lundi 24 janvier 2011

La Commission européenne rappelle son souhait d'instaurer du filtrage pour les contenus pédopornographiques

Alors qu'en France, le cadre juridique permettant un blocage à l'accès de contenus pédopornographiques est en voie d'être définitivement adopté, plusieurs parlementaires européens avaient demandé à la Commission européenne d'apporter des explications quant au soutien, notamment financier, donné au réseau "Circamp", un projet du "COSPOL" (Comprehensive Operational Strategic Planning for Police). Ce réseau vise à lutter contre la distribution commerciale organisée de contenus pédopornographiques.

Une des solutions proposées par le réseau Circamp est de procéder à un blocage de l'accès à certains sites internet. Pour le réseau Circamp, "le blocage de l’accès à des images d’exploitation d’enfants en tant que mesure préventive et en fonction de la législation nationale, par l’introduction du Child Sexual Abuse Anti Distribution Filter (CSAADF)".

Néanmoins, un paragraphe du site internet du réseau Circamp a fait bondir les parlementaires européens. Ce paragraphe revient sur la possibilité de procéder à un blocage d'un nom de domaine (avec le risque de surblocage que cela pourrait entraîner). En effet, le site de Circamp prévoit ceci :
"The CSAADF focuses on blocking on domain level. We believe that this places the responsibility for the content of any domain or sub domain in the hands of the domain owner or administrator. If a domain owner places, accidental or willingly, child abuse material on his/her domain, and it is blocked by the police, the blocking will not be lifted until the material is removed. We believe that this will motivate content providers on the Internet to actively make an effort to avoid files with child sexual abuse on their systems/services. CIRCAMP believes that the police should not function as a moderator of Internet services, removing or blocking out parts of the available content, like an image. One image of a child in a sexual exploitive situation on a domain can/will result in the whole domain becoming unavailable in participating countries until removed. It is our experience that some domain owners/administrators are indifferent to the content they are providing access to, and there is a need for them to make informed decisions as to what content they are distributing and making available on the Internet."
En réponse, Neelie Kroes, Commissaire européenne en charge de la société de l'informatique, répond le 17 janvier 2011 de la manière suivante :
"The Commission provided funding from the Safer Internet programme to the CIRCAMP project for the period 01/11/2008 to 31/10/2010.
The overall aim of this project was to stimulate organised and extensive cross-border exchange of best practice between law enforcement agencies in the fight against production, online distribution and access to child sexual abuse material. In particular, it aimed to share the use of a filtering system. In each country where the tool is implemented, the list of web sites hosting child abuse images is drawn up by national police forces in accordance with the requirements of national law.
The CIRCAMP project did not promote a specific level of blocking; this is decided by the country in question, at domain level in some countries, in others a combination of domain and URL blocking. The project did not have as its objective to put in place a general obligation to monitor, nor have companies felt obliged to put any such system in place as a result of the work of the project. The Commission is not responsible for the CIRCAMP Web site and so it would be inappropriate to comment on its contents.
The Commission has tabled on 29 March a proposal for a Directive on combating the sexual abuse, sexual exploitation of children and child pornography. Child pornography is first and foremost the depiction of an awful crime against a child, and dissemination of child abuse images on the Internet is a gross violation of the child's privacy. Among a number of measures to combat and disrupt it, the Commission has proposed that Member States should, subject to appropriate legal safeguards, take measures to obtain the blocking of access by Internet users in their territory to web pages containing child pornography. The choice of technical tools to meet this obligation remains with Member States."
Ainsi, la réponse rappelle le souhait de la Commission européenne de faire adopter une Directive prévoyant la possibilité pour les Etats membres de procéder au blocage des contenus pédopornographiques.

Source : Réponse écrite de Neelie Kroes à Marietje Schaake, Sophia in't Veld, Alexander Alvaro et Nadja Hirsch, 17 janvier 2011

Droit à l'image : responsabilité en cascade pour l'usage d'une photo achetée sur internet

Voici que le Syndicat des transports d'Ile de France souhaita réaliser une campagne de publicité pour son service Noctilien. Il prit contact avec une agence (Agence Republic), cette dernière décidant de surfer sur la banque d'image Fotolia pour trouver une image (du photographe Laurent H.) mettant en scène Florinda B. afin d'illustrer cette campagne. Découvrant au mois de janvier 2008 cet usage, le modèle décida d'assigner le STIF, qui lui décida d'inviter dans l'affaire son agence Republic, qui elle-même décida de faire intervenir Fotolia, qui décida à son tour d'amener au Tribunal le photographe.

Tout ce petit monde se retrouva donc devant le Tribunal de grande instance de Paris qui a été appelé à essayer de démêler le fil de cette affaire et d'établir les responsabilités de chacun des intervenants.

1er point : y-a-t-il eu une atteinte au droit à l'image de la modèle ?

Florinda B. "explique être mannequin à plein temps depuis le mois de juin 2007 après avoir été "modèle et hôtesse événementielle depuis cinq années", et avoir accepté à la demande de Laurent H. de participer le 13 décembre 2006 à une séance photo en vue d'une éventuelle exploitation à des fins commerciales, le photographe lui ayant antérieurement précisé par mel, versé aux débats, qu'il travaillait pour une banque d'image en ligne, et notamment pour le site internet Fotolia".

Au mois d'octobre 2007, ayant appris que les photographies étaient disponibles sur Fotolia, elle adressera au photographe un courriel lui demandant de la joindre pour "voir ensemble la signature du contrat et l'argent (qu'il lui devait) si (il avait) avez vendu (ses) photos" auquel ce dernier a répondu le 5 janvier 2008 en ces termes : "j'aimerais pouvoir te voir et régler le problème de tes photos".

Le Tribunal relève que "aucune des parties n'établit qu'il y aurait eu un accord sur la chose et le prix entre le modèle et son photographe, alors que l'autorisation d'utilisation de l'image à des fins commerciales doit être expresse et précise avec, le cas échéant, l'indication des usages autorisés ou proscrits par le modèle, du champ géographique envisagé et de la durée maximale d'exploitation, et, en tout état de cause, du mode ou du quantum de rétribution en contre-partie de l'exploitation des droits cédés". Or, pour les magistrats :
"Il est de principe, s'agissant notamment des usages commerciaux de l'image de mannequins professionnels, que cette autorisation soit expresse et limitée dans le temps, la charge de la preuve de l'existence et de la portée de l'autorisation consentie reposant sur celui qui a fait publiquement usage de l'image en cause."

