolérance zéro. Ainsi, en l'absence de recouvrement amiable des sommes, une action pénale sera lancée à l'encontre du ou des fraudeurs avec deux objectifs : obtenir une condamnation du prévenu sur le terrain de l'escroquerie et une condamnation au remboursement de l'ensemble du préjudice subi.

Petit panorama de quelques décisions pénales que nous avons reçu récemment :

  • Tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse, 17 mars 2010 : 2 et 4 mois de prison avec sursis pour les deux prévenus et remboursement du préjudice subi par PriceMinister (80€)
  • Tribunal correctionnel de Toulouse, 6 juillet 2010 : de 1 à 4 ans d'emprisonnement ferme et obligation de procéder au remboursement du préjudice subi par PriceMinister (660,40€)
  • Tribunal correctionnel de Chaumont, 20 juillet 2010 : 6 mois de prison ferme et obligation de procéder au remboursement du préjudice subi par PriceMinister (126,55€)
  • Tribunal correctionnel de Sens, 26 août 2010 : 4 mois de prison ferme et obligation de procéder au remboursement du préjudice subi par PriceMinister (882,87 €)
  • Tribunal correctionnel de Versailles, 14 septembre 2010 : 12 mois de prison ferme et obligation de procéder au remboursement du préjudice subi par PriceMinister (555,90 €)
  • Tribunal correctionnel de Lyon (CRPC), 15 octobre 2010 : 8 mois de prison avec sursis et obligation de procéder au remboursement du préjudice subi par PriceMinister (109,40 €)
  • Tribunal correctionnel de Lons-le-Saulnier (CRPC), 29 octobre 2010 : 2 mois de prison avec sursis et obligation de procéder au remboursement du préjudice subi par PriceMinister (376,84 €)


Enfin, on peut citer cette affaire jugée par le Tribunal correctionnel de Paris le 24 juin 2010. Intéressante, car elle a montré comment on a pu sur un dossier nouer une coopération entre un cybermarchand et les équipes de lutte contre les cyber-escroqueries de l'OCLCTIC.

Tout commence un matin quand les équipes de lutte contre la fraude de PriceMinister découvrent que plusieurs acheteurs (une trentaine) ont acheté des produits auprès d'un même vendeur. L'analyse du compte laisse apparaître qu'acheteurs et vendeurs sont la même personne et qu'un fraudeur tente de "blanchir" des numéros de cartes bancaires en essayant de récupérer de l'argent liquide en faisant de fausses transactions. Dès la découverte, et au regard des sommes en jeu (environ 10.000 €), ces éléments sont remontés aux équipes de lutte contre les cyber-escroqueries de l'OCLCTIC. Le lendemain matin, moins de 48h après les faits, l'un des auteurs des faits est interpellé à son domicile. 

L'enquête démontrera l'utilisation de l'identité de 32 personnes différentes et de leurs numéros de carte bancaire. Compte tenu du blocage de ces transactions par PriceMinister, les magistrats ont condamné les deux auteurs des faits sur le terrain de la tentative d'escroquerie à 500 et 800 euros d'amende et au paiement de dommages et intérêts à PriceMinister. 

A ce jour, nous avons encore une trentaine de jugements qui doivent nous être délivrés.

mardi 14 décembre 2010

La contamination par un virus du réseau de l'employeur n'est pas une faute lourde mais une faute simple

Suite à la contamination du réseau informatique de l'entreprise par un virus, un salarié avait fait l'objet d'un licenciement pour faute lourde au motif que "la faute lourde résulte aussi de son abstention de prévenir son supérieur hiérarchique ou le service technique informatique lorsqu'il a vu arriver les premiers virus". Le salarié décida de contester cette sanction devant le Conseil de prud'hommes de Versailles qui requalifia la faute en "faute simple" par jugement en date du 3 novembre 2008.

L'employeur fit appel de ce jugement. Le salarié, de son côté, contestait être à l'origine de la contamination du réseau informatique de son employeur.

La Cour d'appel de Versailles relève que "la lettre de licenciement du 26 septembre 2003 vise la détérioration du système informatique de la société, le 26 août 2003, suite à une très importante invasion de virus le mettant hors d'usage, les ingénieurs réseau ayant déterminé que la cause provenait de l'accès sur internet à des sites à caractère pornographique par l'un des salariés ; que les recherches ont déterminé que le virus provenait de la machine de Monsieur X. Il lui est encore reproché de s'être connecté à des sites prohibés pendant ses heures de travail, d'avoir infecté l'ensemble du réseau, de ne pas avoir utilisé un anti-virus adapté ou prévenu ses supérieurs hiérarchiques ou les professionnels pouvant remédier à cet accident".

En matière de preuve, les magistrats relèvent que "l'ensemble des pièces produites par la société ISD établissent la réalité des faits non contestés, à savoir l'utilisation de l'ordinateur professionnel pour consulter des sites à caractère pornographique, et la propagation d'un virus aboutissant à une diffusion anormale de messages à compter du 24 août 2003. L'origine de cette propagation est certaine grâce à l'identifiant qui permet de relier ces utilisations à l'ordinateur de Monsieur X. Des attestations provenant notamment du service informatique montrent que chaque utilisateur d'un ordinateur dispose d'un code d'accès personnel"

Pour autant, la Cour d'appel de Versailles rappelle les cas permettant à un employeur de licencier un salarié pour faute lourde :
"En droit, la faute lourde est celle commise par le salarié dans l'intention de nuire à son employeur ou à l'entreprise ; la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation délibérée des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis ; l'employeur doit rapporter la preuve de l'existence de cette faute grave, après l'avoir énoncée dans la lettre de licenciement, dont les termes fixent les limites du litige".

Les magistrats estiment donc que "les pièces ne permettent pas de caractériser l'intention de nuire du salarié, ses déclarations devant les services de police, confortées par le rapport d'audit de l'intervenant informatique, révélant au contraire que la propagation du virus s'est faite en quelques jours et que Monsieur X avait signalé au service informatique qu'il recevait un nombre anormal de messages".

Surtout, "le tableau récapitulatif produit par la société ISD concerne uniquement la période comprise entre juin et août 2003, et s'il confirme le taux de téléchargement élevé en provenance de l'ordinateur de Monsieur X, il révèle également l'existence de téléchargements postérieurs à sa mise à pied, et un taux de téléchargements élevés dans la société, y compris pendant les mois de juillet et août 2003, pendant lesquels Monsieur X était absent pendant plusieurs semaines"

Ainsi, pour la Cour d'appel de Versailles, "le conseil de prud'hommes de Versailles a fait une juste appréciation des faits en relevant qu'il n'était pas établi qu'il ait volontairement introduit un virus informatique dans l'intention de paralyser le réseau de l'entreprise ; que de bonne foi, s'agissant d'une entreprise de services informatiques, il a pu se croire à l'abri d'une telle infection et que la consultation de site internet sur le lieu de travail pendant les heures de travail, était de nature à constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement".

La Cour d'appel de Versailles confirme donc que le licenciement du salarié n'était pas justifié par une faute lourde mais par une cause réelle et sérieuse (une faute simple).

Source : CA Versailles, 23/11/2010, SAS Ingénierie Service Developpement c/ X (inédit)

lundi 13 décembre 2010

Vente liée de PC et logiciels - retour sur les décisions de la Cour de cassation

Les décisions sont intervenues le 15 novembre dernier. J'utilise le pluriel car ce n'est pas une mais deux arrêts que la Première chambre civile de la Cour de cassation a rendu ce jour là à propos de l'application de la réglementation française sur les ventes liées au cas de la commercialisation d'ordinateur contenant des logiciels préinstallés (comme par exemple le système d'exploitation Windows).

Le sujet du traitement juridique de cette question n'est pas nouveau puisque les premiers contentieux ont débuté au cours des années 2000. L'enjeu repose sur l'application d'un article du Code de la consommation, l'article L. 122-1 qui interdit les ventes dites "subordonnées", c'est à dire dans notre jargon d'internaute "michu", les ventes liées.

Le Code de la consommation prévoit ceci :
"Il est interdit de refuser à un consommateur la vente d'un produit ou la prestation d'un service, sauf motif légitime, et de subordonner la vente d'un produit à l'achat d'une quantité imposée ou à l'achat concomitant d'un autre produit ou d'un autre service ainsi que de subordonner la prestation d'un service à celle d'un autre service ou à l'achat d'un produit."

