mardi 26 juillet 2011

Et si on supprimait le Conseil supérieur de l’audiovisuel ?

Avec ce titre volontairement polémique, il s’agit avant tout d’engager à une réflexion sur la régulation opérée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, notre fameux CSA, à l’ère du développement de nouveaux services (comme la VOD ou la TV de rattrapage) mais surtout de nouveaux outils comme les TV connectées.

Joy & Mya  - Steel non se la sentiva...
Source : Funky64 sur Flickr (CC)

La réflexion part du rapport annuel pour 2010 du CSA. Dans une partie dédiée, le CSA souhaite « répondre à la demande sociale croissante de régulation, sur tous les supports » et même faire évoluer « les compétences du Conseil sur tous les supports ». Ce dernier point est intéressant.

A juste titre, le CSA relève que :
« Au sein d’une même législation, les services sont soumis à des réglementations variables, en fonction de leur nature : contenus linéaires ou à la demande, professionnels ou amateurs, etc. Cela se caractérise plus particulièrement en France par une distinction entre le régime de la communication audiovisuelle et le régime de la communication au public en ligne, qui tend à faire peser de plus lourdes obligations sur les acteurs traditionnels de la télévision. ».

Mais surtout, le CSA va plus loin. Il part d’une interrogation simple :
« comment expliquer au public qu’il y a des différences de régulation là où il ne voit pas de différences entre les contenus ? Mais c’est aussi un constat du point de vue économique et stratégique : quand il y avait une différence entre écran de télé et écran de PC, cela pouvait encore s’envisager. Mais aujourd’hui, avec les téléviseurs connectés, nous entrons dans une ère où les différences de régulation se matérialisent sur le même écran »

Le CSA plaide donc en faveur d’une « continuité des buts de la régulation » et à ce titre, « Le Conseil supérieur de l’audiovisuel est le mieux placé pour assurer de telles corégulations ». On n’est jamais si bien servi que par soi-même.

Tout converge vers le téléviseur

Le raisonnement du CSA est implacable. Les contenus audiovisuels tendent à se développer en dehors des acteurs classiques de l’audiovisuel que sont les chaînes de télévision. Face à ce phénomène, une directive communautaire et la loi du 5 mars 2009 procédant à sa transposition ont créé une catégorie juridique intitulée les Services de médias audiovisuels à la demande (SMAD). Selon ces textes, les SMADs qui recouvrent notamment les sites de VOD ou de TV de rattrapage sont partie intégrante de la communication audiovisuelle sous la coupe du CSA.

Enough!
Source : Niecieden sur Flickr (CC)

Mais à côté des SMADs, des sites internet – des services de communication au public en ligne – se développent fournissant un contenu de nature audiovisuelle. Sa particularité ? Être fourni par des particuliers voire des professionnels. Se positionnant comme des intermédiaires techniques, des hébergeurs de ces contenus, ces sites (Dailymotion, Youtube, etc.) n’entrent pas dans la définition des SMADs.

Mais la frontière entre ces deux types de contenus tend à se résorber. Tout d’abord, de plus en plus de voix s’élèvent pour expliquer qu’une partie des contenus hébergés par Dailymotion et Youtube ne sont pas des contenus dits « UGC » (user generated content) mais relèvent de la catégorie des SMADs.

Ensuite, avec l’arrivée progressive dans les foyers des téléviseurs dits « connectés », la possibilité de recevoir directement sur cet écran les contenus hébergés par les sites comme Dailymotion ou Youtube créerait une sorte de confusion dans l’esprit de l’internaute devenu téléspectateur. Cet internaute-téléspectateur serait alors demandeur des mêmes garanties en termes de pluralisme politique, de protection de l’enfance ou même de protection des consommateurs.

En conséquence, face à une convergence de tous les contenus de nature audiovisuelle sur un seul et même écran, l’écran TV, pour le CSA il reviendrait de faire converger la régulation de tous ces contenus entre les mains d’une seule et unique autorité. Lui-même.

Le CSA : régulateur du téléviseur ou régulateur d’un secteur audiovisuel ?

Ce raisonnement est intéressant car finalement il revient à modifier profondément la nature de la régulation opérée par le CSA. Le CSA serait donc le régulateur des téléviseurs, et ceci peut importe le contenu qui y serait diffusé ou qui y serait accessible. Est-ce tenable ?

La première question à se poser, c’est : quel est le rôle du CSA et sa vocation première ? La solution se trouve dans la loi du 30 septembre 1986 qui fixe les compétences du CSA. Une lecture plus compréhensible peut également être faite au travers du site de l’autorité. Et la réponse est sans appel : la première mission du CSA est de « gérer et attribuer les fréquences destinées à la radio et à la télévision ». La deuxième consiste à délivrer les « autorisations assorties de conventions » aux divers opérateurs.

La vocation première du CSA est donc de gérer l’attribution des fréquences hertziennes. Or, ces fréquences possèdent une particularité étrangère à l’internet : la rareté de la ressource. Contrairement aux sites internet, seul un nombre très limité d’opérateurs est susceptible de retransmettre leurs contenus par l’intermédiaire des ondes hertziennes. Le bloc de fréquence attribué aux radios et télévisions étant limité, le nombre d’opérateurs susceptibles d’y être présent l’est également.

Face à cette rareté de la ressource, plusieurs défis se présentaient au CSA : gérer la rareté dans un but d’intérêt général et s’assurer que les opérateurs respectent un certain nombre de règles liées au caractère massif des médias que la télévision et la radio représentent. Ces règles, elles sont connues de tous : pluralisme politique et syndical, protection des mineurs, accessibilité des personnes handicapées, fixation de règles pour les publicités et le placement de produit, etc.

En substance, le fondement même de l’existence du CSA est le suivant : gérer dans un but d’intérêt général une ressource rare utilisée par des médias de masse.

Et sans nul doute, le point le plus saillant dans cette problématique demeure le caractère « rare » de la ressource utilisée. Cette nécessité de régulation par l’intermédiaire d’une autorité d’une ressource rare est déjà connue dans le secteur des télécommunications (ARCEP), des réseaux électriques (CRE), des réseaux ferrés (RFF) … A l’inverse, en l’absence, le besoin d’établir une régulation spécifique ne se fait plus jour. Par exemple, en matière de presse écrite, aucune autorité administrative ne vient fixer de règles déontologiques sur les contenus ou de quelconques quotas.

Dans ces conditions, on peut s’interroger sur la légitimité du CSA à souhaiter vouloir réguler un média comme l’internet, y compris finalement les SMADs. D’une régulation basée sur la gestion d‘une ressource, le CSA accroît progressivement son champ de compétences régulatoire à l’ensemble des contenus qui peuvent s’apparenter à des contenus audiovisuels. Il s’est agi dans un premier temps du flux streaming des chaînes de télévision diffusé sur internet, puis des SMADs et finalement – à en croire son dernier rapport annuel – à tous les contenus susceptibles d’être reçus sur une TV connectée à l’internet.

Or, avec le développement de la diffusion de contenus audiovisuels par l’intermédiaire d’internet, la raison même de l’existence de ce type de régulation disparaît. Avec le développement de plus en plus fort des contenus audiovisuels sur internet, la rareté de la ressource n’est plus en cause.

Et si Internet ne constitue pas une ressource rare qu’il faut gérer, alors quelle légitimité aura le CSA à vouloir réguler ces contenus ?

Assurer la protection de l’enfance ? Des règles existent en la matière, des mécanismes d’auto-régulation se mettent en place.

Assurer le pluralisme politique et syndical ? Au regard de la nature même d’internet, on peut douter de la difficulté voire de l’impossibilité pour des partis politiques ou des syndicats de ne pas transmettre leur discours ou leurs prises de position.

Assurer la protection du consommateur ? Un corpus législatif existe d’ores et déjà pour encadrer fortement la publicité clandestine et plus généralement toutes les pratiques commerciales déloyales.

Television Rules the Nation
Source : StudioTempura sur flickr (CC)

Internet n’est pas de la télévision.
Internet n’a pas les mêmes caractéristiques. Le réseau ne connaît pas de frontière, il ne connaît que peu de limites et ses utilisateurs ne sont pas passifs. Ils ne sont pas des spectateurs. Ils sont des acteurs de son développement.

Dépassionner le débat, rebattre les cartes

Face au développement progressif du réseau mondial, le rôle du CSA est à repenser et à redéfinir. De son côté, l’autorité veut naturellement étendre son champ d’intervention. Une simple défense naturelle. Elle est soutenue en cela par une partie non négligeable du secteur pour une raison fondamentale : ne pas créer de situation facialement défavorable au secteur de l’audiovisuel face à la croissance rapide des acteurs de l’internet. En synthèse : faire en sorte qu’une chaîne de télévision ne se trouve pas, notamment en raison de contraintes réglementaires fortes, désavantagée par rapport à un site internet de partage de vidéos qui ne serait pas soumis à la même réglementation contraignante.

Outre ces aspects, rappelons également que la qualification en contenu audiovisuel a d’autres conséquences : application de taxations diverses à l’éditeur du service ou obligations en matière de respect de l’exception dite culturelle.

Et donc, au-delà de toute la question de savoir si le CSA doit ou non réguler ces contenus, la question du financement de la création audiovisuelle est également en débat. Si des contenus « internet » viennent à concurrencer trop fortement des contenus « audiovisuels » sur le même écran de télévision, la participation financière des chaînes de télévision à la filière culturelle (production audiovisuelle indépendante notamment) va diminuer progressivement, sans aucune compensation économique directe pour celle-ci.

A l’horizon 2012, le débat sur la TV connectée va donc ouvrir une réflexion tout aussi complexe que celle sur la neutralité de l’internet. Est-ce que la réception de contenu internet sur un récepteur TV est à-elle seule susceptible de justifier un contrôle du CSA ? Est-ce que le développement de la diffusion par internet, ressource non rare, de contenus de nature audiovisuelle justifie encore le recours à un régulateur ?

A mes yeux, il n’est pas évident aujourd’hui que l’on puisse se satisfaire d’une extension des pouvoirs de régulation du CSA à tous les contenus susceptibles d’être reçus par l’intermédiaire d’une TV connectée. Mais au-delà, c’est la nature même d’une régulation des contenus audiovisuels par le CSA qu’il conviendra sans doute dans les futures années de repenser. Si les raisons qui ont fondé la naissance d’une telle autorité disparaissent, si le média internet par sa nature est propre à assurer un pluralisme politique, est-ce que la protection de l’enfance peut justifier à elle seule le maintien d’une autorité de régulation dont les pouvoirs seront naturellement limités ?