2e point : la responsabilité en "cascade".

Tout d'abord, le Tribunal estime que le premier responsable est le STIF, à savoir l'annonceur ayant fait usage de la photographie litigieuse :
"Ayant fait une exploitation publique et commerciale de la photographie de la demanderesse sans qu'une autorisation valable de l'intéressée ne l'y ait habilité, le STIF a nécessairement- fut-ce de bonne foi- porté atteinte aux droits de cette dernière et engagé de ce chef sa responsabilité sur le fondement de l'article 9 du code civil."
Néanmoins, l'Agence Republic a aussi une responsabilité, dès lors qu'elle est tenue à une obligation de résultat quant à la fourniture des clichés :
"C'est à bon droit que le STIF sollicite la garantie pleine et entière de la société REPUBLIC, agence de communication, tenue à son égard d'une obligation de résultat, laquelle suppose de fournir à son client annonceur un cliché propre à l'usage auquel il était destiné"
Or, l'Agence s'était fournie auprès de Fotolia. Quid de la responsabilité de Fotolia vis-à-vis de l'Agence ? Celle-ci est également retenue, les juges écartant l'application du statut de l'hébergeur à Fotolia.

Pour sa défense, Fotolia indique "qu'elle n'est nullement responsable du contenu de cette plate-forme, se bornant à permettre à des photographes d'y stocker leur production afin de concéder à des personnes physiques ou morales une licence d'exploitation sur ces oeuvres, ne servant que d'entremetteur passif" et donc qu'elle doit bénéficier du régime de responsabilité aménagé prévu à l'article 6.I.2 au profit des "hébergeurs".

Le Tribunal n'est pas de cet avis :
"Ce moyen sera rejeté, la société FOTOLIA LLC n'étant nullement, en l'espèce, un hébergeur de sites internet- auquel seul s'appliquent les dispositions légales invoquées-, mais un service de communication au public en ligne, c'est-à-dire, un site lui-même ("Site Web Fotolia" est-il écrit dans ses conditions générales d'utilisation), qui a défini son objet social, la configuration de ce site, les modalités et les tarifs de licence qu'elle impose aux photographes et à leurs clients potentiels par un contrat d'adhésion qu'elle a seule établi à l'égard des uns et des autres. Il sera notamment relevé qu' elle a mis en place un système de "crédits", mode de paiement du prix de la photographie qui varie de 0,83 à 4,15 euros selon le format du fichier et la licence choisie, qu'elle explique (sa pièce 18) que les fichiers ainsi acquis "pourront être utilisés par le client sans limite de temps ni de nombre de diffusions pour des utilisations aussi diverses que : la publicité, la réalisation de documents professionnels [...]", et que les photographes intéressés perçoivent, pour chaque fichier vendu, une commission compris entre 30 et 61% du prix de vente.
Ayant mis en ligne aux fins de téléchargement à usage commercial des photographies de la demanderesse sans disposer d'une autorisation valable de cette dernière, sa responsabilité sera, à ce titre, retenue."

En conséquence, "c'est à bon droit que l'agence REPUBLIC qui a acquis la photographie
litigieuse par téléchargement du site Fotolia sollicite la garantie contractuelle pleine et entière de la société FOTOLIA LLC", les juges estimant que les clauses des conditions générales du site Fotolia ne permettent pas au site de se dégager de sa responsabilité en la matière.

Et quid du photographe ? Le Tribunal considère que :
"compte tenu des contrats qui la lient avec les photographes, et aux termes desquels Laurent H. a nécessairement consenti puisqu'il lui a adressé un document supposé valoir autorisation d'exploitation de l'image de la demanderesse, la société FOTOLIA LLC sera à son tour intégralement garantie par ce dernier des condamnations pesant sur elle."
Au final, les juges condamnent donc le STIF à verser à Florinda B. la somme de 1.000 euros au titre du préjudice moral et 2.500 euros au titre du préjudice financier. En paralèle, le juge condamne l'Agence Républic à garantir le STIF du paiement de ces sommes, condamne aussi Fotolia à garantir l'Agence Républic du paiement de ces sommes et, in fine, condamne le photographe à garantir le site Internet du paiement desdites sommes.

Source : TGI Paris, 17ech, 10/11/2010, Florinda X c/ Syndicat des transports d'Ile-de-France, SARL Fotolia, Société Fotolia LLC, SARL Republic et Laurent H. (inédit)

dimanche 23 janvier 2011

La Commission européenne communique l'état des lieux du filtrage en Turquie

Un député européen néerlandais avait demandé en novembre 2010 à la Commission européenne de lui communiquer le nombre de sites internet actuellement bloqués par les autorités turques et, en particulier, le nombre de sites internet bloqués en raison de délits d'opinion présumés.

Le 19 janvier 2011, la Commission européenne a indiqué que :
"In May 2007, Turkey enacted Law No. 5651, entitled "Regulation of publications on the internet and suppression of crimes committed by means of such publication". In January 2010, the Report of the Organisation for Security and Co-operation in Europe (OSCE) Representative on Freedom of the Media on Turkey and Internet Censorship found that from the enactment of this law until December 2009, access to approximately 3 700 websites has been blocked in Turkey."
A la demande de la Commission européenne, l'Autorité turque des télécommunications a fourni au mois de décembre 2010 un état des lieux des raisons du blocage :
 
"25.55% sexual abuse of children
1.89% gambling
1.75% providing venues for gambling
0.04% facilitation of drugs
0.24% obtaining substances dangerous for health
1.13% prostitution
0.05% crimes against Ataturk
69.35% obscenity"

Source : Réponse de la Commission européenne à Philip Claeys

jeudi 20 janvier 2011

Jeu vidéo : Ferrari se cambre contre GTA4 et GTA San Andreas

Ferrari a constaté que dans le jeu video Grand theft auto 4 (GTA4), produit par Take Two Interactive, apparaissait un modèle de voiture appelé Turismo construit par la société Grotti, qui d'après elle reprennait les caractéristiques de la Ferrari 360 Modena sur laquelle elle revendique des droits de propriété intellectuelle au titre des dessins et modèles.