L'application de cette disposition a fait l'objet de plusieurs positions. Celle prise par le Ministère de la consommation dans une réponse ministérielle de 2005, mais également de nombreuses décisions principalement de juridiction de proximité.

Bien souvent l'interprétation - divergente - des juridictions du fond provenait d'une exception rappelée par la jurisprudence en matière de vente subordonnée : l'intérêt du consommateur. Ainsi, "lorsque la pratique commerciale présente un intérêt pour le consommateur", la vente n'est plus alors qualifiée de vente subordonnée. Et donc tout le débat portait sur le fait de savoir si un consommateur trouve un intérêt - au moins pratique - à avoir un ordinateur commercialisé avec des logiciels et notamment un système d'exploitation.

Sur ce dossier, deux affaires sont arrivées devant la Cour de cassation.

La première concernait l'acquisition le 6 décembre 2007 d'un ordinateur de marque Lenovo équipé de divers logiciels. En l'absence de toute possibilité d'obtenir le remboursement des logiciels, le consommateur assignait alors la société devant la juridiction de proximité de Tarascon. Le juge du fond refusait de faire droit à la demande au motif que "l'accord des parties s'est fait sur un type d'ordinateur complet et prêt à l'emploi et que le consommateur avait, l'acquisition effectuée, la possibilité de se faire rembourser les marchandises dans leur globalité". Ainsi, le magistrat refusait sur le fondement de l'article L.122-1 de sanctionner la pratique de vente liée.

Mais la Cour de cassation ne l'entend pas de la même oreille et casse le jugement de première instance. En effet, elle prend acte de tout le chamboulement que connaît actuellement une partie de la législation française protectrice du consommateur.

En effet, le droit français connaît plusieurs dispositions protectrices du consommateur qui ont pour effet de sanctionner purement et simplement telle ou telle pratique commerciale. C'est le cas de la vente liée, mais également de la vente avec prime ou de l'organisation de loteries payantes. Le droit communautaire n'a pas la même logique que le droit français et l'automatisme de la condamnation d'une pratique est plutôt rare.

C'est pourquoi, dans plusieurs contentieux, la Cour de justice de l'Union européenne a récemment - on peut le dire - mis une claque à certains principes de droit français en raison d'une incompatibilité de ce dernier avec la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur. En effet, dès lors qu'une "pratique commerciale" est en cause, l'analyse du cadre juridique applicable à ces pratiques commerciales doit obligatoirement s'analyser au regard des dispositions de la directive et non du droit français.

L'article 2 de la directive définit, en utilisant une formulation particulièrement large, la notion de "pratique commerciale" comme "toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs".

La CJUE a eu l'occasion de rappeler ainsi le 9 novembre 2010 (C-540/08, §21) que "la directive se caractérise par un champ d’application matériel particulièrement large s’étendant à toute pratique commerciale qui présente un lien direct avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs. Ne sont ainsi exclues dudit champ d’application, ainsi que cela ressort du sixième considérant de cette directive, que les législations nationales relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte «uniquement» aux intérêts économiques de concurrents ou qui concernent une transaction entre professionnels".

Surtout, le §30 de la décision de la CJUE poursuit en rappelant que "la directive procédant à une harmonisation complète des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, les États membres ne peuvent pas adopter, comme le prévoit expressément l’article 4 de celle-ci, des mesures plus restrictives que celles définies par ladite directive, même aux fins d’assurer un degré plus élevé de protection des consommateurs".

Sous-entendu, les législations nationales qui créent des interdictions "pures et simples" qui ne sont pas fixées dans la directive ... tombent. Et donc les pratiques précédemment condamnées doivent s'analyser au regard des principes posés dans la directive et notamment vérifier si la pratique en cause "altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu'elle touche ou auquel elle s'adresse, ou du membre moyen du groupe lorsqu'une pratique commerciale est ciblée vers un groupe particulier de consommateurs".

Concernant la vente liée, la Cour de cassation reprend à son compte cette analyse et estime que la directive "s'oppose à une réglementation nationale qui, sauf certaines exceptions et sans tenir compte des circonstances spécifiques du cas d'espèce, interdit toute offre conjointe faite par un vendeur à un consommateur, de sorte que l'article L. 122-1 du code de la consommation qui interdit de telles offres conjointes sans tenir compte des circonstances spécifiques doit être appliqué dans le respect des critères énoncés par la directive". En clair : le juge doit non pas rechercher l'existence d'une vente liée, mais doit rechercher l'existence d'une pratique commerciale déloyale.

En offrant à la vente un ordinateur équipé de logiciels préinstallés, est-ce que le professionnel a commis une pratique qui est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur ? La question est encore ouverte à ce stade, mais il est clair que démontrer une telle altération sera difficile. En effet, il faudrait démontrer alors une information erronée, mensongère de la part du professionnel (par exemple, expliquant que le logiciel est "offert" ou que le logiciel est strictement nécessaire) pour sans doute démontrer l'existence d'une telle pratique commerciale déloyale.

La seconde concernait l'acquisition le 6 juin 2006 d'un PC dans un magasin Darty. Devant le refus de remboursement des logiciels, le consommateur avait saisi la Juridiction de proximité de Paris Ier qui n'a pas fait droit à sa demande. Mais ici, la Cour de cassation casse le jugement au motif que la juridiction du fond n'a pas recherché s'il y avait eu ou non vente liée.

Et effectivement, je sens d'un seul coup un peu de perplexité dans l'esprit du lecteur. Pourquoi dans cette affaire, la Cour de cassation a demandé au juge de proximité de rechercher si on pouvait appliquer l'article L.122-1 du Code de la consommation alors qu'elle avait dit le contraire plus haut ? Tout simplement car on se situait "avant l'expiration du délai de transposition de la Directive n° 2005/29 CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005".

En clair, si le délai de transposition de la directive n'était pas expiré, le texte n'était alors pas directement applicable aux contentieux. Et donc, le texte français sur la vente liée conservait ses pleins effets.

Bon, et c'est à ce moment là que le juriste pervers (vicieux certains diraient) commence à gratter. Le second arrêt de la Cour de cassation dit : pour les litiges nés avant l'expiration du délai de transposition, le régime juridique français de la vente liée continue à s'appliquer. Pour les litiges nés postérieurement à cette date, on doit appliquer les principes de la directive sur les pratiques commerciales déloyales.

Quelle est cette date ?
L'article 19 de la directive dit ceci : "Les États membres adoptent et publient au plus tard le 12 juin 2007 les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive".

En conséquence, la Directive donnait jusqu'au 12 juin 2007 aux Etats pour se mettre en conformité.

Seulement, un deuxième aménagement - rare au demeurant en droit communautaire - était prévu dans le même article 19, aménagement ainsi rédigé : "Ils appliquent ces dispositions au plus tard le 12 décembre 2007". En clair, selon la directive, le nouveau régime des pratiques commerciales déloyales devait entrer en vigueur dans les divers Etats membres au plus à compter du 12 décembre 2007.

On peut se dire, et alors ?
Ben, c'est là où on reboucle avec la première affaire de la Cour de cassation car le produit a été acheté le 6 décembre 2007 soit, après le délai de transposition, mais avant le délai d'entrée en vigueur.

De mon côté, je ne sais pas si les parties et les magistrats de la Cour de cassation se sont penchés sur ce point. Mais il semble quand même un peu étonnant que la Cour ait fait application d'un texte communautaire - non encore transposé en droit français - avant la date à laquelle ledit texte communautaire avait fixé son entrée en vigueur.

Peut être que ce point sera soulevé devant le juge du fond qui sera amené à rejuger l'affaire Lenovo. Et peut être alors que le juge du fond appliquera quand même le droit français au motif qu'à 6 jours près, le droit communautaire n'avait pas vocation à s'appliquer.

Une vraie problématique de droit communautaire avec un petit mélange de droit des nouvelles technologies et de droit de la consommation. Un parfait sujet d'examen ;-)

Source : Cass. Civ.1, 15 novembre 2010, n°09-11.161 et Cass. Civ.1, 15 novembre 2010, n°08-20.227

vendredi 10 décembre 2010

Ventes aux enchères et courtage en ligne refont débat à l'Assemblée nationale

La Commission des lois de l'Assemblée nationale vient d'examiner la proposition de loi de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Ce texte tend à réformer les dispositions de la loi du 10 juillet 2000 relative aux enchères.