Et sans nul doute qu’il faudra également, afin de dépassionner le débat, séparer la question de la régulation des contenus de nature audiovisuelle de celle de la participation financière des acteurs de la diffusion à la création. Mais sur ce dernier point, la convergence des intérêts (CSA, filière culturelle, acteurs de l’audiovisuelle) ne va pas forcément dans le sens d’une meilleure appréhension de la convergence des supports.

mercredi 20 juillet 2011

Projet de loi consommation : (VI) Les nouveaux pouvoirs de la DGCCRF

A l'occasion du projet de loi renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs plusieurs mesures ont été insérées destinées à renforcer les pouvoirs détenus par l'autorité chargée de la concurrence et de la consommation, ce qui vise de manière prosaïque la DGCCRF (qui en régions, s'appelle dorénavant la direction de protection des populations). La Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a eu l'occasion d'insérer de nouvelles dispositions renforçant ces pouvoirs.

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Source : lamont_cranston sur flickr (cc)

De la faculté de prononcer des sanctions pécuniaires

Jusqu'alors, la DGCCRF n'avait pas la possibilité de prononcer des amendes. Ses seuls pouvoirs, hormis ceux d'injonctions de se conformer à la législation, étaient limités à une saisine du juge pénal afin que celui-ci puisse prononcer des sanctions pénales, et notamment des peines d'amende à l'encontre des personnes physiques ou morales méconnaissant la réglementation protectrice du consommateur.

Allant dans un sens de dépénalisation du droit de la consommation, demandé par certains, le projet de loi donne à la DGCCRF un nouveau pouvoir inédit : celui de pouvoir prononcé des amendes en cas d'infractions à la législation protectrice du consommateur. Ce pouvoir est décrit à l'article 10 du projet de loi.

Ainsi, le texte prévoit que :
"Lorsque le professionnel n’a pas déféré, dans le délai imparti, à cette injonction, l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut prononcer à son encontre, en application du VII, une amende administrative dont le montant ne peut être supérieur à :
1°) 1 500 € pour une personne physique et 7 500 € pour une personne morale, lorsque l’infraction ou le manquement ayant justifié la mesure d’injonction est sanctionné par une amende au plus égale à celle prévue pour une contravention de la 5e classe ou par une amende administrative dont le montant est au plus égal à 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale ;
2°) 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale, lorsque l’infraction ou le manquement ayant justifié la mesure d’injonction est sanctionné par une peine délictuelle ou une amende administrative dont le montant excède 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale"
Sur le plan procédural, le texte prévoit que la DGCCRF devra suivre un processus en plusieurs étapes :
- établissement d'un procès-verbal constatant les manquements ;
- notification du procès-verbal, de toutes les pièces et du montant de la sanction à la personne ;
- possibilité pour la personne de présenter ses observations écrites ou orales ;
- à l'issue du délai d'un mois et de la procédure contradictoire, la DGCCRF peut alors ordonner le paiement en motivant sa décision ;
- la personne sanctionnée conserve la possibilité de saisir la juridiction administrative pour faire invalider la sanction.

D'un point de vue juridique, le point intéressant est que finalement la juridiction administrative - voire le Conseil d'Etat - risque de devoir développer toute une jurisprudence sur l'application et l'interprétation du droit de la consommation ce qui était jusqu'alors de la compétence exclusive des juridictions civiles et pénales.

La possibilité de constater les atteintes à la loi Informatique et Libertés

En complément du protocole d'accord signé entre la CNIL et la DGCCRF, la loi prévoit la possibilité pour la DGCCRF de constater toutes les infractions à la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique et aux libertés. En particulier, la DGCCRF sera en mesure de transmettre ses constatations à la CNIL qui pourra donc s'en servir dans le cadre de ses propres instructions voire sanctions.

La possibilité de présenter des conclusions devant toute juridiction

Le projet de loi envisage également de permettre au "ministre chargé de l’économie ou son représentant, devant toutes les juridictions et selon les règles qui y sont applicables, intervenir, (de) déposer des conclusions et les présenter à l’audience. Il peut également produire les procès-verbaux et les rapports d’enquête".

En particulier, il s'agit sans nul doute de permettre à la DGCCRF de se joindre à des procédures civiles initiées par des particuliers, des associations de consommateurs voire des organisations professionnelles comme cela a pu être le cas dans le dossier opposant le Syndicat National des Hôteliers, Restaurateurs, Cafetiers et Traiteurs à plusieurs sociétés du Groupe Expedia (et dont le jugement est attendu pour le 4 octobre).

La possibilité d'avancer masqué

A la suite d'un amendement parlementaire, le projet de texte souhaite prévoir la possibilité "Lorsque la preuve de l’infraction ou du manquement ne peut être rapportée par un autre moyen" que les agents de la DGCCRF puissent "ne pas décliner leur qualité lorsqu’ils recherchent et constatent une infraction ou un manquement (...) au plus tard jusqu’à la notification à la personne concernée de la constatation du manquement ou de l’infraction".

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Source : sally06 sur flickr (CC)

Le pouvoir de saisir le juge aux fins de suppression ou blocage de contenus illicites

Parmi les nouveaux pouvoirs, la loi prévoit de permettre à la DGCCRF de "Demander à l’autorité judiciaire, en cas de violation des dispositions du présent code, de prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1 du même I, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne".

Il s'agit ici d'une reprise mot pour mot des dispositions de l'article 6.I.8 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique qui donne au juge la possibilité d'ordonner des mesures de suppression à un hébergeur, voire - et à défaut d'intervention de l'hébergeur - des mesures de blocage du contenu par les fournisseurs d'accès à l'internet.

En soit, la mesure n'est pas criticable. Elle reprend les dispositions de la LCEN et surtout, elle prévoit explicitement le recours au juge pour toute mesure visant au blocage d'un contenu illicite par les fournisseurs d'accès à l'internet.

Voire un pouvoir d'interdire la prise de paiement

Reprenant un vieil amendement ayant été déposé à plusieurs reprises, la Commission des affaires économiques se propose de donner un pouvoir complémentaire à la DGCCRF : celle d'interdire à un marchand la prise de paiement avant la livraison effective et parfaite de la commande par l'internaute.

Le texte prévoit ainsi que :
"S’il apparaît, à l’issue des investigations menées, qu’un professionnel proposant la vente de biens ou la fourniture de services à distance est dans l’incapacité manifeste de respecter les obligations (d'exécution du contrat conclu à distance), générant ou susceptible de générer un préjudice financier pour le consommateur, l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut, après une procédure contradictoire, interdire à ce professionnel, sur tout ou partie des biens et services proposés, de réaliser toute prise de paiement avant la livraison intégrale du bien ou l’exécution effective du service, pendant une période ne pouvant excéder deux mois. Cette mesure peut être reconduite selon la même procédure pour des périodes supplémentaires dont chacune ne dépasse pas un mois"
En outre, des mesures complémentaires peuvent être ordonnées : publicité de la mesure voire amende de 30.000 euros si le marchand ne respecte pas cette obligation.

Cet article appelle plusieurs commentaires. Tout d'abord, on peut s'étonner qu'il n'ait vocation à s'appliquer qu'aux seuls vendeurs à distance et en aucun à toutes les transactions commerciales conclues entre un professionnel et un consommateur. Le cas évoqué ici est le cas du professionnel qui est dans une situation financière délicate et, afin d'éviter que des consommateurs se retrouvent sur le carreau, on lui impose de ne demander le paiement qu'à la complète réception des produits par le consommateur.

Ces situations ne sont pas exclusivement visibles sur internet, bien au contraire. Combien de consommateurs ont été victimes de magasins mettant la clé sous la porte sans délivrer les produits ou la prestation de service pourtant payés.

Deuxième remarque : la loi interdit toute prise de paiement. Mais dans les faits, comment cela se matérialise-t-il ? Est ce à dire que le consommateur devra envoyer un chèque à réception des produits ? Est ce à dire que le marchand devra demander une carte bancaire au consommateur et ne procéder à la capture de la somme sur son compte bancaire qu'à la réception du produit par celui-ci ?

Et surtout, comment gérer une application qui ne viserait que certains produits ou services ? Si un acheteur met en panier des produits frappés par la mesure et d'autres produits, comment le marchand pourrait techniquement gérer cela ?

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Source : m.a.r.c. sur Flickr (CC)

Dans les faits, les outils n'existent pas. Et par la suite, le marchand peut aussi être exposé à un autre risque : celui d'impayé de la part de l'acquéreur.

Dernière remarque : clairement, une telle mesure n'est juste qu'un clou supplémentaire qui est planté dans le cercueil d'un marchand. Expliquer à un marchand qui est en situation économique difficile qu'il 1) devra continuer à livrer ses produits mais 2) encaisser l'argent que postérieurement, ne risque-t-il pas d'aggraver son besoin en fonds de roulement et donc son besoin de trésorerie .. alors que c'est justement cet élément là qui manque. De même, une publicité de la mesure, ne risque-t-elle pas d'inciter les consommateurs à se détourner du marchand et à choisir un autre prestataire .. empêchant donc à l'entreprise de se redresser.

Face à une difficulté financière qui peut frapper une entreprise et surtout avoir un impact sur les consommateurs, il convient sans doute que l'autorité chargée de la concurrence et de la consommation s'assure d'abord, sur la base des pouvoirs qui sont les siens, du respect par le marchand de ses obligations au regard des pratiques commerciales déloyales à savoir : offrir à la vente des produits qu'il est en mesure de livrer.

Ces mesures, si elles sont intéressantes sur le papier, demeurent clairement une mise à mort d'une entreprise, et potentiellement d'emplois, qu'en parallèle un mandataire judiciaire tentera de rétablir.

Du contrôle des produits au contrôle d'identité

Telle est aussi la nouveauté prévue par le texte. Tout d'abord, dans le cadre des pouvoirs attribués à la DGCCRF en matière de conformité et sécurité des produits, il est prévu d'insérer la possibilité pour que les agents agissent sur commission rogatoire de divers juges d'instruction (article 10 sexies). Ainsi, dans le cadre d'enquête pénale, les agents de la DGCCRF pourraient être amenés à effectuer des enquêtes judiciaires au même titre que les officiers de police judiciaire.

Autre nouveauté du texte. Aux termes de l'article L. 215-3 du Code de la consommation, les agents de la DGCCRF peuvent rechercher et constater toutes les infractions commises au Livre II du Code de la consommation, en matière de conformité et sécurité des produits, notamment sur la voie publique ou en accédant à des locaux professionnels. Ils peuvent alors se voir remettre tout document (notamment comptable).