Ferrari a fait procéder à des constats d'achat des trois versions du jeu dans des magasins Fnac, ABC Games et Micromania ainsi qu'à des constatations sur les sites Internet exploités par les sociétés Fnac direct et Micromania. Elle a également fait procéder à une saisie-contrefaçon au siège de la société Take two interactive France qui commercialise le jeu en France.

Au mois de mars 2009, elle a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris les sociétés Take two interactive software inc et Take two interactive France et leurs distributeurs : les sociétés Fnac Paris et Fnac direct, Micromania et Micromania France, ABC Games international.

Ferrari leur reprochait des actes de contrefaçon de son modèle de voiture 360 Modena tant sur le fondement du livre V que sur celui du livre I du Code de la propriété intellectuelle. Elle considérait également que les sociétés ont commis des actes de concurrence déloyale distincts car le jeu reprend, outre les caractéristiques de la Ferrari 360 Modena, d'autres éléments faisant référence à l'univers Ferrari tel qu'un logo représentant un cheval assis dans un écusson inversé, une écriture du nom Turismo reprenant le graphisme de la marque Ferrari et le nom même Grotti renvoyant à Ferrari.

Enfin, Ferrari engageait une action à l'encontre des défendeurs pour atteinte à son image car la voiture Turismo est intégrée à "un jeu violent et vulgaire auquel elle ne souhaite pas être associée. Par ailleurs, le cheval assis et le nom Grotti qui en langue anglaise signifie minable, renvoient une image dégradée de la société Ferrari". Au cours de la procédure, Ferrari décida d'étendre son action également vis à vis du jeu GTA San Andréas "faisait apparaître, toujours sous le nom Turismo mais avec un écusson représentant un lapin debout, un autre de ses modèles déposés la Ferrari F40".

En ce qui concerne l'existence des droits de propriété intellectuelle, les juges du Tribunal de grande instance relèvent que :
"Ainsi un véhicule protégé par le droit des modèles ou par celui des droits d'auteur ne peut être considéré comme contrefait que lorsque la combinaison particulière de caractéristiques qu'il revendique se trouve reproduite".
En ce qui concerne le modèle Modena 360 de la Ferrari, les juges estiment que "en l'espèce, si on peut admettre que le devant du Turismo reprend la plupart des caractéristiques de l'avant de la Modena 360 (tout en n'en constituant pas une copie servile), il y a lieu de constater que l'arrière est très différent ( phares rectangulaires, grille d'aération centrale, deux pots d'échappement centraux ) et qu'en particulier les feux ronds spécialement attachés à l'image de la Ferrari, ne sont pas repris" et ainsi, "il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'il existe des points communs entre les deux véhicules en cause mais que, néanmoins, le véhicule Turismo qui notamment a un arrière très différent de celui de la Modena 360 ne reproduit pas la combinaison d'éléments ornementaux qui confère à celle-ci son caractère propre et son originalité de telle sorte que la contrefaçon n'est pas caractérisée, chacun des véhicules présentant une physionomie distincte". De même, les juges estiment qu'il n'y a point de contrefaçon pour le modèle F40.

Sur le terrain de la concurrence déloyale, les juges ont une approche différente. Ils relèvent que :

Dans le jeu GTA 4, la société Ferrari relève sur le véhicule litigieux, la présence d'un logo représentant un cheval assis dans un écusson renversé ainsi que le graphisme de Turismo avec la barre du T se prolongeant au dessus de l'ensemble des lettres composant le mot. Enfin, elle soutient que le nom Grotti attribué au constructeur de la Turismo évoque le nom Ferrari.
Il n'est pas contesté que le cheval cabré souvent représenté dans un écusson est emblématique de la société Ferrari et qu'il bénéficie de la notoriété acquise par les voitures de sport et de course de la marque.
Il est par ailleurs incontestable que le graphisme choisi pour le mot Turismo est très semblable à celui de la marque Ferrari avec la barre supérieure de la première lettre s'étendant sur l'ensemble du mot.
Le cheval assis, le graphisme de Turismo ainsi que la consonnance italienne du nom Grotti, le tout associé à un véhicule automobile de sport ayant certaines caractéristiques communes avec le véhicule Ferrari, ne peut qu'inciter le joueur à faire un rapprochement entre la Turismo et la Modena 360.
Ainsi même si d'autres constructeurs automobiles ont choisi un cheval (Ford Mustang, Porsche) pour symboliser la puissance de leurs moteurs, la pluralité et la concordance des éléments évocateurs de la Ferrari conduiront le joueur à ne retenir qu'un seul véhicule : le modèle Ferrari qui lui paraîtra le plus proche du véhicule Turismo présent dans le jeu.

Et ainsi, ils en déduisent que :

Ces rapprochements ou associations ne provoquent aucune ironie ou dérision chez les joueurs et qu'ils considèrent seulement qu'il leur est ainsi proposé la conduite virtuelle d'un véhicule Ferrari prestigieux, sous couvert du modèle turismo.
Ainsi loin d'avoir un but parodique, les rapprochements avec l'univers Ferrari ont pour objet de conférer aux jeux un intérêt supplémentaire consistant à offrir aux joueurs la possibilité de conduire des véhicules qu'ils assimileront à des Modena 360 ou des F40, ce qui procure un avantage commercial au profit des exploitants de ces jeux.
Aussi, il y a lieu d'admettre l'existence d'actes fautifs de parasitisme au préjudice de la société Ferrari

Concernant l'atteinte à l'image, le Tribunal relève que :
Les jeux GTA adaptés aux adultes présentent des scènes de violence ou à connotation sexuelle avec des prostituées ou des strip-teaseuses.
Selon le système européen d'information sur les jeux PEGI, le jeu GTA4 est destiné aux adultes en raison de la présence de scènes violentes, de la référence à la consommation de drogues et de l'usage d'expressions grossières et le jeu GTA San Andréas en raison de la présence de scènes de violence et de l'usage d'un langage grossier.
Or ainsi qu'il a été relevé ci-dessus, les joueurs effectuent un lien entre les modèles Turismo et les véhicules Ferrari de telle sorte que ceux-ci se trouvent associés à l'univers particulièrement violent des jeux GTA, contre la volonté de la société Ferrari.
Ces jeux ont fait l'objet de critiques favorables où ils sont décrits comme cachant une satire culturelle, violente, intelligente, profane, attachante, odieuse et espiègle riche, profonde et convaincante (New York times), dont la beauté et la richesse des décors sont particulièrement soulignées (Direct soir).
Néanmoins la violence est incontestable et seule la société Ferrari peut décider ou non d'associer l'image de ses produits à un tel univers. Par ailleurs, le fait que ses véhicules puissent être associés contre son gré à des épisodes violents ne saurait lui être opposé.
Le caractère parodique du jeu ne saurait exclure la faute dès lors que la présence de véhicules faisant référence à l'univers Ferrari a pour objet de procurer un avantage commercial au producteur du jeu en suscitant l'intérêt des joueurs par la perspective de conduire les véhicules prestigieux de la demanderesse.
Au final, le Tribunal de grande instance de Paris considère que les sociétés Take two interactive Software inc, Take two interactive France , les sociétés Fnac et Fnac direct, Micromania et Micromania France, ABC Games international en commercialisant en France des jeux GTA 4 et GTA Andréas ont commis des actes fautifs de parasitisme et ont porté atteinte à l'image des produits de la société Ferrari.