A ce jour, le cadre existant est fixé par les articles L. 320-1 et suivants du Code de commerce. L'article L. 320-1 du Code du commerce prévoit que :
"Nul ne peut faire des enchères publiques un procédé habituel de l'exercice de son commerce."
Ce principe est tempéré par une exception prévue à l'article L. 320-2 qui prévoit que "sont exceptées de l'interdiction prévue à l'article L. 320-1 les ventes prescrites par la loi ou faites par autorité de justice, ainsi que les ventes après décès, liquidation judiciaire ou cessation de commerce ou dans tous les autres cas de nécessité dont l'appréciation est soumise au tribunal de commerce".

Parmi les "ventes prescrites par la loi", figurent les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. L'article L. 321-1 du Code de commerce prévoit que :
"Les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ne peuvent porter que sur des biens d'occasion ou sur des biens neufs issus directement de la production du vendeur si celui-ci n'est ni commerçant ni artisan. Ces biens sont vendus au détail ou par lot.
Sont considérés comme meubles par le présent chapitre les meubles par nature.
Sont considérés comme d'occasion les biens qui, à un stade quelconque de la production ou de la distribution, sont entrés en la possession d'une personne pour son usage propre, par l'effet de tout acte à titre onéreux ou à titre gratuit"
Or, l'article L. 321-2 du Code de commerce prévoit que "les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques sont, sauf les cas prévus à l'article L. 321-36 organisées et réalisées par des sociétés de forme commerciale régies par le livre II, et dont l'activité est réglementée par les dispositions du présent chapitre".

L'article L. 321-3 du Code du commerce en rajoute en précisant que :
Le fait de proposer, en agissant comme mandataire du propriétaire, un bien aux enchères publiques à distance par voie électronique pour l'adjuger au mieux-disant des enchérisseurs constitue une vente aux enchères publiques au sens du présent chapitre.
Les opérations de courtage aux enchères réalisées à distance par voie électronique, se caractérisant par l'absence d'adjudication et d'intervention d'un tiers dans la conclusion de la vente d'un bien entre les parties, ne constituent pas une vente aux enchères publiques.
Sont également soumises aux dispositions du présent chapitre, à l'exclusion des articles L. 321-7 et L. 321-16 les opérations de courtage aux enchères portant sur des biens culturels réalisées à distance par voie électronique.
Ainsi, le cadre actuel est le suivant prévoit que les ventes aux enchères y compris en ligne relèvent d'un régime juridique particulier. Mais attention, au plan juridique, les acteurs comme "eBay" ne sont pas des vendeurs aux enchères mais des courtiers en ligne sous forme d'enchères. Pourquoi ? Tout simplement car l'intermédiaire n'est pas le propriétaire du bien, ne vend pas le produit et ne procède pas à l'adjudication. Ce point a été rappelé par la justice dans un jugement du Tribunal de grande instance de Paris en date du 25 mai 2010. Les magistrats avaient estimé :
S’agissant de la qualification de l’activité d’eBay, le fait de vendre aux enchères publiques, au sens du chapitre premier du code de commerce (des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques) de son titre deuxième (des ventes aux enchères publiques) de son livre troisième (de certaines formes de ventes et des clauses d’exclusivité), suppose de proposer, en agissant comme mandataire du propriétaire, un bien aux enchères publiques à distance par voie électronique, pour l’adjuger au mieux-disant des enchérisseurs ;
(...)
Le vendeur conserve un rôle actif tout au long du processus de vente, qu’il peut d’ailleurs interrompre à tout moment ;
Le processus, qui s’étale sur une durée choisie, entre plusieurs options, par le vendeur, met en évidence un meilleur enchérisseur ;
Il n’y a toutefois pas d’adjudication, le vendeur restant libre de choisir un autre enchérisseur, moins disant, qui présenterait un meilleur profil et offrirait ainsi plus de garanties, avec lequel il va traiter de gré à gré ;
Il s’ensuit qu’aucune des deux conditions nécessaires pour une vente aux enchères n’est présente
II ressort des dispositions de l’article L 321 -3, alinéa 2 du code de commerce, que le système proposé par eBay s’apparente en réalité à des opérations de courtage en ligne
Deux sénateurs ont déposé en février 2008, une proposition de loi destinée à refondre le régime juridique applicable aux ventes aux enchères notamment à la suite de l'intervention de la Directive "Services". A cette occasion, un article est venu réviser le régime juridique applicable aux courtiers aux enchères réalisées à distance par voie électronique.

Actuellement, ces courtiers ne relèvent du régime des ventes aux enchères publiques que si les opérations de courtage aux enchères portent sur des biens culturels. Cela a donné lieu à de nombreux débats, notamment à une recommandation en date du 22 juillet du Forum des droits sur l'internet.

Adoptée le 28 octobre 2009 par le Sénat, la proposition de loi opère les modifications suivantes en son article 5 :
- modification de la définition du courtage en ligne ;
- création d'une obligation d'information sur le "prestataire de services"
- régime de sanctions administratives
- modification du régime juridique applicable en cas de manquement aux obligations d'information
- pouvoir donné aux juges d'enjoindre au prestataire de respecter ses obligations d'information.

Cette proposition de loi a fait l'objet d'un examen par la Commission des lois de l'Assemblée nationale le 8 décembre 2010. Sur l'article 5, la Commission des lois a adopté deux amendements de son rapporteur tendant à clarifier le régime de sanctions administratives et à supprimer la possibilité de modifier le régime juridique applicable au prestataire de service en cas de manquement à ses obligations d'information.

En conséquence, le nouvel article 5 de la proposition de loi propose la formulation suivante :
« Les opérations de courtage aux enchères réalisées à distance par voie électronique se caractérisant par l’absence d’adjudication au mieux-disant des enchérisseurs et d’intervention d’un tiers dans la description du bien et la conclusion de la vente ne constituent pas des ventes aux enchères publiques au sens du présent chapitre.
« Le prestataire de services mettant à la disposition du vendeur une infrastructure permettant d’organiser et d’effectuer une opération de courtage aux enchères par voie électronique informe le public de manière claire et non équivoque sur la nature du service proposé, dans les conditions fixées à l’article L. 111-2 du code de la consommation et au III de l’article L. 441-6 du présent code. Un arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé de la culture précise les conditions dans lesquelles le prestataire de services porte également à la connaissance du vendeur et de l’acquéreur la réglementation relative à la circulation des biens culturels, ainsi qu’à la répression des fraudes en matière de transactions d’œuvres d’art et d’objets de collection, lorsque l’opération de courtage aux enchères par voie électronique porte sur de tels biens.
« Les manquements aux dispositions du troisième alinéa sont punis d’une sanction pécuniaire dont le montant peut atteindre le double du prix des biens mis en vente en méconnaissance de cette obligation, dans la limite de 15 000 € pour une personne physique et de 75 000 € pour une personne morale.
« Les manquements aux dispositions du troisième alinéa sont recherchés et constatés par procès verbal dans les conditions fixées aux II et III de l’article L. 450-1 et aux articles L. 450-2, L. 450-3, L. 450-7 et L. 450-8 du présent code.
« Le double du procès-verbal, accompagné de toutes les pièces utiles et mentionnant le montant de la sanction encourue, est notifié à la personne physique ou morale concernée. Le procès-verbal indique la possibilité pour la personne visée de présenter, dans un délai d’un mois, ses observations écrites ou orales.
« À l’issue de ce délai d’un mois, le procès-verbal accompagné, le cas échéant, des observations de la personne visée est transmis à l’autorité administrative compétente qui peut, par décision motivée et après une procédure contradictoire, ordonner le paiement de la sanction pécuniaire mentionnée au quatrième alinéa. La personne concernée est informée de la possibilité de former un recours gracieux ou contentieux contre cette décision dans un délai de deux mois à compter de la notification de la sanction.
« Les sanctions pécuniaires et les astreintes mentionnées au présent article sont versées au Trésor public et sont recouvrées comme les créances de l’État étrangères à l’impôt et au domaine.
« Les V et VI de l’article L. 141-1 du code de la consommation peuvent être mis en œuvre à partir des constatations effectuées.
« Toute personne intéressée peut demander au président du tribunal statuant en référé d’enjoindre sous astreinte au prestataire de services qui délivre des informations de nature à susciter dans l’esprit du public une confusion entre son activité et la vente aux enchères par voie électronique de modifier ces informations afin de supprimer cette confusion ou de se conformer aux dispositions du présent chapitre. »
Tout d'abord, la PPL pose le principe selon lequel les opérations de courtage en ligne aux enchères ne sont pas des ventes aux enchères publiques. Ainsi, la PPL fait disparaître l'exception dite "de biens culturels". Ainsi, les opérations de courtage même portant sur des biens culturels ne rentrent pas dans les prévisions du régime des ventes aux enchères. La PPL revient donc sur le mécanisme créé en 2000 et qui avait fait l'objet de nombreuses critiques notamment de la part de la Commission européenne.