Le projet de loi consommation souhaite aller plus loin. La Commission des affaires économiques a ainsi proposé (article 10 septies) que :
"Les agents sont habilités à relever l’identité d’une personne contrôlée. En cas de refus ou d’impossibilité pour la personne de justifier de son identité, l’agent en rend compte immédiatement à tout officier de police judiciaire ou de la gendarmerie nationale territorialement compétent qui se transporte sans délai et peut alors décider de procéder à une vérification d’identité, dans les conditions prévues à l’article 78-3 du code de procédure pénale"
Ainsi, les agents de la DGCCRF pourront relever l'identité des personnes contrôlées et, en cas de refus, faire appel à un OPJ afin que celui-ci procède à une vérification d'identité (qui suppose une rétention pendant une durée maximale de 4 heures par les autorités).

Projet de loi consommation : (V) La lutte contre le spam renforcée

Poursuivons l'analyse du projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs tel qu'il a été amendé par la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.

L'article 8 du projet de loi propose de modifier l'article L. 34-5 du Code des postes et communications électroniques en prévoyant de nouvelles sanctions en cas d'irrespect d'un des principes posés à cet article. Cet article n'a pas été modifié par la Commission des affaires économiques lors de son examen et provient de la version proposée par le Gouvernement.

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Source : esparta sur flickr (CC)

Mais quel est cet article L. 34-5 du Code des postes et communications électroniques (dit CPCE) ? Il s'agit du cadre juridique français, créé en 2004, encadrant les prospections directes, c'est à dire les messages électroniques publicitaires. Cet article pose un principe : celui du consentement préalable à la personne physique pour recevoir des courriers électroniques publicitaires. Une exception existe : ce consentement est présumé existé pour les clients d'un marchand qui donc sont susceptibles de recevoir des publicités par email de ce marchand pour des biens ou services analogues. Le même texte prévoit également une obligation importante : l'insertion dans chaque message d'un moyen de se désabonner.

Jusqu'alors toute infraction à cet article pouvait être constaté à la fois par la CNIL (sur le terrain de la réalisation d'un traitement de données personnelles sans consentement de la personne) et par la DGCCRF sur le fondement de ses pouvoirs d'instruction. Autant la CNIL possède des pouvoirs de sanction (voire de transférer le dossier entre les mains de la justice), autant la DGCCRF ne détenait jusqu'alors que des pouvoirs d'instruction lui permettant de saisir les autorités compétentes.

Toute infraction à l'article L. 34-5 du CPCE était jusqu'alors sanctionnée a minima sur deux fondements :
- l'article 226-18 du Code pénal qui sanctionne toute collecte de données personnelles sans recueillir au préalable le consentement de la personne, la sanction pénale étant de 5 ans d'emprisonnement et 300.000 euros d'amende maximum ;
- l'article R.10-1 du CPCE qui prévoit dans son second alinéa une peine, "pour chaque communication, de l'amende prévue pour les contraventions de la 4e classe"

Mais dans les deux cas, ces mesures nécessitaient l'intervention du juge pénal qui seul pouvait prononcer de telles mesures. Indépendamment, il convient de rappeler également que la CNIL détient des pouvoirs de sanction administrative et donc la possibilité d'ordonner des sanctions financières indépendamment de l'intervention de tout juge.

Le projet de loi souhaite aller plus loin et confier à la DGCCRF - ou plus exactement à l'autorité en charge de la concurrence et de la consommation - un pouvoir de sanction administrative ainsi rédigé :
"Sans préjudice des dispositions de l’article L. 36-11 du présent code, les manquements aux dispositions du présent article sont sanctionnés par une amende administrative, prononcée par l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation, dont le montant ne peut être supérieur à 15 000 €, en application du VII de l’article L. 141-1 du code de la consommation. Si un même manquement a déjà fait l’objet d’une sanction pécuniaire, la sanction pécuniaire prononcée est limitée de sorte que le montant total des sanctions pécuniaires ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues"
Ainsi, la DGCCRF sera en mesure de prononcer une sanction administrative d'un montant maximum de 15000 euros pour toute infraction aux principes posés à l'article L. 34-5 du CPCE. En effet, le projet de loi prévoit ce nouveau pouvoir entre les mains de la DGCCRF.

Dernier point de cette mesure, la référence à l'article L.36-11 du CPCE. Cet article prévoit les pouvoirs que détient l'ARCEP à l'encontre des opérateurs de télécommunication. Je n'ai pas encore trouvé le lien entre ce pouvoir détenu par l'ARCEP vis à vis des opérateurs de télécommunication, et la question de l'encadrement de la prospection commerciale par courrier électronique. Mais je suis preneur ..

(à suivre)

Projet de loi consommation : (IV) Sur les CD et DVD, tu ne te rétracteras plus

A l'occasion de l'examen du projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a adopté un amendement destiné à réécrire certaines exceptions existantes applicables au droit de rétractation.

SPLASH!
Source : themadpothead sur flickr (CC)

Outre celle visant les dispositifs médicaux (on y reviendra dans un billet dédié), le texte a adopté un article 8 Vbis destiné à réécrire le 4e de l'article L.121-20-2 du Code de la consommation.

Commençons par le commencement.

En matière de vente en distance, et notamment d'achats de biens ou de souscriptions à des services sur internet, le consommateur qui contracte avec un professionnel se voit offrir une possibilité d'annuler le contrat ainsi conclu. Il s'agit du droit de rétractation. La finalité de ce droit est de "pouvoir changer d'avis" voire d'obtenir le remboursement pour un bien qui finalement ne remplit pas les espoirs qu'on avait pu avoir au travers de la photographie.

Une fois exercé, le droit de rétractation ouvre au consommateur un droit au remboursement du prix commandé - sous réserve de retourner le produit à ses frais au vendeur professionnel.

Ce droit de rétractation permet en définitive à un consommateur de revenir sur son choix de contracter. Seulement, quelques fois, ce droit est difficile à mettre en oeuvre voire son usage peut revêtir certains abus.

La directive "vente à distance" de 1997 a donc prévu diverses exceptions à ce droit dont certaines sont mentionnées à l'article L. 121-20-2 du Code de la consommation.

Ainsi, selon le 4° de cet article, le droit de rétractation ne s'applique pas à la "fourniture d'enregistrements audio ou vidéo ou de logiciels informatiques lorsqu'ils ont été descellés par le consommateur".

En clair, selon le droit actuel, un consommateur qui achète sur internet un CD ou un DVD, qui le reçoit et qui enlève son emballage plastique ne peut plus faire jouer son droit de rétractation ; le droit considérant que le consommateur peut alors soit avoir consommé le bien, soit en avoir fait une copie. Seuls les CDs, DVDs et logiciels dotés de leur emballage peuvent bénéficier de ce droit au retour.

Une précision dans cet article est également intéressante - même si difficile à mettre en oeuvre pratiquement : le descellement doit être le fait du consommateur. Non, rassurez-vous, nulle idée de ma part d'argumenter que si c'est le petit frère qui a enlevé le blister, le droit de rétractation existe toujours. Mais quid, au contraire, de la revente par des vendeurs professionnels de CDs ou de DVDs d'occasion dépourvus d'un tel emballage ? De même, certains vendeurs professionnels allemands commercialisent de tels produits sans emballage plastique, dans une volonté de protection de l'environnement. Dans de telles situations, le consommateur acquéreur de tels produits serait en droit de pouvoir exercer son droit de rétractation, ce dernier n'étant pas à l'origine du descellement.

A l'occasion de l'examen du projet de loi consommation, la Commission des affaires économiques a adopté un amendement destiné à réécrire cette exception. Elle serait alors rédigée de la manière suivante.

Le droit de rétractation ne s'applique pas en cas de:
"fourniture d'enregistrements audio ou vidéo ou de logiciels informatiques ne constituant pas l'accessoire indissociable d'un bien ou d'un service, lorsque le consommateur a la possibilité d’accéder à l'œuvre enregistrée ou au logiciel, notamment par descellement ou téléchargement".

La nouvelle rédaction n'est pas que rédactionnelle.

Tout d'abord, la formulation tend à remettre dans le périmètre du droit de rétractation les logiciels qui "constituent l'accessoire indissociable d'un bien ou d'un service". En clair, cela vise notamment un ordinateur sur lequel serait préinstallé divers logiciels. Si je me rétracte sur l'acquisition de l'ordinateur, cela vaut également pour les logiciels qui y sont installés dessus. Comme on dit en droit "l'accessoire suit le principal".

Ensuite, la formulation semble "reprendre" le texte existant pour les CDs, DVDs et autres logiciels vendus séparément. Sauf qu'en fait, ce n'est pas vraiment le cas.

La nouvelle formulation exclut du bénéfice du droit de rétractation le cas des CDs, DVDs et logiciels "lorsque le consommateur a la possibilité d’accéder à l'œuvre enregistrée ou au logiciel, notamment par descellement ou téléchargement". Dans la formulation actuelle, c'est le descellement qui fait perdre au consommateur la possibilité d'exercer son droit de rétractation.

Ici, le simple fait que le consommateur ait "la possibilité d'accéder à l'oeuvre" fait perdre la possibilité d'exercer ce droit. Pour faire simple, cette formulation a pour effet de retirer au consommateur toute possibilité d'exercer un droit de rétractation lors de l'achat de CDs, DVDs ou logiciels (sous boîte) et ceci quand bien même les objets n'auraient pas été descellés.

Il n'est pas sûr que cette modification, non favorable au consommateur, soit parfaitement conforme au droit communautaire. Sans doute qu'elle devrait être revue lors de l'examen en séance publique par les députés.

(à suivre ...)

mardi 19 juillet 2011

Projet de loi consommation : (III) le nom des collectivités tu ne citeras plus

La Commission des affaires économiques a examiné et a amendé dans sa séance du 6 juillet 2011 les dispositions du projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs. A cette occasion, les députés ont proposé d'insérer un amendement au Code de la propriété intellectuelle en matière d'indications géographiques.

Copyright is for Losers
Source : 917press sur flickr (CC)

Ainsi, la Commission des affaires économiques propose d'insérer un article L. 721-1-1 ainsi rédigé :
"Art. L. 721-1-1. – Afin d’être en mesure de préserver sa notoriété et son image, toute collectivité territoriale est consultée préalablement à l’utilisation de son nom ou de ses signes distinctifs, notamment à des fins commerciales." 
Euh. What ?

