jeudi 28 février 2013

Faux chèque de banque: responsabilité partagée pour cause d'empressement du consommateur


Une nouvelle affaire de faux chèque de banque a été récemment jugée par la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence. Les juges ont retenu en l'espèce une responsabilité partagée du fait, notamment, de certaines circonstances. Cela confirme donc une tendance à une analyse au cas par cas par les magistrats de ces affaires sensibles qui ont vu le jour avec ce développement d'escroqueries dites "à la nigérianne".


Ici, un internaute décide de mettre en vente sa moto sur internet. Un acquéreur se présente et se propose de lui acheter en utilisant pour cela un chèque de banque d'un montant de 8900 euros. Mais, ayant un doute, le vendeur décide d'appeler son banquier. Ce dernier se rend sur place pour contrôler l'authenticité du chèque de banque. Après entretien avec son banquier, il décide de finaliser la vente.

Mais trop tard. Quelques minutes après, son banquier le rappelle pour l'informer que le chèque de banque est un faux. Ils décident alors, tous les deux, de se rendre à la Gendarmerie pour déposer plainte pour escroquerie. Par la suite, il engage des discussions avec la Société Générale afin d'obtenir son indemnisation. Refus de la banque.

L'internaute décide donc de saisir la justice. Par jugement du 25 janvier 2010, le Tribunal de Commerce de Cannes confirme la responsabilité de la banque et la condamne à verser la somme de 2966,66 euros, soit un tiers de la somme perdue. Les juges considéraient que les tords étaient partagés. L'internaute décide de faire appel.

La Cour d'appel d'Aix-en-Provence relève tout d'abord que :
En la matière, la banque est tenue de vérifier la régularité apparente du chèque. Or, celui-ci ne présentait aucune anomalie permettant de déceler la contrefaçon. Cela était d'autant moins possible que la vérification opérée par le préposé de la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE dépêché sur les lieux s'est faite uniquement de visu , en dehors de l'agence même alors que ce chèque était tiré sur les comptes de la CAISSE D'ÉPARGNE PROVENCE ALPES CORSE qui en était émettrice et qu'il s'agissait plutôt de contacter.
Mais aussi, elle note que l'internaute:
a préféré réaliser la transaction sans attendre et sans davantage s'assurer de l'identité de son acheteur par la production d'une pièce d'identité.
Dans ces conditions, les juges considèrent que le consommateur doit "supporte(r) au titre de cette négligence et de cet empressement la part de responsabilité qu'a retenu le tribunal de première instance dans la création du préjudice dont il se plaint".

De même, "La banque, pour sa part, intervenant à la demande expresse de X devait , en cette qualité de professionnelle des instruments de paiement, avertie des risques de contrefaçon de chèques de banque, délivrer à celui-ci une mise en garde dissuasive ne serait-ce qu'au regard des conditions de remise du chèque, intervenue sans vérification préalable de l'identité de son porteur. À ce titre,  elle sera déclarée responsable à hauteur du tiers du montant du préjudice crée et lejugement sera confirmé en toutes ses dispositions"

Les juges confirment donc cette responsabilité partagée. La Société générale demeure tenue de prendre à sa charge un tiers du préjudice de son client. Le client, de son côté et dû à son empressement, devra prendre à sa charge les deux tiers de son préjudice.

Source : CA Aix-en-Provence, 24 janvier 2013, X c/ SA Société Générale, RG 10/10489

mercredi 27 février 2013

Pierre Fabre manque de faire interdire la vente sur internet de certains produits

Pierre Fabre. Ce fabricant de cosmétiques est également connu, dans le monde des juristes, comme étant à l'origine d'un important contentieux délimitant la possibilité pour une tête de réseau de contrôler la distribution de ses produits sur internet.


Une nouvelle affaire a été initiée en mars 2011 quand Pierre Fabre a fait assigner la SAS 3W Santé, éditrice du site www.lecomptoirsante.com car celui-ci commercialisait des produits de la gamme Klorane. La société Pierre Fabre invoquait avoir mis en place un réseau de distribution sélective et qu'elle s'opposait à la vente de ses produits sur Internet, ce type de commercialisation excluant, selon elle, "notamment le conseil par l'exercice pertinent, visuel ou tactile des caractéristiques de la peau ou du cheveu présentées par le consommateur".