Seulement, ces dispositions appellent plusieurs critiques.

En ce qui concerne la définition du courtage.

Selon la PPL,
Les opérations de courtage aux enchères réalisées à distance par voie électronique se caractérisant par l’absence d’adjudication au mieux-disant des enchérisseurs et d’intervention d’un tiers dans la description du bien et la conclusion de la vente ne constituent pas des ventes aux enchères publiques au sens du présent chapitre.

Ainsi, plusieurs critères cumulatifs définissent les opérations de courtage :
- l'absence d'adjudication au mieux-disant des enchérisseurs ;
- l'absence d'intervention d'un tiers dans la description du bien
- et l'absence d'intervention d'un tiers dans la conclusion de la vente.

Par rapport à la définition actuelle du courtage en ligne, les parlementaires ont ajouté plusieurs critères :
1) l'absence d'adjudication s'entend d'une absence d'adjudication au "mieux-disant", c'est à dire à la personne ayant réalisé la meilleur offre ;
2) l'absence d'intervention de l'intermédiaire dans la description du bien.

Ce critère pourrait, dans certaines occasions, être problématique. En effet, avec l'ouverture dorénavant possible des ventes aux enchères sur des biens "neufs", il est possible pour un intermédiaire de proposer à ses divers vendeurs des bases de données contenant les fiches techniques des produits mis en vente afin de faciliter les mises en vente.

Est-ce que la mise à disposition de telles bases de données de "descriptifs produits" susceptibles d'être utilisées par les divers vendeurs peut-elle s'apparenter en une "intervention de l'intermédiaire dans la description du bien" ? Dans l'affirmative, elle pourrait fragiliser la qualification de courtier en ligne applicable à l'intermédiaire.

En ce qui concerne l'obligation d'information

La PPL prévoit
Le prestataire de services mettant à la disposition du vendeur une infrastructure permettant d’organiser et d’effectuer une opération de courtage aux enchères par voie électronique informe le public de manière claire et non équivoque sur la nature du service proposé, dans les conditions fixées à l’article L. 111-2 du code de la consommation et au III de l’article L. 441-6 du présent code. Un arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé de la culture précise les conditions dans lesquelles le prestataire de services porte également à la connaissance du vendeur et de l’acquéreur la réglementation relative à la circulation des biens culturels, ainsi qu’à la répression des fraudes en matière de transactions d’œuvres d’art et d’objets de collection, lorsque l’opération de courtage aux enchères par voie électronique porte sur de tels biens.

La première phrase crée une superposition de personnes. Dans une opération de courtage, nous avons classiquement trois intervenants : le vendeur, l'acheteur et l'intermédiaire.

Ici, le texte commence à mélanger ces différents concepts. En effet, la PPL impose une obligation d'information au "prestataire de services mettant à la disposition du vendeur une infrastructure permettant d'organiser et d'effectuer une opération de courtage". Sauf que non !

Le vendeur, il réalise une seule et unique opération : une vente (ou, si on préfère, il est parti à un contrat de vente). Le prestataire de service offre, quant à lui, l'infrastructure permettant au vendeur - non pas d'effectuer du courtage, mais bien de vendre le produit. Et enfin, le courtage nécessite non seulement un vendeur mais aussi un acheteur.

Sans doute, serait-il préférable de clarifier cette formulation en expliquant que cette obligation d'information est à la charge du "prestataire de services organisant et effectuant des opérations de courtage".

En outre, cet alinéa impose une obligation d'information spécifique au courtier dès lors que les opérations portent sur des biens culturels. Bien évidemment, le texte s'abstient de viser toute définition, tout comme cela avait été le cas en 2000, laissant ainsi demeurer l'incertitude juridique. Rappelons, par exemple, que le conflit qui a opposé le Conseil des ventes volontaires à la société eBay portait principalement sur cette définition des biens culturels, chaque acteur s'appuyant sur des définitions existantes ou créant - en ce qui concerne le Conseil des ventes volontaires - ses propres définitions. Les juges ont même indiqués "que les différentes définitions des biens culturels auxquelles se réfèrent le Conseil et la société eBay se rapportent à des situations précises qui ne sont pas celles de courtage aux enchères de biens culturels et qu’il n’existe pas en l’état de définition des biens culturels visés par l’article L 321-3 du code de commerce, de sorte que l’alinéa 3 est inapplicable"

Pourquoi donc laisser demeurer une telle incertitude et ne pas, enfin, viser spécifiquement un texte définissant les biens culturels ? La PPL impose une obligation d'information en matière d'exportation de biens culturels. En la matière, le régime est fixé à l'article L.111-2 du Code du patrimoine. Pour les oeuvres d'art et les objets de collection, plusieurs définitions coexistent : une définition "culturelle" (article 61 du décret du 19 juillet 2001) et une définition fiscale (article 98A de l'annexe III du Code général des impôts).

Afin de mettre fin définitivement à cette question, ne serait-il pas envisageable de citer dans le corps même de la loi quelles définitions devront être prises en compte par les intermédiaires et ainsi viser la circulation des biens culturels tels que définie à l'article L.111-2 du Code du patrimoine, ainsi qu’à la répression des fraudes en matière de transactions d’œuvres d’art et d’objets de collection tels que définis à l'article 98A de l'annexe III du Code général des impôts.

De telles précisions semblent naturellement nécessaires dès lors que le texte fait l'objet de sanctions pécuniaires susceptibles d'être prononcées par l'autorité administrative.

Sur la sanction financière

Le texte prévoit de créer une sanction financière sur la tête de l'intermédiaire qui a méconnu son obligation d'information. Seulement, celle-ci semble difficilement compréhensible
« Les manquements aux dispositions du troisième alinéa sont punis d’une sanction pécuniaire dont le montant peut atteindre le double du prix des biens mis en vente en méconnaissance de cette obligation, dans la limite de 15 000 € pour une personne physique et de 75 000 € pour une personne morale.

Le fameux 3e alinéa vise deux obligations d'information :
- une obligation d'information générique sur la nature du service proposé
- une obligation d'information spécifique à destination du vendeur et de l'acquéreur du produit sur les diverses réglementations.

A défaut, la sanction est équivalente au double du prix des biens mis en vente (par des vendeurs !) en méconnaissance de l'obligation.

En quoi la sanction semble inopérante ?
- Comment en matière d'enchères peut-on apprécier le prix des biens "mis en vente" dès lors que le prix est déterminé lors de la conclusion de la vente, c'est à dire, entre l'acheteur et le vendeur. Dès lors que l'intermédiaire n'intervient pas dans la conclusion de la vente, le prix final - qui sera fonction du choix du vendeur par l'acheteur, du montant des frais de port, et de tout rabais appliqué - ne sera jamais connu voire archivé sur le site. Les seules informations connues du site sera 1/ la mise à prix et 2/ à un instant (t) la meilleure enchère proposée. A aucun moment le prix du bien ne sera connu. Sauf à estimer que si un bien est mis à prix à 1 euro, son prix alors est de 1 euro.

- Comment en matière de courtage peut-on condamner un intermédiaire pour ne pas avoir communiqué des informations aux acheteurs alors, qu'en raison de sa fonction d'intermédiaire et de courtier n'intervenant pas dans la conclusion de la vente, le courtier n'aura pas forcément connaissance de l'acquéreur. L'information sur les réglementations touchant les biens culturels ne devrait-elle donc pas s'appliquer au "public", comme l'information générique sur la nature de l'activité de l'intermédiaire ?

Sans doute également que l'évaluation de la sanction financière (notamment au regard du critère du prix des biens mis en vente en méconnaissance de ces obligations) sera difficile à réaliser.

Sur le pouvoir du juge et la compatibilité du dispositif au droit communautaire

En créant une sanction et la possibilité pour le juge d'ordonner des mesures à l'encontre de l'intermédiaire, se pose alors une problématique de la compatibilité du dispositif au droit communautaire et notamment au regard de deux dispositions : la directive "notification" et la directive "pratiques commerciales déloyales".

Aux termes de la directive modifiée n° 98/34/CE du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, un Etat membre doit informer la Commission européenne et les autres Etats membres de tout projet de règle portant sur un service de la société de l’information. Une règle est considérée comme visant spécifiquement les services de la société de l’information "lorsque, au regard de sa motivation et du texte de son dispositif, elle a pour finalité et pour objet spécifiques, dans sa totalité ou dans certaines dispositions ponctuelles, de réglementer de manière explicite et ciblées ces services".