Bon, mon billet pourrait s'arrêter ici tellement la mesure semble absurde. Mais elle a été adoptée par la Commission des affaires économiques et devra donc faire l'objet d'un amendement de suppression si celle-ci ne doit pas être inscrite définitivement dans notre droit.

En effet, le texte semble créer une sorte de nouveau droit absolu attribué aux collectivités territoriales, indépendamment du cadre juridique d'ores et déjà existant, notamment en matière de droit des marques ou même en matière de noms de domaine.

Exiger de toute personne d'obtenir l'aval de la collectivité territoriale avant de faire un usage du nom de cette dernière est tout bonnement irréaliste, notamment lorsqu'un tel usage n'est pas fait à des fins commerciales. Si je décide de consacrer un billet sur mon blog à la belle ville de Toulouse, devrais-je adresser une demande d'autorisation préalable pour l'usage du terme "Toulouse". Idem, si le billet ne semble pas suffisamment laudatif à la collectivité, pourra-t-elle donc refuser l'usage de ce terme au motif que cela porte atteinte à son image ou à sa notoriété.

Et au-delà, le droit des marques (qui protège déjà le nom de certaines collectivités) permet à ladite collectivité d'en contrôler l'utilisation pour les usages commerciaux. Cette proposition de créer un nouveau droit absolu entre les mains des collectivités territoriales semble au-delà de toute réalité juridique et pratique.

Projet de loi consommation : (II) Le contrat de transport et le consommateur

Lors de l'examen par la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale du projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, deux mesures ont été adoptées par celle à propos du fameux contrat de transport.

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Source : the|G|tm sur flickr (CC)

Cette problématique avait pu rejaillir lors de l'affaire dite CAMIF. Tentons de résumer la situation : des consommateurs achètent des produits à la CAMIF. La CAMIF les expédie mais fait faillite avant la livraison des produits. Des transporteurs de la CAMIF ont donc demandé aux consommateurs de s'acquitter du montant du transport (non payé par la CAMIF, mais déjà payé par les consommateur à la CAMIF au titre des frais de port) s'ils voulaient obtenir les produits. Il s'agit de ce que l'on appelle "l'action directe du voiturier" et aboutissait pour le consommateur à un double paiement des frais de port.

Le projet de texte souhaite corriger cela.

L'article 8-V prévoit ceci :
« Par dérogation à l’article L. 132-8 du code de commerce, l’action directe en paiement du voiturier ne peut être exercée à l’encontre du consommateur lorsque le transport de marchandises est consécutif à un contrat de vente à distance mentionné à l’article L. 121-16 du présent code. »
Et l'article 8-VI ajoute cela :
« Art. L. 121-97. – Lorsque le consommateur prend personnellement livraison des objets transportés et lorsque le voiturier ne justifie pas lui avoir laissé la possibilité de vérifier effectivement leur bon état, le délai mentionné à l’article L. 133-3 du code de commerce est porté à dix jours. »
Seulement, les modifications ainsi proposées me paraîssent disproportionnées et surtout dangereuses. Pourquoi ? Car, in fine, la loi est en train de dire cela : certains articles du Code du commerce sur le contrat de transport (enfin, la lettre de transport) ne s'appliquent pas aux relations entre un consommateur un professionnel. Mais clairement, heureusement ! Les dispositions du Code de commerce ont été créées exclusivement pour encadrer des relations entre commerçants, entre professionnels. C'est parce que le commerce électronique s'est démocratisé et a pris une telle dimension que le transport des colis ne s'opère plus par l'intermédiaire des transporteurs postaux classiques, mais aussi par l'intermédiaire des transporteurs classiques, ceux relevant du Code du commerce.

Dans ces conditions, les transporteurs - habitués à leur cadre juridique pour des relations BtoB - l'ont tout simplement transposé à l'ensemble des relations commerciales, y compris celles où le destinataire est un consommateur. Ainsi, sans doute que la loi, au lieu d'exclure certaines dispositions, devrait plutôt clairement affirmer que ces articles du Code du commerce n'ont pas vocation à s'appliquer à des consommateurs. Et point final.

Cela permettrait notamment d'éviter tout risque de contrariété. Prenons un exemple. Afin de pouvoir engager la responsabilité d'un transporteur, il faut absolument, en application de l'article L.133-3 du Code de commerce, que le destinataire ait émis des réserves par lettre recommandée dans un délai de 3 jours à compter de la réception des produits. A défaut, l'expéditeur ne pourra pas engager la responsabilité du transporteur. Ici, le projet de texte propose de porter ce délai à 10 jours quand le contrat de transport fait intervenir un consommateur comme destinataire.

Tout d'abord, comment le transporteur saura que le destinataire est un consommateur ? A partir de l'adresse de livraison ? Est-ce à dire qu'il faudra pour le marchand proscrire toutes les livraisons sur le lieu de travail afin de ne pas risquer de voir le destinataire être requalifié de professionnel ?
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Source : Solo sur flickr (cc)

Et au-delà de ces considérations, il convient de rappeler que ce texte régit les relations contractuelles entre l'expéditeur de la marchandise et le transporteur. En aucun cas, il n'a vocation à interagir sur un consommateur qui lui bénéficie d'un cadre protecteur (garantie de conformité, responsabilité de plein droit).

Prenons un autre exemple : un produit arrive endommagé. Si le professionnel veut se faire indemniser par le transporteur, le consommateur doit alors émettre des réserves dans un délai de 3 jours. Telle est la règle de la lettre de transport. Mais en parallèle, en application du Code de la consommation et de son article L. 121-20-3, le professionnel est tenu de procéder soit au remboursement, soit à une livraison "parfaite" et ceci à ses frais et tout cela indépendamment de l'émission de réserves par le consommateur.

Il serait sans doute préférable d'aménager le régime de la lettre de transport en faveur d'une meilleure protection de l'expéditeur lorsque le destinataire est un consommateur. Pourquoi ? Par pur réalisme pragmatique. Si le professionnel ne peut être indemnisé par son transporteur qu'à condition que le destinataire ait émis des réserves, il y a de fortes chances que le professionnel (notamment le petit) exige de son consommateur l'émission de telles réserves pour procéder à une nouvelle livraison ou un remboursement. Or, une telle exigence n'est pas une condition, aujourd'hui reconnue par la loi ou la jurisprudence, pour déclencher l'indemnisation du consommateur.

Et dans les faits, si le consommateur ne fait pas les réserves ? Certains professionnels ne voudront pas prendre en charge le dommage arguant d'une faute du consommateur.

C'est donc plutôt au niveau de l'applicabilité de ces dispositions du Code de commerce aux contrats de transport mettant en jeu des consommateurs qu'il conviendrait de travailler plutôt que de construire un cadre juridique bancal en voulant maintenir dans le champ du BtoB des consommateurs qui, par la force des usages, s'y sont retrouvés.

(à suivre ...)

Projet de loi consommation : (I) l'information du consommateur

Dernier grand texte "conso" du quinquennat de Nicolas Sarkozy avant les élections présidentielles et législatives de 2012, le 1er juin dernier, Frédéric Lefebvre a déposé sur le bureau du Président de l'Assemblée nationale le projet de loi renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs.  Il a été examiné le 6 juillet 2011 par la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale qui a ainsi de plusieurs centaines d'amendements à ce texte.

Au final, la Commission des affaires économiques a triplé le volume du texte le faisant passer de 11 à 29 articles - sans compter les ajouts d'alinéas au sein même des textes initiaux proposés par le Gouvernement. Le texte adopté par la Commission des affaires économiques sera examinée, après l'été, par les députés avant de partir au Sénat. L'objectif affiché par le Gouvernement est une adoption définitive au plus tard au début de l'année 2012.

Comme il reste tout l'été aux membres de l'Assemblée nationale pour examiner ce texte, se faire une idée sur son contenu - voire déposer de nouveaux amendements, aucun commenter la version adoptée par la Commission des affaires économiques. Même si le droit de l'immobilier reste un hobby, je n'évoquerai pas la réforme envisagée de la loi de 1989 relative aux rapports entre les bailleurs et locataires.

Mais rassurez-vous, il y a de multiples autres sujets à évoquer dans le cadre de ce texte. Des mesures qui sont destinées à s'appliquer aux relations entre le consommateur et son opérateur (fournisseur d'accès, téléphonie mobile, etc.) ou celles qui sont destinées à s'appliquer aux relations entre le consommateur et le cybermarchand. Sans compter les autres mesures diverses.

Cette première partie se focalise sur l'information du consommateur. D'autres parties suivront portant notamment sur des contrats spécifiques (voyage, vente de produits d'optique) ou sur d'autres sujets (responsabilité du transporteur, droit de rétractation, etc.)

L'information préalable du cyber-acheteur

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Source : heathbrandon sur flickr (CC)

Alors parmi les mesures adoptées par la Commission des affaires économiques, on peut relever notamment les éléments suivants :

L'abandon de l'information préalable sur la durée de validité de l'offre et de son prix

Cette mesure est discutée depuis de nombreuses années. Il s'agit d'une résurgence d'un droit spécifique destinée à s'appliquer aux vendeurs par correspondance, les VPCistes. En effet, dès lors que l'offre était diffusée sur un support matériel (le fameux catalogue papier), le consommateur devait être en mesure de s'assurer que l'offre était toujours valide au moment où il tournait les pages. Ce qui fût chose faite par la mention du caractère "printemps/été" ou "automne/hiver" du catalogue.

Mais sur internet, plusieurs personnes ont eu l'occasion de relever que cette mesure n'était pas compatible avec la technologie : si l'offre est valide, elle est accessible sur le site. A partir du moment où l'offre n'est plus accessible, le cybermarchand la fait disparaître de son site. En outre bien souvent, sur internet, l'offre demeure valide jusqu'au moment où le produit est frappé d'une rupture de stock.

La Commission des affaires économiques va dans ce sens en estimant que la mention de la durée de validité de l'offre ne s'applique pas aux contrats conclus par le biais d'internet. Mais surtout, il demeure un garde-fou pour le consommateur : un professionnel qui ferait la promotion de produits indisponibles pourrait alors tomber sous le coup de l'incrimination de pratiques commerciales déloyales, pénalement répréhensibles.