Par ordonnance du 14 juin 2011, le juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux a accueilli les demandes de Pierre Fabre. Cette ordonnance a été frappée d'appel par 3W devant la Cour d'appel de Paris.

Devant la Cour d'appel, Pierre Fabre demandait au juge des référés de constater que la commercialisation par 3W sur le réseau Internet  au mépris de ses conditions générales de distribution et de vente des produits de la gamme Klorane "contrevient à l'existence de son réseau de distribution sélective et d'ordonner en conséquence la cessation de toute commercialisation des gammes de produits KLORANE et la suppression de toutes les références à ces produits sur le site incriminé".

De son côté, la Cour relève que :
Il résulte de l'arrêt de la CJUE du 13 octobre 2011, saisie d'une question préjudicielle posée par la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 29 octobre 2009, qu'une clause contractuelle, telle que celle comprise dans les contrats de distribution sélective de PIERRE FABRE, interdisant de facto Internet comme mode de commercialisation a, à tout le moins, pour objet de restreindre les ventes passives aux utilisateurs finals désireux d'acheter par Internet et localisés en dehors de la zone de chalandise physique du membre concerné du système de distribution sélective et que l'exemption par catégorie ne s'applique pas à un contrat interdisant la vente par Internet ;  
Considérant que si ce même arrêt énonce qu'un tel contrat peut, en revanche, bénéficier d'une exemption à titre individuel, encore faut-il que celui qui s'en prévaut établisse les conditions de l'article 101, paragraphe 3, TFUE, c'est-à-dire démontre qu'une telle pratique restrictive de concurrence contribue à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique ;


A cet égard, les juges estiment que :
"non seulement PIERRE FABRE ne prétend pas faire la démonstration requise, mais encore l'Autorité de la concurrence a rappelé, dans son avis n 12-A-20 du 18 septembre 2012 relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique (point 329), la décision n 08-D-25 du 29 octobre 2008 du Conseil de la concurrence selon laquelle PIERRE FABRE n'avait pas justifié des critères de l'article 81 devenu 101, paragraphe 3, TFUE, et que l'interdiction faite par ladite société à ses distributeurs agréés de vendre par le biais d'Internet constituait une restriction de concurrence contraire à ce texte et à l'article L. 420-1 du code de commerce ;
Que de surcroît, PIERRE FABRE propose elle-même directement des conseils et diagnostics personnalisés sur les différents sites Internet de ses marques"
Dans ces conditions, pour la Cour d'appel de Paris, Pierre Fabre "n'établit pas avec l'évidence requise en référé la licéité de son réseau de distribution sélective, de sorte que le trouble manifestement illicite imputé à 3W n'est pas caractérisé, pas plus que le dommage imminent".

Les juges déboutent donc Pierre Fabre de sa demande d'interdiction de commercialisation des produits Klorane.

Source : CA Paris, 17 janvier 2013, SAS 3W Santé c/ SAS Pierre Fabre Dermo Cosmétique, RG 2011/17764

mardi 26 février 2013

L'usage non abusif d'internet ne peut donner lieu à licenciement

Depuis que la jurisprudence a reconnu la possibilité pour l'employeur de fixer des limites dans l'usage par les salariés de l'outil informatique, plusieurs litiges ont pu surgir permettant, décision après décision, d'affiner la ligne de séparation entre les comportements autorisés et interdits par les magistrats.


En l'espèce, un salarié avait été engagé par la SAS NTS 2000 au mois de novembre 2002. En novembre 2009, elle fait l'objet d'un licenciement pour cause réelle et sérieuse. En effet, il est reproché au salarié de s'être connectée, durant ses heures de travail, sur des sites Internet n'ayant aucun

lien direct avec les travaux qui lui étaient confiés. Pour l'employeur, "ces temps de connexion ont duré plusieurs heures, à ces temps sont venus s'ajouter les temps de consultation des résultats de ces recherches" avant de préciser que "les connexions établies sur le site Internet pendant votre temps de travail grâce aux outils mis à votre disposition par l'entreprise pour l'exécution de votre travail sont présumées avoir un caractère professionnel".