Les opérations de courtage en ligne sous forme d’enchères constituent des "services de la société de l’information" au sens de la directive, ainsi que l’avait indiqué la Commission européenne au Forum des droits sur l'internet à l'occasion de ses travaux de 2004. Dès lors que ce dispositif est susceptible d’avoir pour objet et pour finalité "spécifiques" de réglementer de manière "explicite et ciblée" ces services, elles doivent  faire l’objet d’une notification à la Commission. Or, une telle notification n’a pas encore eu lieu.

Donc le risque d'inopposabilité de ces dispositions demeure élevé.

Autre disposition communautaire en cause, la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur. En effet, dès lors qu'une "pratique commerciale" est en cause, l'analyse du cadre juridique applicable à ces pratiques commerciales doit obligatoirement s'analyser au regard des dispositions de la directive.

Or, l'article 2 de la directive définit, en utilisant une formulation particulièrement large, la notion de "pratique commerciale" comme "toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs".

La CJUE a eu l'occasion de rappeler ainsi le 9 novembre 2010 (C-540/08, §21) que "la directive se caractérise par un champ d’application matériel particulièrement large s’étendant à toute pratique commerciale qui présente un lien direct avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs. Ne sont ainsi exclues dudit champ d’application, ainsi que cela ressort du sixième considérant de cette directive, que les législations nationales relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte «uniquement» aux intérêts économiques de concurrents ou qui concernent une transaction entre professionnels".

Surtout, le §30 de la décision de la CJUE poursuit en rappelant que "la directive procédant à une harmonisation complète des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, les États membres ne peuvent pas adopter, comme le prévoit expressément l’article 4 de celle-ci, des mesures plus restrictives que celles définies par ladite directive, même aux fins d’assurer un degré plus élevé de protection des consommateurs".

Résultant, en créant de nouvelles obligations d'information et - surtout - en les sanctionnant financièrement ou sous la forme d'injonctions judiciaires, la PPL est-elle conforme aux dispositions de cette directive "pratique commerciale déloyale".

Une telle mesure pourrait être compatible s'il est jugé que cette absence de diffusion d'informations "altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu'elle touche ou auquel elle s'adresse, ou du membre moyen du groupe lorsqu'une pratique commerciale est ciblée vers un groupe particulier de consommateurs".

En conséquence, il reviendrait sans doute au législateur d'aménager le régime de sanctions afin de le raccrocher aux dispositions existantes en matière de pratiques commerciales déloyales. Ainsi, sanctions et injonctions judiciaires ne devraient être prononcées que si l'absence d'information est constitutive d'une pratique commerciale déloyale.

Source : Proposition de loi de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, Texte de la Commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration de la République, Assemblée nationale, 8 décembre 2010.

jeudi 9 décembre 2010

Comment la loi HADOPI a flingué le régime de responsabilité des forums de discussion

Classiquement, lorsque l'on attribue le qualificatif "HADOPI" à un régime de responsabilité, cela peut inciter le lecteur à fuir. En effet, comment ne pas craindre une nouvelle diatribe pour ou contre cette fameuse loi "création et internet" qui a eu le mérite de faire couler énormément d'encre sur l'internet.

Il s'agit ici de revenir sur un article de cette fameuse loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet. L'article 27 de la loi a, en effet, modifié l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la liberté de communication afin de créer un régime de responsabilité aménagé au profit des exploitants de forums de discussion.

Cette responsabilité des exploitants des forums de discussion a connu plusieurs rebondissements avant la loi "création et internet" sur lesquels il convient de s'arrêter rapidement.

Forums de discussion et loi du 1er août 2000

La loi du 1er août 2000 a créé le premier régime de responsabilité aménagée au profit des hébergeurs. Selon ce texte, "les personnes physiques ou morales qui assurent, à titre gratuit ou onéreux, le stockage direct et permanent pour mise à disposition du public de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature accessibles par ces services, ne sont pénalement ou civilement responsables du fait du contenu de ces services que si, ayant été saisies par une autorité judiciaire, elles n'ont pas agi promptement pour empêcher l'accès à ce contenu."

Côté jurisprudence, les juges firent rapidement application de la loi du 1er août 2000 aux forums de discussion. Le TGI de Paris avait pu estimer dans une décision en date du 12 octobre 2000 que :
"l'association Vienne informatique est un fournisseur d'hébergement qui offre notamment aux contributeurs la possibilité d'accéder à un forum de discussion particulier via un nouveau système dont il est acquis au débat que les dialogues sont mis à jour de manière quasi-instantanée et qu'ils peuvent être consultés librement, pendant plusieurs jours, sans aucune modération et par un large public"
De même, le juge des référés estimait dans une ordonnance du 18 février 2002 que :
"il y a lieu de constater qu'au titre du service offert, relatif à la mise en place d'un forum permettant aux utilisateurs d'échanger entre eux des messages, et indépendamment des autres activités du site Boursorama pouvant relever d'un régime juridique différent, la société Finance Net doit être considérée comme assurant sur ce point le stockage direct et permanent pour mise à disposition du public de messages au sens de l'article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986, modifié par la loi du 1er août 2000"
Forums de discussion et LCEN

Suite à l'adoption de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, le régime de responsabilité des intermédiaires de l'internet est fixé aux articles 6.I.2 et 6.I.3 de la loi :
Sur le plan civil, "les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible."
Sur le plan pénal, ces personnes "ne peuvent voir leur responsabilité pénale engagée à raison des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de l'activité ou de l'information illicites ou si, dès le moment où elles en ont eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces informations ou en rendre l'accès impossible."
Sur l'application de la LCEN aux exploitants de forums de discussion, il semblait ne pas y avoir de doute lors des débats parlementaires. Dans l'Avis déposé par Michèle Tabarot au nom de la Commission des lois lors de l'examen de la LCEN, la députée relevait que :
"La définition des opérateurs visés par l'article ne fait pas de distinction : sont concernés tous les intermédiaires dont l'activité consiste à stocker durablement des données (stockage "permanent"), sans intervenir sur leur contenu (stockage "direct"), de façon à les rendre accessibles au public au moyen d'un service de communication publique en ligne. Peu importe qu'il s'agisse d'informations fournies par des éditeurs professionnels de sites, par des utilisateurs de places de marché ou de sites d'enchères en ligne ou encore par des contributeurs à un forum"
Côté jurisprudence, les magistrats semblent également avoir suivi cette logique. Le Tribunal de grande instance de Lyon a ainsi estimé le 21 février 2005 :
"le recours aux travaux parlementaires de la loi du 21 juin 2004 tend à démontrer que les promoteurs de ladite loi ont manifesté leur intention de rendre applicable aux organisateurs de forums de discussion l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986 ; que selon les débats parlementaires, il convient en effet de se référer davantage à la définition communautaire du prestataire d’hébergement, telle que définie à l’article 14 de la directive européenne du 8 juin 2000, laquelle ne limite pas l’activité d’hébergement à la prestation purement technique mais identifie plus précisément l’ensemble des "fonctions d’intermédiation" qui ne relèvent pas du simple transfert d’information".
Cela se confirmait par la suite. Dans une ordonnance du 14 novembre 2007, la Cour d’appel de Paris a pu estimer à propos de la société AuFeminin.com qu’en "sa qualité d’organisateur d’un forum doté d’un modérateur a postériori, cette société ne peut voir engager sa responsabilité que dans les conditions applicables au fournisseur d’hébergement puisqu’elle assure le stockage direct des messages diffusés sans porter de regard préalable sur ceux-ci, ce qui exclut toute obligation générale de surveillance".

Cette application de la LCEN aux forums de discussion a été confirmée le 12 décembre 2007 par la Cour d’appel de Versailles qui a estimé que "ce texte doit être appliqué aux organisateurs de forum non modérés ou modérés a posteriori", ce qui était le cas en l’espèce, la Cour relevant le constat d’huissier "qui a pu envoyer un message en ligne sans contrôle a priori".

Ainsi, le critère essentiel utilisé par les magistrats pour statuer en faveur d’une application du régime de responsabilité aménagée tiré de la LCEN aux exploitants de forums de discussion tient principalement au caractère modéré ou non modéré a priori des contenus qui peuvent y être diffusés. En présence d’une modération a posteriori ou, en l’absence de toute modération, l’exploitant du forum de discussion pourrait ainsi bénéficier du régime de responsabilité des fournisseurs d’hébergement tandis que son homologue procédant à une modération a priori demeurerait dans le champ de la responsabilité du droit commun et, en matière d'infraction de presse, dans le champ du 1er alinéa de l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la liberté de communication.