Il les condamnent solidairement et au total à 100.000 euros de dommages et intérêts. Il enjoint, sous astreinte de 2000 euros par jour de retard et par jeu, à Take Two Interactive de cesser la commercialisation des jeux GTA4 et GTA San Andreas avec les éléments critiqués par Ferrari et de diffuser sur son site internet ou par l'intermédiaire d'une mise à jour du jeu un correctif pour supprimer :
- du jeu GTA4 les références à un cheval assis, au terme Grotti et à une marque dont la lettre initiale est filante sur les lettres suivantes à la manière du logo Ferrari associés au modèle de voiture automobile Turismo,
- du jeu GTA San Andréas les références à un lièvre cabré et au terme Grotti associés au modèle de voiture automobile Turismo.

Source : TGI Paris, 3ech, 25/11/2010, Ferrari SPA c/ Take Two Interactive Software Inc, Take Two Interactive France, Micromania, Micromania France, ABC Games International, FNAC Paris et FNAC Direct (inédit)

mardi 18 janvier 2011

La Commission européenne estime que le mécanisme HADOPI est conforme au droit européen

Interrogée par un député européen néerlandais, la Commission européenne est revenue le 14 décembre 2010 sur l'adoption et la mise en oeuvre par la France de la loi Hadopi et de la possibilité pour un internaute de voir son accès à l'internet être coupé après deux avertissements (principe dit du "Three strikes out").

Dans sa réponse donnée par Neelie Kroes, Commissaire européen en charge de la société de l'information, la Commission européenne apporte les éléments suivants :
First, the Commission would like to recall that the regulatory framework for electronic communications as amended in 2009 provides that measures taken by Member States regarding end-users’ access to or use of, services and applications through electronic communications networks shall respect the fundamental rights and freedoms of natural persons, as guaranteed by the European Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms and general principles of Community law. Any of these measures regarding end-users’ access to, or use of services and applications through electronic communications networks liable to restrict those fundamental rights or freedoms may only be imposed if they are appropriate, proportionate and necessary within a democratic society, and their implementation shall be subject to adequate procedural safeguards in conformity with the European Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms and with general principles of Community law, including effective judicial protection and due process.
The French model (i.e. HADOPI or the ‘Three-Strike law’) was discussed between the French authorities and the Commission on several occasions. In the absence of any complaint and based on the information currently at its disposal, the Commission has no grounds to believe that the French scheme is contrary to EC law.
The French highest jurisdiction — the Constitutional Council — expressly recognised in its decision of 10 June 2009(2) that access to the Internet nowadays is part of the fundamental freedom of expression and communication to the extent that Internet services allow participation in democratic life and the expression of ideas and opinions. As it touches upon a fundamental freedom, Internet access can only be suspended through a decision of a judicial authority.
Finally, the Commission is not aware of any attempt from the French authorities to export their national approach to copyright enforcement to other Member States.
The existing acquis does not impose any ‘Three-Strike rule’ or graduated response systems but is flexible to allow different EU countries to have different approaches, while fully respecting fundamental rights, freedoms and civil liberties. In this respect, the text of the Anti-Counterfeiting Trade Agreement (ACTA) is fully in line with the EU acquis.
La Commission européenne apporte ainsi deux précisions. Tout d'abord, et en l'absence de toute plainte ou recours devant les instances communautaires, il apparaît que la législation française demeure compatible avec le droit communautaire. Ensuite, selon la Commission, la France ne chercherait pas à étendre son approche de la protection des droits de propriété intellectuelle dans les autres Etats membres.

Source : Réponse écrite de Neelie Kroes à Laurence J.A.J. Stassen, 14 décembre 2010

Une cession de droit d'auteur pour une application Iphone n'inclut pas automatiquement l'Ipad et l'Ipod

Un graphiste crée en 2007 un petit personnage dénommé "Carl". Ce personnage intéresse la société AWYSE qui est spécialiste dans la programme pour applications sur Iphone. En septembre 2009, le graphiste conclut avec la société AWYSE un "contrat de commande et de cession de droits d'auteur relatif à une oeuvre multimédia de composition" portant sur le personnage Carl et une oeuvre multimédia de composition. En parallèle, la société AWYSE a conclu avec un développeur un contrat de cession de droit d'auteur portant sur une "application multimédia (logiciel) dédiée à l'Iphone sur la base du scénario "Carl".

Cette application "Talking Carl" est commercialisée à partir du 8 décembre 2009 sur Itunes et fait l'objet, au 30 avril 2010, de 598.150 téléchargements au prix de 0.99 dollars.

Constatant l'exploitation de l'application "Talking Carl" sur Ipod, le graphiste demanda le 2 février 2010 à la société AWYSE de stopper la possibilité de télécharger cette application sur les produits autres que l'Iphone. Constatant en mai 2010 la poursuite de la commercialisation de l'application sur les Ipod et Ipad, le graphiste décida au mois d'août 2010 d'assigner la société AWYSE.

Par jugement en date du 16 novembre 2010, après avoir constaté la protection au titre du droit d'auteur du personnage "Carl", les tribunaux ont analysé - au regard du contrat de cession - si la société AWYSE avait commis des actes de contrefaçon.

