lundi 31 octobre 2005

Spam légal ? Le code d'alerte national

Petit texte passé inaperçu. Le décret n° 2005-1269 du 12 octobre 2005 relatif au code d'alerte national contient les mesures destinées à alerter et informer en toutes circonstances la population soit d'une menace ou d'une agression au sens des articles L. 1111-1 et L. 1111-2 du code de la défense, soit d'un accident, d'un sinistre ou d'une catastrophe au sens de la loi du 13 août 2004. Ces mesures sont mises en oeuvre par les détenteurs de tout moyen de communication au public comme par exemple les opérateurs de téléphonie (envoi d'un SMS à leurs abonnés) ou les fournisseurs d'accès à l'internet (envoi de courriels à leurs abonnés).

Loi Toubon : le monde numérique embête le Sénat

A l'occasion de la discussion de la Proposition de loi complétant la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, le rapporteur désigné au sein de la Commission des affaires culturelles du Sénat a examiné l'application de ce texte au monde numérique. Plusieurs points peuvent être relevés.

Application du texte aux messages d'erreurs générés par l'ordinateur

La circulaire de 1996 avait précisé que les modes d'utilisation des logiciels d'application et des logiciels d'exploitation devaient être établis en français. Le rapporteur demande au Gouvernement de préciser que cette obligation s'applique bien à l'ensemble des messages, y compris les messages d'erreur, qui sont délivrés par voie électronique et qui apportent à l'utilisateur une information de nature à l'aider dans l'utilisation de son ordinateur et des logiciels qui y sont installés.

Concernant, les messages d'erreur système qui dénoncent un dysfonctionnement grave du coeur de l'ordinateur, le rapporteur estime qu'une traduction en français pourrait, compte tenu des problèmes techniques qu'elle soulève, ne pas être exigée, dès lors que les messages en question présenteraient une dimension hautement technique et ne s'adresseraient, en pratique, pas à l'utilisateur final mais à un professionnel de l'informatique, pour le guider dans la restauration du système.

Application du texte aux messages d'erreurs adressés par courrier électronique

Cette question avait déjà été abordée dans une réponse ministérielle où le ministre de la culture et de la communication avait posé le principe que l'emploi du français s'imposait dans tous les messages délivrés à un internaute dans le cadre de l'utilisation d'un service de messagerie électronique. Il considérait à juste titre que le "message, délivré par voie électronique, apporte à l'internaute une information de nature à l'aider dans son utilisation du service fourni".

Néanmoins, la pratique est loin de cette théorie. En effet, "compte tenu de la dimension internationale et du fonctionnement du réseau Internet, comment imposer en effet l'emploi du français dans des messages générés dans le cadre d'une communication entre serveurs distants ?", relève le Sénat. "Faut-il envisager d'imposer au serveur d'un client français l'obligation de traduire les messages des serveurs distants qu'il transmet ?"

Face à ces questions, la commission souhaite qu'une réflexion s'engage rapidement, de façon à fixer un cadre réaliste aux prescriptions linguistiques applicables aux services en ligne.

Application au commerce électronique

Compte tenu de son importance croissante, le commerce électronique constitue l'un des domaines cruciaux pour le respect effectif de la loi sur l'emploi de la langue française.

Dans son rapport sur « Internet et les réseaux numériques », le Conseil d'Etat partait du constat que si la loi française était théoriquement applicable à des sites étrangers accessibles sur le territoire national, la sanction de sa violation par ces derniers était en pratique irréaliste, particulièrement dans le cas de services téléchargés en ligne. Il préconisait en conséquence de restreindre le champ d'application de la loi du 4 août 1994 précitée en limitant les prescriptions de la loi aux seuls messages des services en ligne expressément destinés au consommateur français.

La Commission des affaires culturelles juge tout à fait pertinentes les questions soulevées par le rapport du Conseil d'Etat. Pour autant les voies qu'il préconise dans la recherche d'une solution ne lui paraissent pas de nature à clarifier véritablement les choses, le critère du consommateur destinataire n'étant pas en pratique facile à déterminer. Elle relève d'ailleurs que la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique a choisi, pour ces raisons, de privilégier un critère lié au lieu d'établissement du prestataire de service. Celle-ci a posé le principe, dans son article 3, que les services de la société de l'information fournis par un prestataire étaient assujettis aux dispositions nationales de l'Etat membre sur le territoire duquel il est établi.