Le salarié décida de saisir le Conseil de Prud'hommes de Périgueux qui, par jugement du 14 mars 2011,  estimait que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamna l'employeur à 30.000 euros de dommages et intérêts. L'employeur décida de faire appel.

La Cour d'appel de Bordeaux a été appelé à examiné deux aspects : la possibilité de contrôler l'usage d'internet au sein de l'entreprise et l'abus (ou non) dans cet usage d'internet.



Tout d'abord, les magistrats relèvent que les relevés de connexion à internet ont été :
"collectés suite à un contrôle 'manuel' opéré a posteriori par l'employeur, et que (le salarié), au même titre que tous les employés de l'entreprise, avait connaissance par l'article 17 du règlement intérieur de l'entreprise du 20 mai 2009 (soumis au préalable au comité d'entreprise et à l'inspection du travail) que l'usage d'Internet au sein de l'entreprise était strictement limité, cet article stipulant que : "tout usage ou consultation de sites Internet sans rapport avec l'exercice professionnel pourra entraîner des sanctions disciplinaires".
De surcroit, la jurisprudence considère que les connexions établies par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumées avoir un caractère professionnel, en sorte que l'employeur est en droit de les rechercher aux fins de les identifier, hors la présence de l'intéressé, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels".
Dans ces conditions, les juges estiment que "l'employeur n'a pas obtenu ces fichiers par des moyens déloyaux ni contraires aux préconisations de la CNIL".

Ensuite, la Cour d'appel de Bordeaux a été appelée à apprécier l'usage abusif de l'outil informatique par le salarié. Elle relève que :
L'article L 1121-1du code du travail dispose que : nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas proportionnées au but recherché.
La CNIL dans son rapport de 2004 rappelle qu'une interdiction générale et absolue de toute utilisation d'Internet à des fins autres que professionnelle ne paraît pas réaliste dans une société de l'information et de la communication et semble de plus disproportionnée au regard des textes applicables et de leur interprétation par la jurisprudence.
L'utilisation sur les lieux du travail des outils informatiques à des fins autres que professionnelles est généralement tolérée. Elle doit rester raisonnable et ne doit pas affecter la sécurité des réseaux ou la productivité de l'entreprise ou de l'administration concernée.
En l'espèce, l'employeur reprochait à la salariée d'avoir consulté des sites Internet à caractère non professionnel durant 596 minutes (9,9 heures) entre le 14 septembre le 28 octobre 2009. De son côté, le salarié contestait cette durée et affirmait que l'usage n'avait pas excédé 283 minutes (4,4 heures) entre le 14 septembre et le 28 octobre 2009.

Les magistrats tranchent et estiment que :
Le temps de consultation retenu dans la lettre de licenciement a manifestement été majoré par l'employeur, dans la mesure où il a été calculé à partir de la première jusqu'à la dernière connexion sans prendre en compte la durée des interruptions, entre les temps de consultations. Celui, reconnu par le salarié parait minoré dans la mesure ou elle n'inclut pas dans ce temps la consultation des sites juridiques en matière sociale, et ce, bien que cette matière ne relève pas de ses attributions. 
Les juges retiennent donc que le salarié s'est connecté pendant une durée de 6 heures et 30 minutes, "ce qui équivaut à plus d'une heure de consultation par semaine de 30 heures de travail (temps partiel)". Cette durée de consultation sans être négligeable ne peut toutefois être considérée comme déraisonnable et donc réellement abusive.

Au-delà de la périodicité et du temps passé, c'est aussi le contenu des sites visités qui ont attiré l'attention de l'employeur. Mais en l'espèce, le salarié consultait des sites ... juridiques.