Pour le tribunal :
Aux termes de l'article 6 du "contrat de commande et de cession de droits d'auteur relatif à une oeuvre multimédia de composition" conclu le 17 septembre 2009 entre la société AWYSE et Monsieur X, celui-ci a cédé ses droits patrimoniaux, de reproduction, de représentation, d'utilisation, de diffusion, de modification, de traduction et d'incorporation sur le personnage Cari et sur l'oeuvre multimédia "exclusivement et uniquement en vue de la création, de la commercialisation et de l'utilisation du logiciel sur les smartphones". Par ailleurs, l'annexe 3 du contrat "scénario et modalités d'application" représente un téléphone Iphone et décrit au vu du scénario ses fonctionnalités.
La société AWYSE soutient que l'Ipad et l'Iphone constituent des smartphones puisqu'ils peuvent grâce à la fonction wifi permettre de téléphoner et que la restriction au smartphone constitue une erreur du rédacteur du contrat.
Elle ne conteste pas la définition du smartphone donnée par le demandeur, à savoir un téléphone intelligent, ni le fait qu'un Ipod permette à son utilisateur d'écouter de la musique. Le seul fait qu'au vu de l'article du 18 août 2010, extrait du site <01net.com>, il existe un gadget chinois qui transforme l'Ipod en téléphone et dont 150 prototypes ont été utilisés ne suffit à établir qu'un Ipod, qui n'est pas un téléphone et a des fonctionnalités techniques différentes de celui-ci, constitue au sens du contrat un smartphone. En effet, en suivant le raisonnement de la société AWYSE, n'importe quel objet doté d'un gadget similaire deviendrait un téléphone alors qu'il convient d'interpréter strictement le contrat qui a force de loi entre les parties et de ne pas le dénaturer.
Par ailleurs, s'il résulte des pièces versées au débat que Monsieur X avait connaissance du téléchargement de son application sur des Ipod, elle ne suffit pas à caractériser son consentement pour étendre le champ contractuel des droits cédés, d'autant qu'il se plaignait de l'inadaptation technique de ce support.
Il n'est pas contesté par la société défenderesse que la commercialisation de l'Ipad, ordinateur doté d'un écran tactile, a débuté le 28 mai 2010 si bien que le contrat du 17 septembre ne pouvait prévoir ce support.
La société défenderesse, qui s'abstient de produire au débat le contrat la liant à la société APPLE, ne rapporte pas la preuve de l'impossibilité d'interdire l'achat par le consommateur d'une application pour un support Ipod ou Ipad. En effet, les conditions générales de vente sur Itunes qu'elle produit, et qui indiquent que les produits peuvent être stockés sur différents appareils, s'adressent aux acheteurs potentiels. En revanche, il résulte du "guide du développeur" d'Itunes (version de septembre 2009), versé au débat par le demandeur, que celui qui soumet une application a la possibilité de sélectionner le support et donc, partant, d'en exclure certains.
En conséquence, le Tribunal considère que la société a commis des actes de contrefaçon en permettant le téléchargement de l'application sur l'Ipod et l'Ipad, alors que le créateur n'avait autorisé cet usage que sur l'Iphone.

Pour apprécier le préjudice à réparer, les juges relèvent que "au vu des échanges entre acheteurs de l'application versés aux débats, certains d'entre eux ont fait part de leur mécontentement du fait de son absence de compatibilité avec certains modèles d'Ipod". Ils évaluent donc le préjudice moral de l'auteur à hauteur de 8000 euros.

En outre, le Tribunal interdit à la société AWYSE d'exploiter l'oeuvre graphique "Carl" sur supports Ipod et Ipad sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard.

Cette solution classique permet de nouveau de rappeler l'importance, dans tout contrat de cession de droit d'auteur de préciser les usages pour lesquels les droits d'exploitation sont cédés.

Source : TGI Paris, 3ech, 16 novembre 2010, Yann X c/ SARL AWYSE et Simon Y.

mercredi 5 janvier 2011

SFR devra payer 20.000 euros pour ne pas avoir rétabli un accès à internet

Telle est la sanction financière prononcée récemment par la juridiction de proximité de Vienne à l'encontre de SFR et qui a été confirmée par la Cour d'appel de Grenoble. En l'espèce, par jugement en date du 20 décembre 2007, le juge de proximité de Vienne avait ordonné à la société Neuf Cegetel (devenue maintenant SFR) de rétablir l'abonnement téléphonique et d'accès à l'internet souscrit par un particulier.

Le juge ordonnait ce rétablissement dans un délai de 8 jours à compter de la notification du jugement et ceci sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Le 25 avril 2008, le particulier décidait d'assigner Neuf Cegetel devant le juge de proximité de Vienne pour voir être liquidée l'astreinte.

Par décision en date du 12 janvier 2009, le juge de proximité était saisi d'une exception d'incompétence par la Neuf Cegetel et renvoyait donc l'examen de cette exception devant le Tribunal d'instance de Vienne. Neuf Cegetel estimait en effet que seul le Tribunal de grande instance pouvait statuer sur la liquidation de l'astreinte.

Par jugement en date du 19 juin 2009, le Tribunal d'instance de Vienne déclarait la juridiction de proximité de Vienne compétente pour connaître de ce litige. Il rejetait donc l'exception d'incompétence et dit que cette décision était rendue de manière contradictoire et comme étant insusceptible de recours. Le 28 mai 2010, SFR décida de former un "contredit" contre ce jugement estimant que seul le Tribunal de grande instance de Vienne pouvait connaître de ce litige. Le 8 novembre 2010, la Cour d'appel de Grenoble rejetait ce recours dès lors qu'aucune voie de recours n'est ouverte à l'encontre de jugement portant sur la propre compétence du tribunal.

La conséquence de ce rejet pour SFR n'était pas neutre. En effet, entre temps, le juge de proximité de Vienne avait rendu son jugement en date du 26 avril 2010 liquidant l'astreinte à hauteur de 20.000 euros. Il ne fait donc pas de doute que l'exécution de la mesure ordonnée en 2007 par le juge n'a sans doute pas été très rapide....

Source : CA Grenoble, 08/11/2010, SFR c/ Christophe X (inédit)

mardi 4 janvier 2011

De l'appréciation de l'utilisation abusive du téléphone portable et de la messagerie électronique professionnels

Une salariée avait fait l'objet d'un licenciement pour faute grave, l'employeur lui reprochant une utilisation abusive des outils professionnels mis à sa disposition (messagerie professionnelle et téléphone portable). Elle décida de contester ce licenciement devant le conseil de prud'hommes de Valence, qui par jugement du 20 janvier 2010 a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse mais non sur une faute grave et a condamné son ex-employeur à lui verser diverses indemnités. La salarié décida de faire appel de ce jugement estimant que le licenciement ne reposait sur aucune faute.