En effet, cet article 93-3 pose un principe de responsabilité éditoriale sur la tête du directeur de la publication pour toute infraction de presse commise sur un site internet et qui a fait l'objet, préalablement à sa diffusion, d'une fixation préalable. La modération "a priori" pouvant s'analyser en une fixation préalable, la responsabilité éditoriale (dite "responsabilité en cascade") s'applique à l'exploitant du forum de discussion.

Ainsi, si on résume, selon la LCEN :
- exploitant de forum de discussion non modéré a priori : bénéfice du régime de responsabilité aménagée fixé par la LCEN
- exploitant de forum de discussion modéré a priori : droit commun ou responsabilité éditoriale pour les infractions de presse.

Et HADOPI survint ...

A l'occasion de l'examen de la loi création et internet par l'Assemblée nationale, le Groupe Nouveau Centre mené par le député Jean Dionis du Séjour déposa un amendement tendant à 1) créer un statut d'éditeur de presse en ligne et 2) fixer un régime juridique particulier pour les infractions de presse commises dans les "espaces de contributions personnelles".

Ce nouveau régime de responsabilité est le suivant :
"Lorsque l'infraction résulte du contenu d'un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s'il est établi qu'il n'avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message."
Les députés justifiaient cette disposition de la manière suivante : "Aussi est-il proposé de prévoir que les contributions des internautes donnent lieu à un régime de responsabilité atténué, quel que soit le type de modération adopté, et qu’elles n’engagent pas la responsabilité du directeur de publication à titre principal, sauf s’il avait effectivement connaissance du contenu mis à la disposition du public."

Ainsi, postérieurement à l'adoption de la loi HADOPI, la situation est la suivante :
- exploitant de forum de discussion non modéré a priori : bénéfice du régime de responsabilité aménagée fixé par la LCEN sauf en matière d'infractions de presse où s'applique le régime du 93-3 dernier alinéa.
- exploitant de forum de discussion modéré a priori : droit commun sauf en matière d'infractions de presse où s'applique le régime du 93-3 dernier alinéa.

Maintenant, décryptons ce fameux dernier alinéa de l'article 93-3 au regard de l'article 6 de la LCEN (et plus exactement de l'article 6-I-3 de la LCEN qui aménage le régime de responsabilité pénale des intermédiaires de l'internet).

Pour engager la responsabilité de l'exploitant du forum de discussion, il faut démontrer :
- la présence d'un message sur un forum de discussion
- le fait que ce message soit constitutif d'une infraction de presse
- le fait que l'exploitant du forum ait eu connaissance du message avant sa mise en ligne ou n'a pas agi promptement pour procéder à son retrait.

Ce régime se distingue très largement de celui posé par la LCEN à plus d'un titre :
1/ le régime de 93-3 ne fixe pas de méthode de notification, contrairement à la LCEN (et certains juges ont pu estimer que la connaissance effective du contenu notifié n'avait lieu qu'à compter du respect par la victime des règles de notification posées par la LCEN). Ainsi, un simple email vaut-il notification ?

Notamment, la notification de la LCEN impose à la victime de justifier auprès de l'intermédiaire des éléments de fait ou de droit sur le caractère illicite du contenu mis en cause. Ici, il semble qu'une simple notification d'un contenu disant "c'est diffamatoire" semble suffire pour créer une "connaissance effective".

2/ le régime de 93-3 a vocation à s'appliquer aux infractions de presse. Or, et selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel et les interprétations données, les infractions de presse ne sont pas au sens de la LCEN des contenus "manifestement illicites". Ainsi, sous le régime LCEN, un hébergeur qui se voyait notifier un contenu diffamatoire pouvait rétorquer l'absence de caractère manifestement illicite (et notamment du fait que la diffamation s'apprécie in concreto). Avec le régime 93-3, plus possible.

Là où le Conseil constitutionnel avait protégé les exploitants de forum de discussion d'un engagement de responsabilité au regard de propos portant sur des infractions de presse (diffamation, injure, etc.), la loi Création et Internet a rétabli cette responsabilité.

Si on notifie un contenu à un bloggeur ou à un exploitant de forum de discussion en arguant du caractère diffamatoire ou injurieux du contenu, s'il ne procède pas à sa suppression, sa responsabilité peut alors être engagée.

Un tel changement n'est pas neutre. Contrairement à la formulation ambiguë de l'amendement, cette modification n'a pas vocation à s'appliquer exclusivement aux éditeurs de presse en ligne, mais bien à tous les citoyens, à tous les internautes, à tous les blogueurs permettant aux internautes de s'exprimer, à tous les administrateurs de forums de discussion.

Si on tente un nouveau résumé de l'article 93-3, cela donnerait ceci : un blogueur ou un administrateur d'un forum de discussion sera responsable - en premier lieu - d'une infraction de presse 1) s'il procède à une modération a priori ou 2) s'il a été averti de la présence d'un tel contenu et n'a pas procédé à son prompt retrait.

Sous l'angle LCEN, seule la modération a priori était susceptible d'engager la responsabilité dudit blogueur.

Peut-on en déduire que cette modification est une profonde erreur ? La réponse semble positive. Alors que les parlementaires souhaitaient alléger la responsabilité des administrateurs de forums de discussion ou des blogueurs, la loi HADOPI a tout bonnement eu l'effet inverse en créant une responsabilité sur des contenus (infractions de presse) pour lesquels la LCEN et le Conseil constitutionnel avaient préféré instituer une certaine protection des intermédiaires.

Et dans les faits, les premières décisions de justice prennent appui sur ces nouvelles dispositions en arguant - de manière erronée au regard de l'analyse qui précède - d'une loi pénale "plus douce" que le cadre antérieur.

Ainsi, la 17ech du Tribunal de grande instance de Paris a jugé le 15 septembre 2010 un litige opposant l'exploitant d'un forum de discussion à l'association française de thermographie infrarouge dans le bâtiment, l'industrie et la recherche à la suite de la diffusion de divers messages, certains dont l'exploitant était l'auteur, d'autres dont des tiers étaient les auteurs.

Les juges relèvent dans leur décision que :
"Monsieur X. est le directeur de publication de ce site et l'animateur de ce forum de discussion. Il n'est par ailleurs pas contesté qu'il est l'auteur des messages postés sur ce forum sous les pseudonyme "Administrator" et "Thermoderator".
Il n'est pas l'auteur des autres messages évoqués par les demandeurs sous d'autres pseudonymes et le forum en cause n'est pas modéré. Mais les demandeurs font valoir, sans être contredits, que les deux thèmes du forum en litige, à savoir, dans la rubrique "Pas content! ", "Colère, énervement, agacement : à propos de l AFTIB! Hallucinant! " et, dans une rubrique "Le Particulier et la Thermographie", "Recherches de ponts thermiques" ont été déterminés par le défendeur à l'avance, et soutiennent à juste titre que Monsieur X n'a pas hésité à relancer la discussion, opiner en sa qualité d' "administrateur" ou de "modérateur", sous des pseudonymes transparents, aux attaques les plus vives contre l'AFTIB, manifestant qu'il avait une parfaite connaissance des messages en cause dont il approuvait la tonalité et suscité la mise en ligne".
Et en conclusion, les magistrats estiment que
"la responsabilité de Monsieur X sera retenue, le cas échéant - et sous les réserves qui suivent-, en sa qualité de directeur de publication du site - en ce compris le forum de discussion- pour tous les messages signés "Administrator" et "Thermoderator" en sa qualité de producteur du forum de discussion pour les autres messages en cause"
Ainsi, plusieurs conclusions :
- Les juges appliquent la loi HADOPI aux procédures en cours ;
- Le choix des rubriques et l'intervention en qualité de modérateur des discussions valent "connaissance des messages"
- La responsabilité de l'exploitant du forum est retenue tant pour les propres contenus dont il est l'auteur que pour les autres messages.

Ce nouveau régime de responsabilité pour les espaces contributifs n'est pas neutre. Les infractions de presse font partie d'une des matières juridiques les plus délicates et l'appréciation du caractère diffamatoire d'un contenu dépendra de plusieurs éléments : la bonne foi de l'auteur, l'exception de vérité mais également de la prescription desdits propos. Rappelons notamment qu'affirmer qu'une personne est un "escroc" ou un "voleur" peut relever de la diffamation. Prudence donc.