La mention des garanties légales de conformité et des informations relatives à la garantie commerciale et SAV

La Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a prévu une obligation d'information précontractuelle à savoir :
"Sont également indiquées les informations relatives à la garantie légale de conformité mentionnée à la section 2 du chapitre Ier du titre Ier du présent livre pour les contrats mentionnés à l’article L. 211-1 ainsi que, le cas échéant, les informations relatives à la garantie commerciale et aux prestations de services après-vente mentionnées, respectivement, à l’article L. 211-15 et à la section 6 du même chapitre Ier"
Il s'agit ici pour le cybermarchand de mentionner sur son site, en phase précontractuelle, un certain nombre de mentions relatives à la garantie légale de conformité (imposant à un marchand de livrer un bien conforme, conformité que peut revendiquer un consommateur pendant 6 mois), relatives à la garantie commerciale ou à la manière de prendre contact avec le SAV.

Première remarque : on peut se demander à ce stade pourquoi cette obligation à la charge du professionnel et qui se veut protectrice du consommateur ne s'applique que lors d'un achat sur internet. Pourquoi une obligation similaire ne pèse pas sur les marchands en "dur" ; les règles relatives à la garantie tant légale que commerciale ayant vocation à s'appliquer indépendant du canal de commercialisation, elles seraient légitimes à s'appliquer à tous.

Certes l'article 9 du projet de loi souhaite prévoir une obligation d'information s'appliquant à tous les professionnels, du monde physique ou du monde virtuel, mais celle-ci est réduite exclusivement à une information sur l'existence et les modalités d'exercice de la garantie légale de conformité et de la garantie des vices cachés.

Sur le fond, la mesure peut se comprendre. Informer le consommateur de ses droits est toujours bénéfique. Néanmoins, la difficulté est toujours la même. En imposant une obligation d'information relative à des textes législatifs, le marchand a alors deux choix : soit faire un copier/coller de ces textes dans ses conditions générales (avec le risque de ne pas les mettre à jour en cas de modification législative) ou en faire une synthèse compréhensible par le consommateur (avec le risque alors d'en faire une lecture rectrictive, voire contraire à la loi).

Personnellement, je demeure convaincu du besoin d'alléger les conditions générales applicables aux relations commerciales. Notamment à une époque où l'on parle d'accessibilité et de consentement d'un consommateur à de telles dispositions : si le texte, bien qu'accessible, demeure illisible ou incompréhensible pour un consommateur d'attention moyenne, peut-on estimer qu'il a alors réellement consenti à celui-ci. Juridiquement, les juridictions vous expliqueront que le consentement est libre et éclairé et donc valide. Mais sur le fond, qu'en est-il réellement ?

Demander aux cybermarchands de faire un copier/coller de lois existantes ne peut qu'alourdir la lecture d'un texte destiné à un consommateur .. et donc l'inciter à ne plus lire ce document. Je trouve la logique contradictoire avec un souhait de meilleure information et sensibilisation de tous les internautes.

L'information du consommateur sur le montant de la rémunération pour copie privée

L'article 9 II bis du projet de loi prévoit d'intégrer dans le Code de la propriété intellectuelle un nouvel article L 311-4-1 prévoyant que : 
"Le montant de la rémunération prévue à l’article L. 311-3 est porté à la connaissance du consommateur lors de la mise en vente des supports d’enregistrement mentionnés à l’article L. 311-4. L’information délivrée porte sur le montant de la rémunération imputable spécifiquement à chaque support. Une notice explicative relative à cette rémunération est également portée à sa connaissance. Les conditions d’application du présent article sont définies par décret en Conseil d’État".

Nouvelle étape dans la sensibilisation du consommateur sur le montant de la rémunération pour copie privée, la mesure souhaite imposer aux distributeurs de mentionner dans l'offre de vente la part du prix qui est payée par le consommateur et qui est reversée à Copie France et à la Sorecop. En outre, une notice explicative sur cette rémunération est portée à la connaissance du consommateur. En l'absence d'information, le distributeur s'expose à une pénalité administrative de 3000 euros que les agents de la DGCCRF sont susceptibles de lui infliger.

Au-delà de l'aspect symbolique d'information du consommateur, cette mesure pourrait avoir un effet "choc" auprès de ces derniers lorsqu'ils prendront conscience du montant que peut représenter la rémunération pour copie privée sur certains supports. L'impression d'une importante "taxation" demeurera sans nul doute dans l'esprit du consommateur lors de l'acquisition de ces produits.

Au passage, le consommateur pourra même voir sur des produits technologiques, la différence entre la rémunération pour copie privée (de quelques euros ou dizaines d'euros) et la contribution au titre de l'éco-contribution (de quelques centimes d'euros).

L'information du consommateur au moment de l'exécution du contrat

Information has moved...
Source : choffee sur flickr (cc)

Tout d'abord, le texte de la Commission des affaires économiques propose d'imposer aux cyber-marchands une obligation d'information sur les garanties légale et commerciale identique à celle exposée précédemment. Les remarques seront les mêmes, à une différence près. La loi impose déjà, en particulier pour les garanties commerciales, la remise d'un document expliquant les modalités d'exercices de celles-ci et la manière de prendre contact avec le service client.

Mais surtout à ce stade de l'exécution du contrat, on pourrait sans doute soulever un "lièvre" supplémentaire. Le projet de texte propose d'imposer une obligation d'information pesant sur la seule obligation légale de conformité. Or, c'est oublier que d'autres obligations légales s'imposent au marchand : la garantie des vices cachés mais surtout celle liée à la responsabilité dite "de plein droit" prévue à l'article L. 121-20-3.

Un exemple précis : le consommateur reçoit un bien qui ne fonctionne pas. Est-il non conforme au sens du Code de la consommation ? Bien sûr que non ! Le consommateur peut alors faire jouer sa garantie de conformité et alors obtenir la réparation ou le remplacement. Bien souvent, le marchand opposera la réparation (moins coûteuse pour lui), ce que la loi lui permet.

Si le consommateur avait été informé des obligations inhérentes à la responsabilité de plein droit, le consommateur aurait pu choisir (et l'imposer) au marchand et notamment demander la résiliation du contrat et donc son remboursement.

A vouloir informer le consommateur sur certaines règles, on en vient à mettre un focus sur uniquement certaines et on crée une sorte de voile sur l'ensemble du corpus législatif existant. Et ce n'est sans doute pas en faveur du consommateur.

Les modalités d'information du consommateur

L'accessibilité des CGV et CGU

L'article 19 de la LCEN avait déjà prévu un principe d'accessibilité des conditions générales du cybermarchand. Le projet de loi consommation va un peu plus loin en prévoyant ceci :
"L’ensemble des conditions contractuelles, générales ou particulières, applicables à la fourniture d’un produit ou d’une prestation de service à distance doivent être facilement accessibles, au moment de l’offre, à partir de la page d’accueil du service de communication publique en ligne du vendeur ou du prestataire de service ou sur tout support de communication de l’offre"
Qu'est ce que cela signifie ? L'ensemble des CGV et CGU doivent être accessibles depuis la page d'accueil du site. Ok.

Mais si on arrive sur une offre depuis un moteur de recherche ou un comparateur de prix, on est bien d'accord que l'on ne passe pas par la page d'accueil du site ? Dans ces conditions, les CGU et CGV ne seront pas visibles du consommateur. Je doute que la précision apportée faisant référence à la page d'accueil du site apporte une réelle protection au consommateur.

Le texte va surtout plus loin en prévoyant que ces CGU et CGV doivent être accessibles "sur tout support de communication de l'offre". Cela signifie notamment qu'un lien doit figurer, par exemple, dans les newsletters adressées par les marchands ou dans les offres qui seraient envoyées sur des bases de données de courriers électroniques.

Mais quid des publicités, voire de celles sous forme de liens commerciaux ? De telles publicités sont des "supports de communication de l'offre". Elles devraient donc intégrer un lien vers les CGU et CGV ce que le format peut rendre difficile voire impossible. Et surtout dès lors que ces publicités renvoient directement vers le site du marchand - où figurent les fameuses conditions et pas seulement sur la page d'accueil - est-il nécessaire de les faire inscrire en dur dans les publicités ?

De manière plus générale, on peut s'interroger sur la pertinence de cet article, notamment au regard de l'article 19 LCEN qui prévoit depuis 7 ans une obligation similaire ...

La possible omission d'informations substantielles dans les supports à taille limitée

Aux termes de l'article L.121-1 du Code de la consommation, une pratique commerciale est trompeuse si, "compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l'entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu'elle n'indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte".

Le projet de loi apporte des précisions sur l'omission d'informations substantielles. Ainsi :
"lorsque le moyen de communication utilisé impose des limites d’espace ou de temps, il y a lieu, pour apprécier si des informations substantielles ont été omises, de tenir compte de ces limites ainsi que de toute mesure prise par le professionnel pour mettre lesdites informations à la disposition du consommateur par d’autres moyens".
Immédiatement, on pourrait penser à l'usage de twitter qui impose une limite de 140 caractères. Ainsi, un professionnel qui fait usage des twitts pour communiquer des offres à sa clientèle peut s'abstenir d'indiquer dans les 140 caractères l'ensemble des caractéristiques de l'offre, sous réserve de la communiquer au consommateur par d'autres moyens, par exemple, sur la page sur laquelle va arriver ledit consommateur après avoir cliqué sur le lien.

De même, cette circonstance est pleinement applicable aux liens commerciaux voire aux bannières publicitaires dont le format est strictement encadré.

(à suivre ...)

lundi 18 juillet 2011

L'Assemblée nationale a-t-elle bon goût de dématérialiser le titre restaurant ?

En ce 18 juillet 2011, la société Edenred - l'un des leaders mondiaux du fameux "titre restaurant" (ou ticket resto) - a publié ses résultats financiers pour le 1er semestre 2011. L'entreprise, issue du groupe Accor, affiche ainsi un chiffre d'affaire semestriel de plus de 500 millions d'euros avec une croissance de 9,8% sur cette période par rapport à la même période 2010.

Au total, au cours des six premiers mois de l'année, Edenred a émis pour plus de 7 milliards d'euros de titres (titres restaurants, chèque cadeaux, etc.) en France, Europe, et surtout en Amérique Latine qui représente plus de la moitié de leur marché. En France, c'est plus de 1,2 milliards d'euros de titres qui ont été émis au cours de ce premier trimestre, ce qui représente un tiers du marché européen pour Edenred.

En particulier, le communiqué de presse de la société relève que "L’activité Ticket Restaurant ® affiche de bonnes tendances, avec une croissance de l’activité de +4,2% en données comparables au deuxième trimestre, contre +2,9% au premier trimestre".