L'employeur reprochait deux fautes à la salariée : une utilisation abusive de la messagerie professionnelle à des fins personnelles et une utilisation abusive du téléphone portable mis à sa disposition.

En ce qui concerne l'utilisation abusive de la messagerie électronique, l'employeur reprochait à la salarié d'avoir envoyé un email à son supérieur hiérarchique intitulé "On aurait besoin d'un chef comme lui", accompagné d'une pièce jointe reproduisant divers propos sur l'immigration, attribués au

premier ministre australien. L'employeur estima que ce message était "contraire à ses valeurs et à son image et dénonce en même temps l'utilisation de la messagerie professionnelle à des fins personnelles". De son côté, la salarié expliqua que "par mégarde, elle a fait suivre à son supérieur hiérarchique le message qui était destiné à l'une de ses connaissances, ce que l'employeur ne conteste d'ailleurs pas".

La Cour d'appel retient que "la réalité de l'erreur est établie par la formulation du message de transmission qui est la suivante : 'Bonjour Jean-Jacques, Voila les pensées de mon père. Chacun sa terre promise.'".

En outre :
"Attendu d'une part que rien dans le règlement intérieur de l'entreprise n'interdit aux salariés de se servir de leur messagerie professionnelle pour envoyer ou recevoir des messages à caractère personnel ;
qu'il ne peut donc être reproché à la salariée d'avoir fait suivre à un tiers le message qu'elle avait reçu de son père ;
qu'il importe peu en l'espèce que par suite d'une erreur, le message ait été expédié à l'adresse professionnelle de son supérieur hiérarchique , alors que ce dernier n'est en rien visé ou concerné par le contenu du message"
Et que même si l'employeur "juge le contenu du message intolérable voire scandaleux et contraire à ses valeurs, il n'en demeure pas moins qu'en dépit de l'erreur de transmission, il s'agit d'un message privé dont elle ne peut faire état". Dans ces conditions, les juges estiment que le grief exposé par l'employeur n'est pas sérieux.

En ce qui concerne l'utilisation abusive du téléphone portable, l'employeur indique que "la facture de téléphone s'élevait à 534,77 euros pour le mois d'août 2008 et estime que sur cette somme, 'plus de 230 euros' correspondent à des appels personnels" néanmoins sans produire un quelconque relevé corrobant ses affirmations.

Néanmoins, la salariée admet avoir utilisé son téléphone professionnel "pendant son déplacement en Egypte au mois d'août 2008 car s'est trouvée dans l'obligation de joindre son père malade". Pour les juges, "cette situation se rattache en tout état de cause aux cas graves et urgents dans lesquels le règlement intérieur autorise l'usage du téléphone professionnel à des fins privées"

Et surtout, les juges relèvent que l'employeur n'ayant pas fourni de carte SIM afférente à son abonnement téléphonique professionnel, la salariée a été contrainte de faire elle-même l'acquisition d'un téléphone portable pour le prix de 189 euros.

Dès lors, les juges estiment que

"Attendu qu'une entreprise qui impose à une salariée de faire l'acquisition d'un matériel destiné à un usage professionnel, est pour le moins mal venue de reprocher à cette même salariée, une utilisation personnelle au demeurant non chiffrée, de son abonnement téléphonique".
La Cour d'appel estime donc que le licenciement était dépourvu de toute cause sérieuse. Elle condamne l'employeur à verser 45.000 euros à la salariée licenciée abusivement et au remboursement des allocations chômage versées pendant 6 mois.

Source : CA Grenoble, 22/11/2010, Catherine X c/ SAS BCBG Max Azria Group (inédit)

lundi 3 janvier 2011

Faux chèque de banque : les juges ne retiennent plus la responsabilité de la banque

Fraude à la nigériane. C'est souvent par cette dénomination que sont désignées ces fraudes qui se développent depuis de très nombreuses années sur internet. Le but est simple : convaincre un internaute d'adresser à l'escroc (ou à ses complices ou mules) de l'argent liquide par l'intermédiaire d'un système non traçable (comme par exemple Western Union). Après, les moyens utilisés sont multiples : faire croire que l'on a reçu un important héritage et que l'on a besoin d'aide pour le faire sortir du pays, se présenter comme le vendeur d'un véhicule et obtenir de la victime une partie du montant de la vente avant que celui-ci prenne possession du véhicule, etc... L'imagination des fraudeurs est sans limite.

Face à ces pratiques, des victimes ont été amenées à agir en justice. Non pas à l'encontre des escrocs mais à l'encontre de leur banque. Pour quelle raison ? Pour toutes les victimes, la banque aurait manqué à ses obligations et devoirs (devoir de conseil, devoir d'information, etc.) en laissant leur client ainsi retirer du liquide et l'envoyer à un parfait inconnu à l'autre bout du monde.

Au cours de l'année 2010, de nombreux magistrats ont eu l'occasion de se pencher sur cette problématique. On va essayer de synthétiser ici les réponses. Elles sont plutôt simples : le juge retient de moins en moins la responsabilité de la banque par rapport aux années 2006 et 2007 où cette responsabilité était plus souvent retenue.

5 mai 2010 - Cour d'appel de Besançon
Un internaute vend un véhicule au prix de 1000€. Il reçoit alors un chèque de 7.500€ qu'il dépose sur son compte le 25 avril 2006. Le 27 avril 2006, il débite la somme de 6.500 € pour la transférer au "pseudo-transporteur" ainsi que 1.000 € car l'acheteur décidait d'annuler l'achat. Les deux montants étaient transférés par Western Union. Le 3 mai 2006, le chèque s'avère être impayé.