Source : TGI Paris, 15/09/2010, Association française de thermographie infrarouge dans le bâtiment, l'industrie et la recherche et a. c/ X. (inédit)

mardi 7 décembre 2010

Le TGI de Paris qualifie eBay d'hébergeur : analyse (très !) critique

Les contentieux sur la qualification juridique que doit revêtir les intermédiaires de l'internet se suivent .. et ne se ressemblent pas. Après les décisions de la Cour d'appel de Paris dans les affaires opposant les sociétés du groupe LVMH au site de courtage en ligne sous forme d'enchère eBay, la troisième chambre du Tribunal de grande instance de Paris a été amené à se repencher sur le statut du site au regard de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

La société MACEO avait constaté la présence sur eBay.com de diverses offres proposant à la vente des objets de marque "April 77" jugés contrefaisants par le titulaire des droits. Ayant réalisé divers constats d'huissier entre novembre 2007 et avril 2008, elle a mis en demeure eBay Inc de cesser ces actes de contrefaçon et de retirer toute référence à la marque "April 77" du site internet. Elle décida alors de saisir au mois de juin 2008 la justice à l'encontre d'Ebay France, eBay Europe et eBay Inc.

Voulant faire juger que seules les juridictions américaines sont compétentes, eBay avait soulevé plusieurs exceptions d'incompétences. Dans un arrêt du 2 décembre 2009, la Cour d'appel de Paris déboutait le site internet de ses demandes. Dans sa demande, la société MACEO réclamait à eBay plus de 300.00 euros de dommages et intérêts et font valoir, à l'appui de leur demande que :
"les sociétés eBay ne bénéficient pas du statut d'hébergeur mais exercent une activité de courtage aux enchères réalisée à distance par voie électronique qui se concrétise par un ordonnancement des annonces, une structure de présentation par cadre et une activité de gestion des produits concernés de façon active, mettant en avant certaines catégories d'objet selon l'actualité et à disposition des vendeurs des outils de mise en valeur du bien vendu en fonction desquels elles perçoivent une rémunération".
Pour MACEO, eBay a eu
"un rôle actif dans l'initiation, la conclusion et le suivi des transactions en raison des suggestions d'achat, de mise à disposition des vendeurs d'outils marketing et de gestion de leurs activités commerciales, du service de règlement des litiges, du système de garantie et des commissions proportionnelles".
En conséquence, eBay en raison de sa négligence et de son abstention à protéger les droits de propriété intellectuelle devait voir sa responsabilité être engagée "du fait de leurs activités promotionnelles et publicitaires sur le fondement de l'article 1382 du code civil".

Dans son jugement en date du 26 octobre 2010, le Tribunal de grande instance de Paris a apporté plusieurs commentaires.

Tout d'abord, le Tribunal rappelle qu'en application de l'article 3 du Code civil :
"la loi applicable à la responsabilité extra-contractuelle est celle de l'Etat du lieu où le fait dommageable s'est produit, ce lieu s'entendant aussi bien de celui du fait générateur du dommage que du lieu de réalisation de ce dernier".
Et de poursuivre que la société MACEO a agi sur le fondement des marques françaises et communautaires et sollicite la réparation d'un préjudice lié à la contrefaçon de ces marques sur le territoire français du fait "de la diffusion d'offres de vente en ligne sur le site ebay.com. Ce site, s'il est rédigé en anglais et propose des produits en dollars a néanmoins une vocation mondiale et est utilisé par des internautes du monde entier".

Ainsi, le Tribunal en déduit que :
"le fait que la société américaine eBay Inc exploite ce site depuis les Etats-Unis dans les conditions qu'elle décrit n'est pas de nature à rendre la loi américaine applicable au présent litige s'agissant d'une action en contrefaçon de marque.
En effet, la loi française a plus de lien avec les faits de l'espèce, la présence action tendant à faire valoir les droits d'un titulaire de marques française et communautaire, ces titres ne produisant d'effet que sur le territoire national ou européen et l'examen de leur atteintes en raison de la contrefaçon alléguée relevant de la législation applicable en France".
Après cet examen de la loi applicable, le Tribunal est revenu sur l'application des articles 6-I-2 et 7 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Afin de statuer sur l'application du statut de l'hébergeur à eBay, les juges relèvent :
"II n'est pas contesté que le site ebay.com offre aux internautes du monde entier la possibilité de vendre et acheter des produits par le biais d'internet, les achats dans cette boutique virtuelle pouvant avoir lieu en direct ou dans le cadre de vente aux enchères.
Il convient donc d'apprécier si la société eBay INC détermine les contenus qui doivent être mis à la disposition du public.
Il n'est pas démontré en l'espèce que la société eBay INC procède au contrôle des annonces postées sur le site ebay.com par les internautes proposant à la vente leurs produits et donc qu'elle détermine les contenus mis à la disposition du public. Le fait que cette société ait conçu l'architecture de son site et sa structuration, ainsi que les moyens techniques mis en oeuvre pour classer, mettre en valeur les annonces et permettre aux internautes de procéder à la vente ne lui donne pas la qualité d'éditeur dès lors qu'elle ne détermine pas les contenus des annonces mises en ligne par les vendeurs.
Par ailleurs, le fait que la société eBay INC perçoive des rémunérations en lien avec les ventes effectuées ne permet pas davantage de la qualifier d'éditeur de contenu dès lors que rien dans le texte de loi n'interdit à un hébergeur de tirer profit de son site en percevant une rémunération du fait des services qu'il offre ou en vendant des espaces publicitaires tant que cette rémunération ne détermine pas le contenu annonces postées par les internautes.
La LCEN a en effet limité au seul critère du choix du contenu effectué par la société créatrice du site, la condition à remplir pour être éditeur.
En conséquence, la société eBay INC doit être qualifiée d'hébergeur au sens de la LCEN."
Ainsi pour les juges, un seul critère doit être recherché : celui de savoir qui détermine les contenus qui sont diffusés sur le site internet. Si l'intermédiaire ne choisit pas le contenu, alors seul le statut de l'hébergeur lui semble alors applicable. Le point intéressant - et critiquable sans doute - est la référence à la LCEN. En effet, le Tribunal de grande instance semble indiquer que la LCEN aurait défini la notion d'éditeur. Seulement, la loi demeure silencieuse sur ce point.

Le TGI reprend ici l'erreur commise dans un jugement du 5 février 2008. En effet, après avoir cité de larges paragraphes de la LCEN, les magistrats poursuivaient ainsi :
"Les éditeurs sont définis comme étant “la personne qui détermine les contenus qui doivent être mises à la disposition du public sur le service qu’il a créé ou dont il a la charge”.".
Les magistrats semblaient découvrir une définition de l'éditeur. Seulement, cette définition de l'éditeur - depuis reprise dans de nombreux jugements du TGI de Paris, ne figure dans aucun texte.

Pire, je reste convaincu pour ma part d'une erreur intellectuelle à vouloir systématiquement opposer deux régimes juridiques identifiés sous le vocable l'un, d'hébergeur et l'autre, d'éditeur. Le premier se référerait au statut des intermédiaires techniques fixé par la LCEN (qui n'utilise pas le terme "hébergeur"). Le second ferait référence à un régime juridique où l'intermédiaire serait reconnu responsable - quasi automatiquement - des contenus stockés sur ses serveurs.

Pourquoi, à mes yeux, cette dichotomie est fausse. Tout simplement car le droit ne la reconnaît.

Si on reprend les textes juridiques, nous avons plusieurs régimes de responsabilité :
- le régime de droit commun fixé aux articles 1382 et suivants du Code civil. Le principe - datant de 1804 - est résumé classiquement de la façon suivant "faute - cause - préjudice". Ainsi, quiconque commet une faute génératrice d'un préjudice se doit de la réparer. Donc, la responsabilité de droit commun nécessite une chose : démontrer l'existence d'une faute.
- le régime dérogatoire fixé au sein de la LCEN au bénéfice des intermédiaires de l'internet définit à l'article 6-I-2 de la LCEN. Dans ce régime, la responsabilité du prestataire n'est engagée que si - ayant connaissance d'une activité ou d'un contenu manifestement illicite, il n'a pas agi promptement afin de le ou la faire cesser.
- le régime dérogatoire fixé à l'article 93-3 de la loi de 1982 en matière d'infraction de presse commise sur l'internet. Ici, c'est le régime dit des éditeurs qui s'applique : le directeur de la publication est responsable des contenus qu'il édite.
- l'exception au régime dérogatoire fixé au dernier alinéa de l'article 93-3 de la loi de 1982, exception (largement contestable, on va en parler bientôt !) créée par la loi HADOPI, et destinée à alléger la responsabilité éditoriale pour les forums de discussion.