Finding Dinner in the Alleys of Kyoto
Source : Stuck in Customs sur Flickr (CC)

Une dématérialisation du titre restaurant ...

Pourquoi ainsi revenir sur les résultats financiers de ce grand groupe. Cela provient de la lecture de la version adoptée par la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale du projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs.

En effet, tout en bas de ce texte, on peut y lire un nouvel article adopté par la Commission des affaires économiques ainsi rédigé :
Article 10 undecies (nouveau)
Au 1° de l’article L. 3262-7 du code du travail, après les mots : « Les mentions », sont insérés les mots : « ou, lorsque ces titres sont stockés sous une forme électronique, y compris magnétique, les règles applicables au support de stockage et au dispositif de lecture de ce support ».
Que signifie cette disposition ? L'article L. 3262-7 du Code du travail renvoie à un décret le soin de fixer les mentions qui doivent figurer sur les titres restaurants émis au profit des salariés. La modification législative ainsi proposée souhaite, en outre, qu'un décret vienne fixer le règles relatives au stockage et à la lecture de titres restaurants sous forme électronique.

En clair, ce texte a vocation, par l'intermédiaire, d'un décret d'application à fixer les conditions de la dématérialisation des titres restaurants. Ainsi, demain ou après-demain, ce n'est plus le ticket resto classique que vous aurez entre les mains, mais une carte à puce ou une version totalement dématérialisée (bon d'achat pour commander en ligne, etc.).

Cette modification législative est intéressante. Tout d'abord car elle provient d'un amendement parlementaire déposé par le député Jean-Louis Léonard (sous le numéro CE92). Le parlementaire (auteur de rapports sur la modernisation des services touristiques - il avait été rapporteur d'un projet de loi - et siégeant au conseil d'administration d'ATOUT France aux côtés des dirigeants d'Air France ou ... Accor) donne à son amendement le bref exposé des motifs suivant :
"Le cadre juridique de ce titre a été instauré dans le cadre d'une ordonnance n°67-830 du 27 septembre 1967. Il n'a pas été revu jusqu'à ce jour, s'agissant de la nature du support matériel de ce titre qui demeure un document papier.Le présent amendement a pour objet d'ouvrir une option de dématérialisation, de manière à améliorer encore les conditions d'utilisations de ce titre spécial, pour en renforcer l'attractivité".
Attractivité ? En effet, la dématérialisation des titres restaurants (mais également des chèques voyages, etc.) semble être source de croissance. Dans son plan 2016, Edenred indique que sa stratégie "est fondée sur un objectif de forte croissance du volume d’émission et des flux de trésorerie. Trois piliers permettront sa mise en œuvre : 1) L’innovation, 2) La dématérialisation (passage du support papier aux supports électroniques) et 3) La systématisation (le déploiement d’un succès local à l’ensemble des pays Edenred)".

Holsten's
Source : EJP Photos sur flickr (CC)

Qui n'attend pas les conclusions des travaux du Gouvernement

Cette attractivité, le Gouvernement l'avait récemment constaté. Lors d'une visite dans un Monoprix, la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Christine Lagarde - avait ainsi annoncé le 19 mai 2011 sa "décision de poursuivre le chantier de simplification et de modernisation du titre restaurant en lançant des travaux exploratoires sur les conditions de dématérialisation de ces titres. Ces travaux devront examiner comment l’utilisation de puces, de cartes ou de tout autre dispositif dématérialisé, peut conduire à un titre restaurant encore plus simple et moins coûteux pour les salariés et pour les entreprises".

Le dépôt et l'adoption par la Commission des affaires économiques de cet amendement sont-ils le signe d'une finalisation des "travaux préparatoires". Sans doute que non. La précipitation est à chercher ailleurs.

Pour de nombreux acteurs, la dématérialisation du titre restaurant est un enjeu économique. Ainsi dans une interview au Figaro du début de l'année 2011, pour le PDG d'Edenred, la dématérialisation devait avoir lieu "en 2012, certainement". Quant au président du Chèque déjeuner, "La dématérialisation totale nécessitera au moins cinq ans, mais d'ici à 2013, les titres dématérialisés pourraient commencer à se généraliser". Tous convenaient d'une chose : le besoin d'avoir une modification législative - protectrice du consommateur - afin de permettre cette dématérialisation.

Or, en 2012, des élections interviendront. Les travaux parlementaires s'arrêteront à compter du début de l'année prochaine pour reprendre en septembre 2012. Trop tard pour faire passer une réforme de cette nature. Sans doute que le présent projet de loi était le dernier véhicule législatif avant 2013 permettant aux acteurs économiques de faire passer cette modification législative, ceci sans attendre les conclusions des travaux préparatoires menés par le Ministère de l'économie.

Il fait peu de doute que cet article soit rejeté par l'Assemblée nationale ou le Sénat lors de la discussion du projet de loi. Espérons alors que lors de la préparation des textes réglementaires, les intérêts des consommateurs et des entreprises soient assurés afin d'obtenir la simplicité et l'économie annoncées.

dimanche 17 juillet 2011

Les hébergeurs protègent-ils encore la liberté d'expression sur internet ?

On ne cesse de le répéter, le statut juridique relatif à la responsabilité des intermédiaires de l'internet tend à se stabiliser. Certes, c'est le cas. Après la récente décision de la Cour de justice de l'Union européenne dans le dossier L'Oréal v. eBay UK et surtout, après les arrêts de la Cour de cassation sur l'application de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique à divers intermédiaires - que l'on appelle communément des hébergeurs, le cadre juridique tend effectivement à se stabiliser.

Mais finalement, la stabilisation trouvée est-elle la bonne ? A un moment où l'on s'interroge perpétuellement sur une révision du régime de responsabilité applicable aux intermédiaires de l'internet - certes à entendre les ayants droit dans un sens de son renforcement, il se peut que la Cour de cassation ait donné un coup de volant à la direction prise par un grand nombre d'acteurs, un coup de virage qui pourrait fortement redessiner le cadre juridique applicable.

Quel changement les juges suprêmes français auraient donc initié ? Sans doute la fin du concept du "manifestement illicite", pourtant proclamé par le Conseil constitutionnel.

Rembobinons la pellicule. Repartons à zéro. Asseyez-vous confortablement et déroulons le fil de l'histoire. Le fil de l'histoire du numérique.

Au commencement, il n'y avait rien

Et si je vous disais que le cadre juridique tel qu'on le connaît aujourd'hui trouve son fondement autour de trois noms : Estelle Hallyday, Calimero et la RATP. Et le tout, avec un prestataire technique connu alors sous le nom d'Altern.org.

Colors
Source : meggle sur Flickr (CC)

Au milieu des années 90, Valentin Lacambre décide de créer un site appelé Altern.org qui se propose d'héberger gratuitement sites web et adresses de courrier électronique. Aucune bannière de publicité, le service étant alors intégralement financé par les services minitel qu'il exploite en parallèle. Altern.org devient très vite un lieu de stockage de très nombreux sites passant de quelques sites en 95 à plus de 30000 en 1999. Mais au sein de ces pages quelques problèmes.

Ainsi, à partir de 1997, Altern.org connaît plusieurs procédures judiciaires intentées à son encontre. En Avril 1998, une action est intentée par Estelle Hallyday à la suite de la diffusion de plusieurs photographies. En novembre 1998, une deuxième action est engagée par les titulaires de droits sur le personnage Calimero pour un usage dans le monde sadomasochiste. En février 1999, ce sera au tour de la RATP d'attaquer en justice l'hébergeur du site www.ratp.org et ensuite se rétracter.

A l'époque le régime juridique de l'hébergeur n'existe pas. Ces acteurs, ces intermédiaires de l'internet sont alors traités par les magistrats sur le terrain du droit commun de la responsabilité civile et en particulier sur la base de l'article 1382 du Code civil. Celui qui commet une faute qui cause un préjudice, doit le réparer. Plusieurs décisions interviennent et notamment un arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 10 février 1999 qui sera à l'origine d'une rupture.

La Cour d'appel de Paris, sous la présidence de Marie-Françoise Marais, dit alors ceci :
"Considérant qu'en offrant, comme en l'espèce, d'héberger et en hébergeant de façon anonyme, sur le site ALTERN.ORG qu'il a créé et qu'il gère toute personne qui, sous quelque dénomination que ce soit, en fait la demande aux fins de mise à disposition du public ou de catégories de publics, de signes ou de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature qui n'ont pas le caractère de correspondances privées, Valentin LACAMBRE excède manifestement le rôle technique d'un simple transmetteur d'informations et doit, d'évidence, assumer à l'égard des tiers aux droits desquels il serait porté atteinte dans de telles circonstances, les conséquences d'une activité qu'il a, de propos délibérés, entrepris d'exercer dans les conditions susvisées et qui, contrairement à ce qu'il prétend, est rémunératrice et revêt une ampleur que lui-même revendique"

Valentin Lacambre est alors condamné à la somme de 300.000 FF (45.000 euros) de dommages et intérêts. De très nombreuses réactions commencent alors à tomber et celles-ci prennent une ampleur notamment politique. Les Verts publient un communiqué le 4 mars 1999 de crainte de voir la disparition de l'internet citoyen et solidaire. Le Parti socialiste leur embraye le pas le 12 mars 1999 en publiant un communiqué (archive.org) appelant à "clarifier les responsabilités sur internet".