Pour la Cour d'appel de Besançon :
"Il convient en effet de souligner les circonstances très particulières de la transaction qui aurait dû inciter à une vigilance toute particulière puisque son acquéreur, dénommé Clarke Curtis, titulaire d'une adresse e-mail au Royaume-Uni, lui a adressé un chèque au nom d'un tiers tiré sur une banque française en l'occurrence La Poste, et aurait envisagé d'exposer des frais de transport équivalent à plus de six fois le prix d'achat, pour le compte d'un agent maritime établi quant à lui aux États-Unis. L'inscription immédiate en compte d'un chèque est un usage bancaire qui n'engage pas la responsabilité du banquier,en cas d'absence de provision, sauf faute caractérisée de celui-ci.
Il apparaît en outre que le particulier a procédé au retrait de cette somme dans son intégralité dès le surlendemain du dépôt de ce chèque pour le moins suspect, alors qu'il ne justifie d'aucune urgence particulière à mener cette opération ; sa banque, en l'absence d'information particulière, n'avait, le 27 avril 2006, aucune raison légitime de s'y opposer et force est de constater que c'est uniquement par l'effet de cette précipitation sur laquelle il ne s'explique pas que le particulier s'est trouvé piégé par l'escroquerie de son acquéreur."

La responsabilité de la banque n'est pas retenue.


6 mai 2010 - Cour d'appel de Paris
Une personne met en vente son véhicule au prix de 5500 €. Elle reçoit de la part d'un acheteur hollandais un chèque de banque d'un montant de 9000€ tiré sur une banque irlandaise. Elle encaisse ce chèque le 31 décembre 2004. Le 12 janvier 2005, elle retire 3500 € pour verser cette somme par Western Union à une personne se présentant comme le transporteur. Le 4 février 2005, la Société Générale est informée que le chèque de banque est un faux et procède au débit du compte bancaire.

Pour la Cour d'appel de Paris :
"la banque qui reçoit un chèque de banque qui n'est pas grossièrement falsifié n'est pas tenue à un devoir de précaution particulier; qu'il n'est pas établi qu'à la date où le chèque a été remis, l'attention des banques ait été attirée par les opérations douteuses commises au nom de cette banque irlandaise, l'article de presse versé aux débats étant en date de mai 2005; qu'en revanche, la bénéficiaire du chèque aurait du être alertée par le modus operandi pour le moins étrange"
La responsabilité de la banque n'est pas retenue.

06 mai 2010 - Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Un internaute met en vente sa moto au prix de 2700€. Un acheteur lui envoie un chèque de banque d'un montant de 7.900€ tiré sur une banque britannique. Le 15 octobre 2005, il encaisse le chèque. Le 27 octobre 2005, il débite la somme de 5.200 € pour la faire parvenir à l'acheteur par Western Union. Le 29 octobre 2005, le chèque revient impayé.

Pour la Cour d'appel d'Aix-en-Provence :
"Attendu que si le chèque litigieux n'a été crédité au compte le 19 octobre 2005 (date de valeur) que sous réserve d'encaissement, il apparaît que la Caisse d'Epargne a manqué à son obligation d'information et de conseil en permettant à son client d'effectuer un retrait en espèces de 5.500 euros le 27 octobre 2005 alors que son compte était à cette date débiteur en raison de la contre-passation du chèque au débit pour 7.900 euros (date de valeur 26 octobre 2005) et que l'intéressé ne bénéficiait d'aucune autorisation de découvert.
Attendu que la Caisse d'Epargne qui en sa qualité de professionnel connaissait nécessairement ce type de fraude très répandu et n'a pas alerté son client sur la possibilité qu'il soit victime d'une escroquerie, a manqué à son obligation de mise en garde"
La responsabilité de la banque est retenue.

10 juin 2010 - Cour d'appel de Rouen
Un internaute propose à la vente son véhicule sur internet au prix de 8600€. Il entre en contact avec un acheteur domicilié au Royaume-Uni qui lui adresse un chèque de banque d'un montant de 13.000€ comprenant 4.400€ pour les frais de transport et de livraison. Le 11 décembre 2006, le chèque était encaissé. Le 15 décembre 2006, il débitait de son compte la somme de 4.400 € pour la verser au pseudo-transporteur via Western Union.

Pour la Cour d'appel de Rouen :
"Un établissement bancaire est tenu d'une obligation de vigilance ; qu'à ce titre, elle doit vérifier la régularité formelle d'un chèque remis à l'encaissement. 
(...)
Qu'il n'est pas établi que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel soit adhérente de l'Association Française de Banques qui aurait alerté ses adhérents sur des escroqueries effectuées au moyen de chèques de banque de la Bank of Ireland et ait été destinataire des informations du même ordre diffusées par le CCF ; que de façon pertinente, le premier juge a relevé qu'il s'agissait, concernant le CCF d'une escroquerie spécifique à cet organisme bancaire ;

(...)
Le particulier n'a pas caractérisé de manquement de la banque à son obligation de vigilance, son préjudice résultant de sa propre imprudence"
La responsabilité de la banque n'est pas retenue.


4 novembre 2010 - Cour d'appel de Pau
Une internaute entre en contact avec une certaine Jennifer Smith qui se présente comme propriétaire d'une compagnie textile à Londres ayant besoin de trouver quelqu'un susceptible d'encaisser pour son compte le paiement de ses clients européens. Ainsi, l'internaute encaissait les chèques, se conservait une commission de 10% et renvoyait l'argent restant à Jennifer Smith par Western Union. Le 2 mai 2007, elle remet un premier chèque de 7000 € émis par Bank of Scotland. Le 24 mai, elle procède au retrait de 6300 €. Le 18 juin, elle est informée du fait que le chèque était un faux.

Pour la Cour d'appel de Pau :
"En tout état de cause, le banquier n'a pas à s'immiscer dans la gestion des affaires de son client et Madame X n'a pas indiqué au banquier les conditions dans lesquelles le chèque lui avait été remis. Il ressort des échanges entre Madame X et Mademoiselle SMITH, sur le net que Madame X a accepté de procéder à cette transaction sans demander aucune garantie, elle n'a pris aucun renseignement sur son interlocuteur et sur la société de textile. Elle ne s'est pas inquiétée lorsque son interlocuteur qui habitait normalement aux Etats-Unis lui a demandé d'expédier le mandat au Nigéria. Aucune faute ne peut être reprochée à la banque.
(...)
Madame X indique que la banque n'a pas respecté le délai de l'article L.131-49 du code monétaire et financier et qu'elle a procédé à une contre passation abusive en procédant plus d'un mois et demi après la remise du chèque à la contre passation du chèque litigieux. Or, le chèque en cause n'a pas été émis en France et il n'était pas payable en France. Cet article n'est pas applicable à l'espèce. Il n'existe pas de délais d'encaissement particuliers pour les chèques payables à l'étranger."

La responsabilité de la banque n'est pas retenue.