Les magistrats relèvent que :
Or, la lecture du fichier produit par l'employeur révèle que les sites juridiques visités par la salariée, sont des sites consultables par n'importe quel internaute, s'agissant de sites juridiques en matière de droit du travail, accessibles à tous, qui n'affectent en rien la sécurité ni la confidentialité de l'entreprise. La consultation de ces sites en ligne n'est pas plus répréhensible que pourrait l'être la consultation de livres de droit social, au sein de l'entreprise. 
En conséquence, la Cour d'appel de Bordeaux considère que les faits reprochés au salarié sont "certes réels" mais "insuffisants pour justifier un licenciement" qui est "disproportionné au regard des faits reprochés, dans la mesure où le salarié avait eu un comportement particulièrement exemplaire (...) Il n'a pas cherché à avoir accès à des données confidentielles, propres à nuire à l'entreprise".

Elle confirme la condamnation de l'entreprise à 30.000 euros de dommages et intérêts.

Source: CA Bordeaux, 15 janvier 2013, SAS NTS 2000 c/ X, RG 11/02062

lundi 25 février 2013

Faux chèque de banque : nouvelle condamnation d'une banque

La fraude est connue depuis longtemps. Mais des consommateurs continuent d'être les victimes de cette arnaque dite "à la nigérianne" ou au faux chèque de banque.  Face aux sommes en jeu, souvent plusieurs milliers d'euros, des victimes décident de saisir la justice afin de faire retenir la responsabilité des banques et tenter d'obtenir des dédommagements. Depuis des années, les contentieux se suivent mais les réponses divergent (responsabilité de la banque vs absence de responsabilité), bien souvent en raison d'une analyse au cas par cas des faits de l'affaire.


A la fin de l'année 2012, la Cour d'appel de Douai a été appelée à examiner une nouvelle affaire concluant, cette fois-ci, à une responsabilité de la banque.

En 2009, un internaute décide de mettre en vente sa voiture sur internet. Il est alors contacté par un acquéreur, M. James PAUL se présentant comme de nationalité américaine et domicilié en Côte d'Ivoire. Un accord est rapidement conclu pour un prix de 36 850 € représentant le prix de vente et de transport du véhicule.

Le 20 avril 2009, l'internaute reçoit alors un chèque de banque et le dépose sur son compte bancaire ouvert auprès de la BNP Paribas. Le 30 avril, la banque porte le montant du chèque au crédit de son compte.


Après que le chèque de banque ait été passé au crédit de son compte, l'acquéreur du véhicule contacte l'internaute pour annuler la vente, arguant de problèmes médicaux rencontrés par des personnes de sa famille et lui demande, au titre du remboursement du prix de la vente, d'adresser des mandats à des professionnels de santé ayant soigné sa famille. 

L'internaute décide donc d'émettre des mandats et invoque le fait qu'il avait interrogé sa banque pour savoir s'il pouvait procéder ainsi. Problème, le 22 juin 2009, sa banque lui notifie le rejet du chèque de banque car il s'agit d'un faux chèque et procède au débit de son compte. 


En première instance, l'internaute tente de faire reconnaître la responsabilité de sa banque. Sans succès. En cour d'appel, il a plus de chances.

Les juges relèvent:
Si cette demande de paiement au moyen d'un chèque de banque constitue un acte prudent de la part du vendeur, il convient de relever que le seul fait de demander à l'acquéreur un chèque de banque ne garantit pas pour autant le fait que ce chèque sera effectivement payé.

En effet, il existe de faux chèques de banque et dans ces conditions la garantie habituelle attachée au chèque de banque ne peut jouer, celui-ci n'ayant pas dans ce cas une sécurité absolue.
Par la suite, les magistrats retiennent que "si lors de la remise du chèque de 36 850 € au crédit de son compte, l'établissement bancaire lui avait expliqué qu'il fallait attendre un certain délai avant de savoir si le chèque serait effectivement payé ou non, s'agissant certes d'un chèque de banque mais émis par une banque étrangère, il n'aurait alors pas envoyé de l'argent à des tiers par le biais de mandats".

Les juges pointent le fait que "aucune mention de ce relevé de compte n'indique à X qu'il doit attendre avant d'avoir la certitude que le chèque sera payé et il n'est justifié d'aucune information de ce type délivrée lors du dépôt du chèque par X au crédit de son compte. En particulier, il n'existe aucune mention 'sous réserve d'encaissement' mentionnée en regard de la remise du chèque de 36 850 €".