Chose surprenante, le ministre de l'économie de l'époque - Dominique Strauss-Khan - adresse un email à Valentin Lacambre pour lui faire part de son soutien :
Monsieur Valentin Lacambre,
En navigant sur le réseau, j'ai pris connaissance de la situation à laquelle vous êtes confronté depuis quelques semaines et qui vous a amené à interrompre votre service d'hébergement de sites web. Plusieurs procédures sont en cours devant les tribunaux, et il n'appartient pas à un membre du Gouvernement de prendre position dans le débat judiciaire. Cette affaire met néanmoins en lumière plusieurs points importants pour le développement de la société de l'information dans notre pays.
Tout d'abord, Internet n'est pas un espace de non-droit et nous devons explorer les voies qui permettent de protéger, sur le réseau comme ailleurs, les droits fondamentaux des personnes. A ce titre, certaines activités sur l'Internet pourraient sans doute appeler une adaptation du droit actuel. En effet, les incertitudes sur les modalités précises d'application du droit peuvent créer un sentiment d'instabilité juridique qui peut générer des dépenses importantes pour les entreprises. Ces coûts peuvent être particulièrement lourds pour les PME/PMI qui n'ont pas toujours les structures ou les moyens pour supporter ces dépenses. Le cas d'altern.org en est une illustration.
J'observe également que la plupart des analyses conduites en France, notamment par le Conseil d'Etat, et au niveau européen, dans les discussions relatives au projet de directive sur le commerce électronique, convergent pour limiter la responsabilité de l'hébergeur, tant qu'il n'a
pas eu connaissance des contenus illicites qui ont pu transité sur le réseau par son intermédiaire. De façon plus générale, chacun mesure en navigant sur le web que les mécanismes traditionnels de réglementation du secteur audiovisuel ne peuvent être généralisés à l'ensemble des contenus mis à disposition du public sur Internet. Ainsi, un hébergeur de sites ne saurait, à mon sens, être comparé à un éditeur de presse ou à une chaîne de télévision.
Ces questions complexes montrent combien il nous faut accélérer les travaux engagés en France et avec nos partenaires européens pour ne pas freiner le développement d'Internet.
Bonne chance et meilleures salutations.
Dominique Strauss-Kahn

Fascinant. Le 17 mars 1999, c'est au tour de Lionel Jospin, alors Premier ministre, d'intervenir. Lors d'un discours, il revient sur l'affaire Altern et explique que le "régime juridique applicable à l'internet doit encore être adapté". Il demandait alors qu'un travail soit lancé afin d'aboutir à la fixation d'un cadre juridique spécifique. Donc la décision est prise. La majorité de l'époque souhaite agir. Surtout, qu'en parallèle se discute à Bruxelles le projet de directive dite "ecommerce" dont certains articles sont destinés à fixer le cadre juridique applicable à l'ensemble des intermédiaires de l'internet.

Et donc, le 20 mai 1999, Patrick Bloche dépose un amendement à l'occasion de l'examen du projet de loi relative à la liberté de communication. Il sera adopté, puis amendé lors de son passage au Sénat, avant une adoption définitive le 20 juin 2000. Le texte ne satisfait pas alors les acteurs du net, et notamment Altern.org qui décide de cesser ses activités à compter du 1er juillet 2000.

Le texte adopté prévoyait deux causes d'engagement de la responsabilité des hébergeurs :
- l'absence de suppression des contenus suite à une injonction judiciaire ;
- et "si, ayant été saisies par un tiers estimant que le contenu qu'elles hébergent est illicite ou lui cause un préjudice, elles n'ont pas procédé aux diligences appropriées".

En 2000, on patche la situation et on déresponsabilise

Ainsi, la loi de 2000 souhaitait imposer aux hébergeurs une obligation de prendre "des diligences appropriées" dès réception d'une notification d'un tiers au regard d'un contenu qu'ils hébergent. Mais, cette partie du texte ne passera pas l'analyse du Conseil constitutionnel qui dans une décision en date du 27 juillet 2000 censure cette phrase au motif "qu'en omettant de préciser les conditions de forme d'une telle saisine et en ne déterminant pas les caractéristiques essentielles du comportement fautif de nature à engager, le cas échéant, la responsabilité pénale des intéressés, le législateur a méconnu la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution".

Source : Solo sur Flickr (CC)

La loi du 1er août 2000 sera donc publiée mais amputée de cette deuxième cause d'engagement de la responsabilité des hébergeurs. L'hébergeur sera donc responsable que si, ayant été saisi par l'autorité judiciaire, il n'a pas procédé au retrait des contenus. Le premier régime de responsabilité aménagée de l'hébergeur était donc créé en France.

Au regard des rares causes d'engagement possible de la responsabilité de l'hébergeur, tous les débats judiciaires qui ont suivi se sont focalisés sur une seule question : l'intermédiaire en cause est-il hébergeur au sens de la loi et donc, bénéficie-t-il du régime aménagé ? La Cour de cassation a eu l'occasion de se prononcer sur cette question une fois dans la fameuse affaire Tiscali, plus exactement à propos du site d'hébergement de pages personnelles "Chez.com", financé par l'affichage de bannières publicitaires. La Cour de cassation avait refusé, le 14 janvier 2010, de faire application de ce cadre juridique, excluant ainsi "chez.com" du bénéfice du régime de l'hébergeur, le rôle de l'intermédiaire excédant les simples fonctions techniques de stockage.

La Cour de cassation suivait ainsi le rapport de son rapporteur, Marie-Françoise Marais. Comme nous l'indiquions, la magistrate était à l'origine de l'arrêt Altern.org, qui a provoqué la loi du 1er août 2000, loi dont la Cour de cassation devait faire l'interprétation...

Mais au final, cet arrêt de la Cour de cassation avait peu d'intérêt sur le plan purement juridique ? Car, en janvier 2010, le cadre juridique avait déjà été modifié sous l'impulsion de deux étapes. La première date du 8 juin 2000 et correspond à l'adoption par les institutions européennes de la Directive relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (dite directive sur le commerce électronique).

Le texte institue en son article 14 une obligation pour les Etats de prévoir un régime de responsabilité aménagée au profit des hébergeurs ainsi rédigée :
"Article 14
Hébergement
1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d'un service de la société de l'information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d'un destinataire du service à condition que:
a) le prestataire n'ait pas effectivement connaissance de l'activité ou de l'information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n'ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l'activité ou l'information illicite est apparente
ou
b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l'accès à celles-ci impossible.
2. Le paragraphe 1 ne s'applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l'autorité ou le contrôle du prestataire.
3. Le présent article n'affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d'exiger du prestataire qu'il mette un terme à une violation ou qu'il prévienne une violation et n'affecte pas non plus la possibilité, pour les États membres, d'instaurer des procédures régissant le retrait de ces informations ou les actions pour en rendre l'accès impossible."
En 2004, on update le régime

Il faudra attendre la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique pour avoir la transposition de ce principe aux articles 6.I.2 et 6.I.3 de la fameuse "LCEN". Ainsi, "les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible".

Source : ntr23 sur flickr (CC)

Ainsi, la responsabilité de l'hébergeur peut être retenue dès lors qu'il a connaissance de fait et contenus illicites. La LCEN répond ainsi aux critiques émises par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juillet 2000. La loi doit prévoir un formalisme ? Que nenni, l'article 6.I.5 fixe les conditions dans lesquelles la "connaissance est présumée acquise". La loi doit déterminer les caractéristiques essentielles du comportement fautif ? La LCEN abandonne la logique de diligences appropriées pour se focaliser sur le principe d'une suppression des contenus litigieux.

Sauf qu'à l'époque des débats, un concept revient régulièrement. La justice privée. Par exemple, les Verts s'opposent à une loi qu'ils jugent "liberticide" car elle institue une justice privée de la Toile, entre les mains d'entreprises privées, à savoir les fameux hébergeurs.

A la même époque, est clairement débattu le rôle que doit avoir l'hébergeur. Passif ou actif face à une notification ? L'hébergeur doit-il être un juge du contenu ? Face à un contenu notifié, quelle doit être sa réaction : avertir l'auteur ? supprimer le contenu ? Et si l'auteur du contenu conteste la nature de la notification, comment agir alors ?

Cette période d'intenses discussions, notamment dans les travées du Parlement, s'explique par l'existence aux Etats-Unis d'un cadre juridique analogue créé par le Communications Decency Act en 1996 et le Digital Millenium Copyright Act en 1998. Surtout ces textes déresponsabilisent les intermédiaires mais tout en leur imposant une obligation dite de "notice and take down". En cas de notification d'un contenu, les intermédiaires doivent le supprimer ... mais aussi en informer l'auteur du contenu. Ce dernier détient alors la possibilité de le contester au travers d'une contre notification. L'intérêt ? A partir d'un moment, il revient à l'auteur de la notification initiale de saisir la justice ou le contenu est alors remis en ligne et l'intermédiaire se voie être exonéré de sa responsabilité.

Ainsi, aux Etats-Unis, l'intermédiaire n'est pas juge du contenu. Dès réception du contenu, il procède à sa suspension et à l'information de l'auteur dudit contenu. En cas de contestation, il reviendra aux juges de statuer sur le différend ou, à défaut, le contenu réapparaîtra en toute légalité.

En France, le cadre juridique n'a pas voulu aller aussi loin. On a prévu 1) le principe de notification 2) un formalisme - facultatif, les parlementaires ayant refusé de le rendre obligatoire et 3) un garde fou avec une sanction pénale en cas de notification abusive. Mais cela a paru insuffisant aux principaux observateurs. Et aussi au Conseil constitutionnel.

Dans sa décision du 10 juin 2004, le Conseil constitutionnel n'a pas censuré le dispositif. Il a émis ce que l'on appelle une "réserve d'interprétation". Pour ceux non familiarisés avec les concepts de droit constitutionnel, cela pourrait se résumer en : "Bon, j'te censure pas ta loi mais à la condition que cela soit interprété dans ce sens. Sinon, couik".

Donc, les sages de la Rue Montpensier revienne sur ce régime de responsabilité et cette crainte de justice privée. Dans leur décision, ils expliquent que "ces dispositions ne sauraient avoir pour effet d'engager la responsabilité d'un hébergeur qui n'a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n'a pas été ordonné par un juge".

L'hébergeur érigé en garde-fou de la liberté d'expression

Ainsi, naquis le concept du "manifestement illicite". Pour le Conseil constitutionnel, la responsabilité de l'hébergeur ne peut être recherchée que s'il n'a pas retiré un contenu qui était manifestement illicite.

Source : ninasaurusrex sur flickr (CC)

Pourquoi avoir prévu une telle précision ? Le Conseil constitutionnel l'explique clairement dans ses commentaires :
"Soulignons à ce sujet que les dénonciations dont un hébergeur sera le destinataire peuvent être nombreuses et de caractère confus, malveillant ou intéressé [Il est vrai que la loi prévoit un garde-fou contre les dénonciations qui auraient pour seul objet d'obtenir le retrait de l'information (4 du I de l'article 6). Mais un tel détournement de procédure est tout sauf évident et, étant sanctionné pénalement, il ne sera reconnu que restrictivement et tardivement.
Ce garde-fou ne mettrait donc l'hébergeur que faiblement à l'abri des dénonciations intempestives.]. De plus, la caractérisation d'un message illicite peut se révéler délicate, même pour un juriste.
Dans ces conditions, les hébergeurs seraient tentés de s'exonérer de leurs obligations en cessant de diffuser les contenus faisant l'objet de réclamations de tiers, sans examiner le bien fondé de ces dernières. Ce faisant, ils porteraient atteinte à la liberté de communication.
En raison de leurs effets, et compte tenu du dilemme dans lequel elles enfermeraient l'hébergeur, les dispositions du 2 et (surtout) du 3 du I de l'article 6 ne cesseraient de méconnaître l'article 13 de la Déclaration de 1789 qu'en portant atteinte à son article 11
"
L'ajout de ce qualificatif "manifestement" est un garde-fou voulu par le Conseil constitutionnel. Il ne faut pas que l'hébergeur supprime systématiquement tous les contenus notifiés uniquement pour se dégager de toute cause éventuelle d'engagement de sa responsabilité.