8 novembre 2010 - Cour d'appel de Colmar
Le 7 mai 2007, un internaute déposait un chèque de 5.500€ sur son compte bancaire et procédait à divers retraits pour procéder à des virements via Western Union. Par la suite, le chèque s'avéra être un faux.

Pour la Cour d'appel de Colmar :
"Si la banque a l'obligation de vérifier la régularité formelle du chèque remis à l'encaissement, elle ne peut se substituer à ses clients pour leur interdire de disposer des fonds avant que le compte soit crédité.
(...)
Ses conclusions démontrent qu'elle a fait preuve d'une grande naïveté en acceptant d'adresser des fonds par l'intermédiaire de Western Union alors que les conséquences de ce mode de paiement sont immédiates. La seule identité du bénéficiaire du virement suffisait à la rendre méfiante. Son correspondant par internet disait se nommer Nicholas Ellis alors que le virement a été effectué au nom de Marcus Smith. La Caisse d'Epargne n'avait pas le pouvoir de lui interdire de disposer des fonds avant l'encaissement du chèque. Si ce type d'escroquerie apparaît fréquent, l'appelante ne peut faire de comparaison avec d'autres banques françaises car le chèque était tiré sur une banque existant réellement".

La responsabilité de la banque n'est pas retenue.


Et en ce qui concerne la responsabilité de la Banque Postale ou de Western Union ?

26 avril 2010 - Cour d'appel de Douai

Une personne adresse via Western Union de l'argent à une connaissance située au Royaume-Uni. Il apparaît que les sommes sont retirées par une personne, n'étant pas le bénéficiaire légitime. 

Pour la Cour d'appel de Douai : 
"Les parties sont donc liées par un contrat de dépôt tel que définit par les articles 1921 et 1937 du code civil. En application de ces textes, la Banque Postale a l'obligation de rendre identiquement le chose qu'elle a reçue, à celui qui a été indiqué pour la recevoir, et elle reste tenue de son obligation envers son client qui lui a confié les fonds, même si elle n'a commis aucune faute, sauf à démontrer pour s'exonérer de sa responsabilité, que le déposant a commis une faute. 
(...)
Dans ces conditions, en l'absence de toute faute prouvée du déposant, la Banque Postale ne s'exonère pas de sa responsabilité en tant dépositaire des fonds dont son correspondant s'est défait sur présentation d'un faux bénéficiaire et sans justifier avoir effectué les vérifications d'identité indispensables".

La responsabilité de la banque est retenue.


8 juillet 2010 - Cour d'appel de Rennes
Un internaute décide d'acheter un véhicule sur internet et son choix s'arrête sur une Audi au prix de 13.900€. Le 18 février 2005, il fait un premier virement bancaire d'un montant de 4320€ au propriétaire du véhicule. Le 22 février 2005, il adresse la somme de 10.080€ par l'intermédiaire de Western Union à une de ses connaissances. Or, les sommes sont retirées sans l'intervention de ladite connaissance. En effet, le vendeur avait obtenu une copie des bordereaux Western Union. Le véhicule ne sera jamais livré.

Pour la Cour d'appel de Rennes :
"Le contrat passé entre la Banque Postale et Monsieur X consiste en un dépôt aux fins de transfert de fonds et remise à un destinataire demeurant à l'étranger. Et par application des articles 1932 et 1937 du code civil, le dépositaire est tenu de restituer à l'identique la chose déposée, à celui qui la lui a confiée ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait ou à celui qui a été indiqué pour la recevoir.
En vertu de ces textes, la Banque Postale reste tenue de son obligation de restitution envers le client qui lui a confié les fonds, même si elle n'a commis aucune faute, sauf à établir la faute du déposant ou d'un préposé de celui-ci. Elle se trouve tenue par ailleurs d'une obligation de moyens pour vérifier ou faire vérifier par son partenaire l'identité du bénéficiaire de la remise des fonds.
(...)
La fourniture par Monsieur X des renseignements figurant sur le bordereau d'envoi n'établit pas en elle-même la volonté de contourner les règles conventionnelles, mais elle a permis par contre la rédaction et la présentation d'un bordereau de réception portant toutes les mentions nécessaires à la remise des fonds.

Il reste que la Banque Postale en tant que dépositaire se trouve tenue d'assurer la remise des fonds, par son partenaire, au bénéficiaire désigné par l'expéditeur, en procédant à la vérification de son identité. La carte d'identité présentée n'est certainement pas celle de Monsieur Y et le contrôle de concordance entre l'identité du bénéficiaire et celle du porteur de la carte d'identité présentée n'a manifestement pas été effectué.
L'imprudence fautive de Monsieur X mais aussi la négligence fautive de la Banque Postale ont contribué à la remise de fonds litigieuse, chacune des parties engageant pour moitié sa responsabilité"
La responsabilité de la banque est retenue partiellement.


Que retenir de toutes ces décisions ? Il apparaît clairement que le juge est de plus en plus réticent à retenir une quelconque responsabilité de la banque. Si la banque est tenue à une obligation d'information et de conseil, elle reste également tenue à une obligation de non ingérence dans les affaires du titulaire du compte. Néanmoins, au niveau de l'outil utilisé pour procéder au virement litigieux, il apparaît que les rares juges qui ont été amenés à statuer sur le sujet ont retenu la responsabilité de l'outil de transfert en ce qu'il a manqué à l'obligation de vérifier que le légitime destinataire des fonds était bien la personne se présentant au guichet.

Sources :
CA Besançon, 05/05/2010, Anthony X c/ SA Caisse d'Epargne de Franche-Comté (inédit)
CA Paris, 06/05/2010, Société Générale c/ Rita X (inédit)
CA Aix-en-Provence, 06/05/2010, Bernard X c/ SA Caisse d'Epargne de Prévoyance de Côte d'Azur (inédit)
CA Rouen, 10/06/2010, Benjamin X c/ Caisse régionale du Crédit agricole mutuel de Normadie Seine (inédit)
CA Pau, 04/11/2010, Véronique X c/ Caisse régionale du Crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne (inédit)
CA Colmar, 08/11/2010, Marie-Claire X c/ Caisse d'Epargne et de Prévoyance d'Alsace (inédit)
CA Douai, 26/04/2010, SA Banque Postale c/ Cindy X  (inédit)
CA Rennes, 08/07/2010, SA Banque Postale c/ Bruno X (inédit)