Donc, si on résume, nous avons 3 régimes qui peuvent s'appliquer :
- le droit commun
- le régime dérogatoire de la LCEN pour les intermédiaires de l'internet
- le régime de responsabilité éditoriale pour les seules infractions de presse.

Et donc, naturellement, des fois je m'interroge : pourquoi vouloir à tout prix qualifier "d'éditeur" un intermédiaire de l'internet dans une affaire de contrefaçon. Car, même qualifié d'éditeur, seul le régime de droit commun ou celui de la LCEN s'applique ; deux régimes totalement indifférents à la qualification d'éditeur.

En effet, comme indiqué rapidement précédemment, le régime de l'éditeur suppose que le directeur de la publication endosse la responsabilité d'autrui. En matière de diffusion par exemple de petites annonces sur une plate-forme de contenu, la responsabilité du site ne sera pas automatique : soit elle s'intégrera dans les critères posées par la LCEN (si on est sur le terrain du régime de l'hébergeur), soit elle supposera à la victime de démontrer l'existence d'une faute de la part de l'intermédiaire.

Certains pourraient rétorquer que la simple diffusion des contenus incriminés démontre l'existence d'une faute, à savoir une atteinte à une obligation de vigilance et/ou de surveillance qu'aucun contenu illicite ne sera diffusé sur la plate-forme. Seulement, c'est faux. Faisons un peu d'analogie juridique et remontons à l'époque des affaires Altern, à une époque où aucun régime dérogatoire n'avait été créé par la loi. Les hébergeurs étaient donc jugés sur le terrain du droit commun et les juges recherchaient si des fautes pouvaient être reprochées à ces intermédiaires à la suite de la diffusion des contenus.

Dans un arrêt du 8 juin 2000 (symbolique, car c'est la date de la Directive eCommerce !), la Cour d'appel de Versailles jugeait ainsi :
"Considérant qu'à l'occasion de l'exercice de son activité, une société prestataire d'hébergement est tenue à une obligation de vigilance et de prudence (...) qui s'analyse en une obligation de moyens portant sur les précautions à prendre et les contrôles à mettre en œuvre pour prévenir ou faire cesser le stockage et la fourniture de messages contraires aux dispositions légales en vigueur ou préjudiciables aux droits des tiers concernés ; que cette obligation de moyens, qui n'implique pas l'examen général et systématique des contenus des sites hébergés, doit néanmoins se traduire, au stade de la formation du contrat avec le client-créateur de site, par des mesures préventives telles la prohibition de l'anonymat ou de la non-identification, l'adhésion à une charte de comportement ou tout autre procédé incitatif au respect des textes et des droits des personnes, et, au stade de l'exécution du contrat, par des diligences appropriées pour repérer tout site dont le contenu est illégal, illicite ou dommageable afin de provoquer une régularisation ou d'interrompre la prestation ; qu'indépendamment des cas où elle en est requise par l'autorité publique ou sur décision judiciaire, de telles diligences doivent être spontanément envisagées par la société prestataire d'hébergement lorsqu'elle a connaissance ou est informée de l'illégalité, de l'illicéité ou du caractère dommageable du contenu d'un site ou lorsque les circonstances ou modalités de la réalisation, de l'évolution ou de la consultation d'un site, auxquelles elle doit veiller par des outils, méthodes ou procédures techniques d'analyse, d'observation et de recherche, la mettent en mesure d'en suspecter le contenu ; que, dans ces hypothèses, ces diligences ne trouvent, sous le contrôle du juge, d'autres limites que l'incompétence ou l'abus de droit de l'hébergeur à apprécier l'illégalité, l'illicéité ou le caractère dommageable du contenu litigieux ; qu'en dehors de ces hypothèses, il ne peut être fait grief à cet hébergeur de ne pas avoir contrôlé le contenu d'un site qu'il a pu légitimement ignorer".
Cet arrêt de la Cour d'appel de Versailles rendu - je le répète - sous le régime du droit commun résume tout : 1) une faute doit être démontrée, 2) une obligation de moyens est à la charge de l'intermédiaire 3) intermédiaire qui doit mettre en oeuvre des mesures appropriées.

Ces principes avaient été déjà repris dans plusieurs affaires. Allant plus loin, une affaire permettait d'apprécier les obligations que l'on mettait à la charge de l'intermédiaire. Il s'agissait ainsi de l'hébergement par Multimania d'un site en faveur du "NSDAP", le parti nazi. Les juges avaient été saisis et ont répondu cela :
"la responsabilité du fournisseur d’hébergement devant s’apprécier selon ses compétences propres et non selon les compétences idéales de tiers rompus au domaine de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, aucune faute ne peut être retenue à l’encontre de Multimania." (TGI Nanterre, 24/05/2000)
En clair, on ne pouvait pas reprocher à Multimania de ne pas avoir "mot-clétiser" le terme "nsdap" en raison de ses compétences propres.

Pour revenir au jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 26 octobre 2010, celui-ci est - dans son raisonnement juridique - critiquable à plus d'un titre :

1/ les juges inversent les régimes de responsabilité. Ils recherchent si eBay peut recevoir la qualité "d'éditeur" (sous-entendu soumis au droit commun de la responsabilité). Et donc, comme il ne peut pas être éditeur, il est hébergeur.

Sur le plan juridique le raisonnement est aberrant : lorsque l'on a un principe et une exception, on recherche d'abord si la matière examinée relève de l'exception. Et si elle ne peut relever de l'exception, elle reste dans le champ du droit commun.

Ainsi, pour déterminer quel régime de responsabilité s'applique à eBay, les juges auraient dû rechercher si eBay peut revêtir la qualification d'hébergeur et en aucun cas rechercher si eBay ne revêt pas la qualité faussement qualifiée d'éditeur.

Finalement, le raisonnement suivi par le Tribunal de grande instance de Paris n'aboutit qu'à un seul et unique résultat : faire du régime dérogatoire posé par la LCEN, le droit commun et transformer le droit civil en pure exception.

2/ les juges font improprement référence au concept d'éditeur. Je l'ai expliqué plus haut. En matière de contrefaçon, la question de savoir si l'intermédiaire est ou non "éditeur" n'a strictement aucun sens.

La seule question qu'il faut se poser c'est de savoir si - de manière positive - l'intermédiaire en question entre dans le champ de définition de l'hébergeur ou non.

3/ les magistrats ne vont pas suffisamment loin dans leur analyse. En demeurant sur la simple recherche de savoir si eBay est éditeur ou non, les juges n'ont pas réalisé une correcte analyse juridique.

4/ En face également, au regard notamment du jugement, il semble que les demandeurs ne soient pas allés suffisamment loin. Si on retient leur analyse, à savoir qu'eBay ne peut bénéficier du régime de l'hébergeur (et donc retombe dans le régime du droit commun), les éléments retranscrits dans le jugement ne permettent pas de déterminer si oui ou non les demandeurs ont cherché à démontrer des fautes de l'intermédiaire.

Ainsi, cette décision est une mauvaise décision. Non pas en raison de sa conclusion, mais tout simplement au regard du raisonnement juridique suivi par les juges. La seule chose que de nombreuses personnes retiendront est simple : eBay est hébergeur, la contrefaçon peut prospérer. Mais c'est faux. Et derrière, ce sont des décisions comme celle-ci qui souvent, trop souvent, peuvent servir d'appui à des demandes en faveur d'une refonte voir d'une disparition du régime dérogatoire des intermédiaires de l'internet.

On ne peut donc appeler qu'à une chose : une meilleure analyse juridique de la situation. Il faut absolument que sur des litiges comme ceux-ci, une extrême rigueur soit suivie :
- analyser la situation ;
- vérifier si la situation entre ou non dans les prévisions d'une exception ;
- à défaut faire une application du droit commun.

C'est à cette condition que ce fameux régime des intermédiaires de l'internet demeurera, car il a sans doute encore vocation à perdurer afin de permettre à l'internet de continuer son développement et d'offrir une réelle place à l'innovation.

Source : TGI Paris, 3e Ch., 26/10/2010, SARL MACEO et a. c/ Société eBay Inc, SARL eBay Europe et SA eBay France (inédit)