En cela le Conseil constitutionnel responsabilisait, éthiquement, l'hébergeur en lui donnant un outil formidable destiné à protéger la liberté de communication et donc, d'être non pas l'acteur d'une justice privée, mais bien le dernier rempart en faveur de la liberté d'expression.

Seulement, un point n'a jamais été vraiment précisé par les Sages de la Rue Montpensier : ce qu'ils entendaient par "manifestement". Cela a permis à de nombreux juristes de se pencher sur la question (voir à ce projet, cette étude très complète). Traditionnellement, le manifestement illicite est réduit aux cas de racistes et d'anti-sémitisme, de pédopornographie ou de propagation de la haine raciale. Pourquoi ces cas là exclusivement ? Cela provient tout simplement d'un article de Zdnet qui avait relaté les propos tenus par le Secrétaire général du Conseil constitutionnel en conférence de presse et qui donnait des exemples de contenus manifestement illicites.

Mais les juges n'y ont pas vu une liste limitative. Des magistrats ont ainsi pu voir dans l'atteinte à la vie privée, un contenu manifestement illicite. A l'inverse, la contestation du génocide arménien ne pouvait recouvrir cette qualification, ces propos n'étant pas illicites à l'époque des faits.

En 2011, un garde-fou devenu d'arrière garde

Par la suite, les débats ont porté bien souvent sur le statut de ces intermédiaires. Qui sont les hébergeurs ? Plates-formes de vidéos, plates-formes de commerce électronique, etc. La Cour de cassation est venue dans plusieurs arrêt du 17 février 2011 donner son interprétation, concernant notamment Dailymotion. Elle explique ainsi "que la société Dailymotion était fondée à revendiquer le statut d’intermédiaire technique" au sens de la LCEN.

Source : icedsoul sur flick (CC)

Dailymotion reconnu comme hébergeur. Si on prend cet exemple, un second sujet se pose alors : quid du manifestement illicite ? Si on dit que Dailymotion, en sa qualité d'hébergeur, ne se doit de retirer que les contenus manifestement illicites qui lui ont été notifiés, quelles diligences doit-il prendre lors du traitement des notifications des ayants-droit ? On peut se poser la même question au regard du développement des systèmes d'empreintes qui ont vocation à automatiser le traitement des notifications et finalement à mettre en oeuvre un "notice and stay down", c'est à dire un blocage de la réapparition de contenus identiques.

Et c'est à ce stade de l'histoire que la question se pose : le garde-fou créé par le Conseil constitutionnel destiné à éviter les notifications abusives et destiné, non pas à protéger les intermédiaires mais à assurer la protection de la liberté de communication, est-il toujours effectif ?

Cet abandon du garde-fou est accéléré par les mêmes décisions de la Cour de cassation du 17 février 2011. Les juges suprêmes estiment qu'une "notification délivrée au visa de la loi du 21 juin 2004 doit comporter l’ensemble des mentions prescrites par ce texte". En clair, la procédure de l'article 6.I.5 est une procédure non pas facultative, comme le souhaitait le Parlement, mais bien une procédure obligatoire que se doit de suivre le tiers souhaitant notifier un contenu illicite sur une plate-forme.

Et dès lors que l'on crée une voie formalisée de notification des contenus, la mise en oeuvre du "notice and take down" par les hébergeurs peut alors prendre une voie industrielle : la notification conforme à la LCEN est reçue, le contenu est supprimé. L'hébergeur abandonne alors l'analyse du contenu de la notification et ne s'assure plus que celle-ci vise bien qu'un contenu "manifestement illicite".

Donc, d'un côté, la Cour de cassation impose un formalisme en matière de notification. De l'autre, les hébergeurs développent de plus en plus une coopération avec les tiers, notamment les ayants droit (musique, cinéma, marques, etc.), afin de faciliter ou fluidifier les notifications et leur traitement. Des outils sont également mis en place afin, pour les intermédiaires, d'adopter une démarche proactive de recherche des contenus (bases d'empreinte pour les vidéos, mots clés ou analyses du contenu d'offres pour les petites annonces de produits).

Le garde-fou qu'aurait dû être l'hébergeur disparaît progressivement et s'estompe. En l'absence de formalisme pour la notification, l'hébergeur était amené à procéder à l'examen de celle-ci et éventuellement à refuser les demandes. Combien de fois ai-je refusé à un titulaire de "droits exclusifs" la possibilité d'imposer un prix de vente à ses distributeurs sur une plate-forme de commerce électronique. De même, il m'est arrivé de m'opposer à la suppression de contenus pointés comme étant "diffamatoires" .. mais prescrits depuis de nombreux mois.

Ce travail d'analyse sera-t-il encore mené à partir du moment où l'article 6.I.5 pose, plus qu'un formalisme, un principe selon lequel la connaissance des contenus est alors présumée acquise. Ainsi, la Cour de cassation impose un formalisme, mais la conséquence du respect de ce formalisme est que l'hébergeur a, alors, la connaissance des faits illicites .. imposant leur retrait.

Ainsi, en focalisant le débat juridique exclusivement autour de la nature de l'intermédiaire (hébergeur ou pas), on a totalement oublié le rôle que la loi, et surtout le Conseil constitutionnel, a conféré à cet intermédiaire. Celui d'être un des garants de la liberté d'expression sur les réseaux.

Une protection de la liberté de communication à reconstruire

Il y a aussi une raison à cela, sans doute en forme de mea culpa. Le débat autour du statut de l'hébergeur s'est focalisé depuis plus de 5 ans autour des acteurs du web 2.0, les fameux acteurs de l'internet communautaire. Et surtout, l'un des sujets majeurs discutés lors des contentieux était le respect des droits de propriété intellectuelle (droit d'auteur, droits voisins, droit des marques, brevets, etc.) voire la protection de réseaux de distribution. Les enjeux de ces débats sont de nature économique. Il s'agit de protéger des droits exclusifs d'exploitation et les revenus (et aussi emplois) qui y sont attachés. Le débat devient alors purement économique sur l'atteinte que provoque les intermédiaires.

Source : Solo sur flickr (CC)

Mais à aucun moment, la question de la liberté d'expression ne se pose, ne s'est posée dans ces débats. Quand l'industrie musicale critique l'utilisation de certains morceaux musicaux dans des vidéos, est-ce la liberté d'expression qui est en jeu ? Quand un vendeur est accusé de porter atteinte à un réseau de distribution sélective, la liberté d'expression est-elle un enjeu ?

De même, quand on sait que la grande des parties de ces contentieux a été jugée par des magistrats spécialisés sur les questions de propriété intellectuelle, on peut s'interroger sur la place de la problématique de la protection de la liberté de communication dans l'esprit des magistrats.

Cette critique de traiter la question du statut de l'hébergeur au travers du prisme trop fréquent de la protection des droits de propriété intellectuelle est réelle et justifiée. Et il n'est pas étonnant aujourd'hui que la question de la révision au plan communautaire du statut juridique de l'hébergeur puisse intervenir, non pas à l'occasion d'une discussion d'une nouvelle directive "ecommerce", mais à l'occasion de la directive IPRED, comprendre renforcement des droits de propriété intellectuelle.

Et surtout, maintenant que les dossiers contentieux vont de moins en moins porter sur la qualification de tel ou tel intermédiaire en hébergeur, est-ce qu'un intermédiaire fera le choix de s'opposer à une notification et ainsi courir d'un contentieux où son statut pourrait être en lui même remis en cause ?

Au gré des contentieux, il semble que l'appréciation du caractère manifestement illicite d'un contenu ait disparu et clairement, il est de moins en moins dans l'intérêt d'un intermédiaire de remettre en cause ce caractère manifeste dans ses échanges avec les tiers. La boîte de Pandore a été difficile à refermer, elle ne l'est pas totalement. Rare sont ceux qui voudront se relancer dans de tels débats.

Se pose alors une question : ne faudra-t-il pas instaurer dans le droit français un nouveau garde-fou protecteur des libertés ? Dans les couloirs sombres des lobbyistes de l'internet, une question sérieuse se pose : celle de l'instauration d'une procédure de contre-notification à l'américaine. Ainsi, il ne sera plus demandé à l'intermédiaire de se faire juge de l'illicite ou même du manifestement illicite. Il reviendra à l'auteur du contenu, objet de la notification, de la contester. Et si l'auteur de la notification le désire, il lui reviendra le soin de saisir le juge afin d'en obtenir le retrait.

Le garde-fou serait double. D'une part, il s'agirait de la procédure administrative et contradictoire organisée par l'intermédiaire. D'autre part, il s'agirait des pouvoirs du juge qui demeure, rappelons le, l'un des garants des libertés selon notre système juridique.

Il ne fait pas de doute que réouvrir le débat parlementaire autour du statut de l'hébergeur est purement illusoire, voire suicidaire, notamment au regard des propositions de créer des régimes ad hoc, comme par exemple, celui de l'éditeur de service en ligne.

Mais à une époque où la question de la protection de la liberté de communication devient centrale, il ne faudrait pas que l'arbre - filtrage - puisse cacher la forêt. Il faut rappeler que le filtrage des contenus par les fournisseurs d'accès (enfin, le "blocage" de ceux-ci) intervient de manière subsidiaire à une autre mesure : celle de la suppression desdits contenus par les hébergeurs.

Les garanties procédurales, et notamment le recours au juge, qui sont revendiquées en matière de blocage devraient également trouver leur pendant dans les procédures existantes en matière de suppression des contenus par les hébergeurs à la demande de tiers. Contrairement aux Etats-Unis, nous n'avons pas en France de base de données des notifications reçues et/ou traitées par les hébergeurs. Nous n'avons pas de transparence sur les mesures prises. Et nous n'avons plus de gardes-fous.

Dans ses confessions d'un voleur, Laurent Chemla disait : "C'est là qu'il faut chercher et trouver l'Internet, dans la liberté d'expression rendue au plus grand nombre par un simple outil qui organise la cacophonie. (...) Cette liberté, sachez la conserver, quand vous l'aurez, vous aussi, retrouvée".