Dans ces conditions, la cour d'appel retient que l'internaute "n'a reçu aucune information et aucun conseil quant aux effets de la remise à l'encaissement d'un chèque de banque en provenance d'une banque étrangère".

Ainsi, "alors que le chèque a été porté au crédit du compte le 30 avril 2009, la banque a manqué de diligence en n'informant celui-ci de ce que le chèque était faux que le 26 mai 2009 par téléphone puis par courrier le 22 juin 2009. Dans ces conditions, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, la responsabilité de la banque BNP Paribas est engagée".

La Cour d'appel de Douai condamne donc la BNP Paribas à indemniser l'internaute victime. Pour évaluer le préjudice, les juges considèrent qu'en "cas de manquement d'un professionnel au devoir de conseil et d'information, le préjudice ne peut jamais être égal à la perte subie ou au gain manqué mais consiste en la perte de chance pour le client en l'espèce d'avoir pu attendre que l'encaissement du chèque lui soit confirmé avant d'adresser des mandats. La perte de chance doit être évaluée à 85 % et ce coefficient sera appliqué au préjudice".

Source : CA Douai, 8 novembre 2012, Marcel X c/ SA BNP Paribas, RG 11/08033

samedi 23 février 2013

Free vs. Bouygues Telecom : un dénigrement croisé

La guerre opposant les divers opérateurs de télécommunication viennent régulièrement devant les tribunaux. Le 22 février 2013, le Tribunal de commerce de Paris a rendu sa décision dans un litige où Bouygues Télécom accusait l'opérateur Free de dénigrement à son endroit. A titre reconventionnel, Free arguait également d'actes de dénigrement de la part de Bouygues Telecom. Au final, le Tribunal de commerce de Paris a fait droit aux deux opérateurs et les a condamné, réciproquement.

Annonce du lancement de Free Mobile

Dans son jugement, le Tribunal relève tout d'abord qu'il "n'est pas en tant que tel interdit de comparer ses produits avec ceux de ses concurrents mais qu'une telle comparaison doit respectée des règles strictes d'objectivité et de loyauté".

Concernant Free, il est apparu "tout au long de la campagne et encore aujourd'hui, Free communique sur l'idée selon laquelle les clients des opérateurs concurrents auraient, pendant des années, été p^ris pour des idiots payant des forfaits trop chers, que cela laisse à penser que les opérateurs, et en particulier Bouygues Telecom, auraient berné leurs clients par des offres trop chères"

Les juges considèrent que :
Attendu que de telles accusations, laissant entendre que les offres mobiles supérieures à 20 euros seraient une arnaque faite au consommateur, sont fausses, car sous couvert d'une affirmation péremptoire, Free masque en réalité des situations très différentes, selon que l'on se réfère à des forfaits simples sans engagement, ou à des offres avec engagement qui comprennent des services supplémentaires comme la fourniture d'un terminal parfois haut de gamme à prix réduit, un service client, un réseau de boutiques sur tout le territoire pour conseiller et permettre aux clients de découvrir et d'acquérir en boutique les offres et services de Bouygues Telecom, des services adaptés aux besoin des clients
(...)
En réduisant l'offre mobile à la seule composante du prix, Free occulte volontairement les autres offres de Bouygues Telecom, proposant une gamme de prestations complémentaires, pouvant justifier que le consommateur choisisse d'acquitter un prix plus élevé ;
Attendu ainsi que le discours trompeur et dénigrant véhiculé par Free a non seulement contribué à dévaloriser l'ensemble des offres supérieures à 20€ de Bouygues Telecom mais aussi installé dans l'esprit du public l'idée selon laquelle toute offre supérieure à 20€ constitue une arnaque induisant l'ensemble des consommateurs en erreur.
 
A l'appui de cette conclusion, les juges mentionnent le rapport de Corinne Erhel du 10 octobre 2012 sur la crise traversée par le secteur des communications électroniques et qui soulignait l'impact des offres de Free sur l'ensemble de la filière.

Les juges concluent que l'utilisation des termes "arnaques", "escroqueries", "racket" ou "gruge"  par Free pour désigner les offres de ses concurrents "constitue un acte de dénigrement constitutif de concurrence déloyale".