C'est ce principe que la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique a transposé dans le droit français. Son article 17 dispose que le commerce électronique (consistant dans la fourniture à distance de biens et services par voie électronique ou dans la fourniture d'informations en ligne) est soumis à la loi de l'Etat membre sur le territoire duquel la personne qui l'exerce est établie, sous réserve de la commune intention de cette personne et de celle à qui sont destinés les biens et services.

Cette disposition entraîne l'obligation d'employer le français dans l'exercice de son activité de commerce électronique à toute personne établie en France, c'est-à-dire au sens qu'en donne l'article 14 de la loi de 2004 précitée :
- à toute personne installée en France d'une manière durable et stable pour y exercer effectivement son activité ;
- à toute personne morale dont le siège social est implanté en France.

Le contrôle du respect de cette obligation par l'administration française et par les agents de la DGCCRF ne devrait pas poser de difficultés.

La question de l'application de l'article 2 de la « loi Toubon » de 1994 aux transactions commerciales passées entre un consommateur français et un prestataire établi dans un autre Etat s'avère en revanche plus délicate. Certes, ce prestataire n'est, en première analyse, pas soumis à la loi française mais à celle de l'Etat dans lequel il est établi. L'article 17 de la loi de 2004 sur la confiance dans l'économie numérique précise toutefois que la compétence de principe de la loi du pays d'établissement ne peut avoir pour effet « de priver un consommateur ayant sa résidence habituelle sur le territoire national de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi française relatives aux obligations contractuelles, conformément aux engagements internationaux souscrits par la France ». L'article 20 de la « loi Toubon » précisant que cette dernière est d'ordre public, ne doit-on pas considérer que le consommateur français peut se réclamer des garanties qu'elle apporte, même quand il procède à un achat par voie électronique auprès d'un prestataire étranger ?

Pour le Sénat, cette exigence paraîtrait paradoxale dans le cas d'un consommateur qui se serait connecté à un site extérieur entièrement rédigé dans une langue étrangère. Elle serait sans doute plus légitime si la transaction en question avait été précédée d'une offre commerciale présentée en français. Au demeurant, ajoute le rapporteur, "le contrôle du respect effectif de cette obligation par un prestataire établi en dehors du territoire national ne pourrait être assuré que par le développement d'une coopération administrative transfrontière entre les services du ministère de l'économie français et ses homologues européens ou étrangers. Il convient donc de les développer".

Le Sénat propose donc de lancer une réflexion pour l'application de ces dispositions au commerce électronique.

Une seule modification proposée

L'article 2 de la loi du 4 août 1994 précise que ses prescriptions s'appliquent à « toute publicité parlée, écrite, ou audiovisuelle ». La notion de publicité audiovisuelle englobait initialement toute forme de publicité empruntant des réseaux électroniques, du fait de la définition très large que donnait de l'audiovisuel la loi n° 86-1667 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Depuis lors, toutefois, la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 sur la confiance dans l'économie numérique a réservé la notion de communication audiovisuelle aux seuls services de radio et de télévision, et érigé en notion distincte la communication au public par voie électronique définie comme « toute mise à disposition du public ou de catégories du public, par un procédé de communication électronique de signes, de signaux, d'écrits, d'images et de sons de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée ».

Pour éviter qu'un doute ne s'installe sur l'application des prescriptions de l'article 2 de la « loi Toubon » à la publicité électronique, la Commission des affaires culturelles propose d'ajouter aux mots « publicité écrite, parlée et audiovisuelle » les mots « publicité par voie électronique ».

jeudi 6 octobre 2005

Redevance pour copie privée : des sites étrangers condamnés à informer le consommateur

Voici une décision très intéressante communiquée par l'excellentissime Cédric Manara car elle aborde une problématique très forte du commerce électronique : les relations commerciales intracommunautaires.

En l'espèce, la Société Rue Du Commerce avait décidé de saisir la justice à l'encontre de plusieurs de ses concurrents étrangers en concurrence déloyale. Le motif : le fait que ces sites proposent des CD et des DVD vierges à des prix inégalables car non grevés de la "redevance pour copie privée". La solution mérite le détour.