Le tribunal ordonne donc à Free de cesser l'utilisation des "termes et le champ lexical violent et injurieux et notamment ceux d'arnaque, de racket et d'escroquerie" sous astreinte de 100.00 euros par allégation.

Au regard du nombre de clients ayant migré vers Free "compte tenu des actes de dénigrement" (estimé à 181.106), les juges attribuent à Bouygues Telecom, 15 millions d'euros de dommages et intérêts auxquels il ajoute la somme de 10 millions d'euros pour l'atteinte portée à l'image de la marque.

Mais de son côté, Free a formulé une demande reconventionnelle destinée à faire condamner Bouygues Telecom également pour dénigrement. En effet, les juges retiennent que "l'emploi du terme 'calamité' a plusieurs reprises pour qualifier le réseau de (Free), son offre et son service est un acte de dénigrement car ce sont les qualités mêmes du service et celle du produit qui sont publiquement mises en cause".

Les juges relèvent également que:
Bouygues Telecom reproche à Free de s'entendre avec Orange ; Attendu que Free considère ces déclarations comme dénigrantes car contraires à la réalité, Bouygues Telecom faisant courir de fausses rumeurs qui lui causent un préjudice notamment en ternissant sa réputation. 
En conséquence, les magistrats estiment que ces pratiques ont conduit 48.440 clients de Free à quitter l'opérateur et attribue 5 millions d'euros de dommages et intérêts au quatrième opérateur.

A noter, Free a indiqué vendredi faire appel de ce jugement.

Source : TCom Paris, 22 février 2013, RG 2012-076280, SA Bouygues Telecom c/ SA Iliad, SASU Free et SASU Free Mobile






lundi 18 février 2013

Facebook : nouvelle modalité de preuve d'un contrat de travail

Avec la généralisation de l'usage des réseaux sociaux, la question de son usage comme moyen de preuve revient régulièrement devant les magistrats. Comme par exemple, devant la Cour d'appel de Poitiers qui a eu à répondre est la suivante : peut-on prouver l'existence d'un contrat de travail à partir de messages publiés sur Facebook ?

Source: Tax Credits sur Flickr

En l'espèce, au mois d'octobre 2009, une jeune femme décide de saisir le Conseil de Prud'hommes de Poitiers afin de faire constater qu'elle avait été embauchée au début de mois de juillet 2009 en qualité de vendeuse au sein d'un établissement et que la rupture contractuelle devait s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En première instance, les magistrats ont fait droit à la demande et requalifié la relation commerciale en contrat de travail à durée indéterminée à la base des messages publiés sur le profil Facebook de l'employeur. Devant la Cour d'appel, l'employeur soutenait que l'obtention de ces messages s'était faite de manière déloyale et que lesdits messages ne pouvaient pas être utilisés pour prouver l'exister d'un tel contrat de travail.

Mais les juges écartent cette argumentation. Tout d'abord, les magistrats relèvent que :
(les messages) ont été émis par l'appelante sans restriction de destinataire sur le réseau social et qu'ils pouvaient ainsi être consultés de manière libre par toute personne.
La collecte de la preuve n'est donc pas déloyale.

Sur le contenu des messages, les juges relèvent que :
Le 24 septembre 2009, Mme X désignait Y, comme sa vendeuse, et qu'elle se plaignait le 15 septembre 2009 d'être "déçue par Y", qui lui cherchait 'des noises avec son avocat' après avoir évoqué le 25 juillet 2009 avoir "viré la vendeuse".
Le contenu de ces messages présente une analogie suffisante avec le contexte litigieux pour démontrer que Mme Y a bien été recrutée par Mme X comme vendeuse courant juillet 2009 et que les relations contractuelles ont brutalement cessé le 21 juillet 2009 dans un contexte conflictuel.
En conclusion, la Cour d'appel de Poitiers estime que c'est en vain que Mme X s'est prévalue de "relations amicales" pour contester la réalité d'un lien de subordination et d'un contrat de travail. La Cour d'appel a donc confirmé l'existence d'un contrat de travail et condamné l'employeur à indemniser son salarié.

Source : CA Poitiers, 16 janvier 2013, Carine X c/ Adeline Y.