Dans un jugement en date du 15 septembre 2005 (prochainement disponible sur Juriscom.net), le Tribunal de commerce de Bobigny a relevé qu'aux termes de l'article L. 311-4, "la rémunération prévue à l'article L. 311-3 est versée par le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires, au sens du 3º du I de l'article 256 bis du code général des impôts, de supports d'enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d'oeuvres, lors de la mise en circulation en France de ces supports".

Le passage au Code général des impôts, nous indique qu'"est considérée comme acquisition intracommunautaire l'obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d'un bien meuble corporel expédié ou transporté en France par le vendeur, par l'acquéreur ou pour leur compte, à destination de l'acquéreur à partir d'un autre Etat membre de la Communauté européenne".

En pratique, un consommateur qui achète un bien dans l'espèce communautaire réalise au sens de ces deux textes une acquisition intracommunautaire. En théorie donc, le consommateur est tenu de faire les démarches afin de s'acquitter de la redevance de copie privée. Encore faut-il qu'il en soit informé (même si nul n'est censé ignorer la loi).

Et c'est ce que relève le Tribunal : "en ne prévenant pas les acquéreurs des conditions particulières auxquelles sont soumis ces produits en France, [les sociétés étrangères] les exposent à commettre l'infraction de contrefaçon ou de recel de contrefaçon, d'autre part, créent l'illusion d'une baisse de prix d'annonce des produits troublant ainsi les cours du marché et entraînant un détournement de clientèle au profit des sociétés implantées en France".

Etant donné qu'il est "évident" qu'à partir du moment où la redevance n'est pas acquittée par le vendeur ou qu'il n'est pas fait mention de l'obligation pour le consommateur de l'acquitter, le prix des produits, quelque soit son mode de calcul, ne peut que bénéficier d'un avantage comparatif par rapport à celui affiché par tout cyber-commerçant établir en France.

Les juges enjoignent donc aux sociétés étrangères - et ceci sous astreinte de 200 euros par jour de retard, de "cesser toute forme de publicité sur offre de CD et DVD à destination du public français qui ne mentionnerait pas, de façon claire et précise, l'obligation pour l'acquéreur situé en France d'acquitter la rémunération pour copie privée et l'indication de son montant par produit". Par ailleurs, ces sites devront faire apposer une mention identique dans leurs conditions générales de vente.

Plusieurs constats peuvent être tirés de ce jugement.

Tout d'abord, les juges rappellent clairement l'obligation pour le consommateur, en cas d'acquisition intracommunautaire, de s'auto-déclarer auprès des organismes de collecte de la redevance pour copie privée sur les supports CD et DVD. Seulement, voici quelques mois, un petit test avait été réalisé (à savoir demander à l'un de ces organismes un formulaire permettant d'opérer une telle déclaration). Résultat, le seul élément communiqué était un formulaire destiné aux importateurs professionnels que le consommateur était bien dans l'impossibilité de remplir. Donc, la mise en oeuvre pratique de la mesure n'est sûrement pas immédiate.

Ensuite, les juges imposent, pour la première fois, à un site étranger des mentions complémentaires dans toute publicité opérée pour un produit. Une telle mesure inédite risque - sans nul doute - de donner quelques idées à d'autres marchands comme imposer aux cybermarchands étrangers de livrer des notices en français (ou d'indiquer qu'aucun mode d'emploi en français n'est envoyé) voire de mentionner que tel produit commercialisé (produits pharmaceutiques, etc.) est interdit sur le territoire français.

Cette décision fait, dans tous les cas, un écho assez intéressant avec l'article 17 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique qui pose un champ d'application large de la loi française en matière de commerce électronique.

Enfin, et à titre anecdotique, je m'arrêterai sur une phrase de ce jugement où l'on peut lire que cette absence d'information a pour effet "d'anesthésier la conscience du consommateur qui ne paye pas le montant de la rémunération pour copie privée". C'est effectivement le juge qui affirme cela mais en reprenant des propos tenus par un lecteur dans le forum de discussion de 01net. Une première sans doute !