mardi 27 décembre 2011

L'ARCEP sanctionne la Poste pour le prix de l'envoi de petits objets

"On a tous à y gagner". Ce slogan de la Poste semble garder tout son sens à une époque où le marronnier de Noël, la fameuse revente des cadeaux, va connaître son pic d'activité. Comme le Père Noël sur son traineau, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a infligé le 20 décembre 2011 une amende 1 million d'euros à La Poste. Le motif ? Ne pas proposer d'offres tarifaires adéquates pour l'envoi de petits objets par La Poste.

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Source : kadluba sur flickr

En effet, nombreux sont les clients du service postal qui souhaitant envoyer des livres, CDs ou DVDs se voient refuser la prise en charge de leur envoi au tarif "lettre" et obtenir à la place l'invitation du guichetier à utiliser une offre dédiée comme la "lettre Max" ou "Colissimo" au motif que les objets ne peuvent pas être envoyés en utilisant le tarif lettre. Problème pour le consommateur ? Le prix. En effet le recours à la lettre Max ou à un envoi en Colissimo peut multiplier très fortement le coup d'envoi de l'objet.

Les conséquences ne sont pas neutres. Pas seulement pour les consommateurs mais pour un secteur qui s'appuie sur l'envoi de petits objets par le circuit postal : les relations commerciales entre particuliers, le fameux CtoC et ses acteurs que sont PriceMinister, eBay, 2xMoinsCher, le Bon Coin, etc.

Face à ces demandes répétées, il faut bien l'avouer, les acteurs du CtoC n'ont pas pu rester indifférents. En effet, le prix de l'envoi des petites marchandises est clairement un élément permettant de jouer sur l'attractivité de la vente entre particuliers. Même si à Noël, nombreux sont ceux à revendre leurs cadeaux, encore faut-il qu'ils puissent les envoyer à un prix abordable ou du moins qui ne soit pas rédhibitoire.

Et cela représente un volume important. Récemment, Pierre Kosciusko-Morizet indiquait que 30% des produits vendus par des particuliers sur PriceMinister sont des livres. Il faut ajouter à cela les autres produits culturels, les autres envois envoyés par des utilisateurs d'autres plateformes. Si le chiffre n'a jamais été évalué précisément, on a toujours pensé que l'on parlait de l'envoi au total de plus de 5 millions de petits objets chaque année.

L'envoi des petits objets au tarif lettre : rien ne l'interdit

Tout commence à compter de 2005 quand le médiateur du service universel postal dans son rapport pour l'année 2004 émet quelques pistes de réflexions notamment sur la définition de ce que l'on appelle "la lettre" :
Le médiateur a reçu plusieurs saisines de clients de La Poste qui ont utilisé la simple prestation lettre de La Poste pour expédier des objets de petite dimension, notamment des composants informatiques, des disquettes, des CD roms, des DVD ou encore des clef
A cette occasion, le médiateur relevait que :
En tout état de cause, ces dispositions réglementaires ne prohibent pas l’insertion de marchandises dans une lettre, pour autant que le tarif lettre soit respecté. (...)Les conditions générales de vente ne prohibent pas formellement l’acheminement de marchandises par une prestation « lettre »(...)En conclusion, dans les cas qui lui ont été soumis, force a été de conclure à l’issue de l’analyse menée que les clients n’ont contrevenu à aucune disposition dont ils auraient pu avoir connaissance en choisissant d’acheminer des marchandises comme par exemple des composants  informatiques par une prestation « lettre ».
Ainsi, en 2005, le médiateur du service universel postal conclut à la possibilité d'expédier des petites marchandises en utilisant le tarif "lettre".

Malgré cela, au guichet, les positions ne changent pas. Et les consommateurs continuent de se plaindre notamment auprès de la Commission européenne qui écrit alors à l'ARCEP. La réponse de l'ARCEP ne va pas tarder et de manière assez inattendue. Dans sa "Lettre de l'Autorité" datée des mois de septembre/octobre 2007, une pleine page apparaît et le message est clair :
"Concrètement, si le client estime que la prestation lettre satisfait ses besoins, tout en respectant les conditions de format, de poids et de tarifs, ainsi que les obligations en matière de conditionnement, La Poste ne peut lui interdire d’expédier son envoi au tarif lettre".
Donc, l'ARCEP rappelle que la Poste est obligée de proposer un tarif abordable pour l'expédition de petits objets.

La riposte de la Poste : l'interdiction de l'envoi de petits objets au tarif lettre

La Poste résiste pourtant et continue à renvoyer les consommateurs vers des offres dédiées dans la gamme Colissimo ou Lettre Max. Pire, elle modifie ses conditions générales de vente au mois d'octobre 2007 pour interdire l'envoi de petits objets au tarif "lettre".

- Mail Day -
Source : Warm 'n Fuzzy sur Flickr

L'ARCEP réagit alors de manière inattendue. Devant homologuer une augmentation des tarifs Colissimo, par un avis en date du 5 février 2008, l'autorité décide de l'apprécier au regard de l'existence d'une offre abordable pour les petits objets:
"L’Autorité estime que le niveau et l’évolution des tarifs des colis du service universel ne se conçoivent que sous réserve de l’existence d’une offre complémentaire à un tarif équivalent ou proche du tarif « lettre », pour des envois d’un format standard adapté au dépôt et à la remise en boites aux lettres et permettant son usage pour une variété suffisante d’objets dont la valeur ne justifie pas le recours au Colissimo."
En juin 2008, la Poste décide de plier et s'engage à commercialiser une offre dédiée à l'expédition d'objets de petites valeurs. Par un avis en date du 18 septembre 2008, l'ARCEP homologue l'offre Mini-Max car "répond de manière satisfaisante aux besoins exprimés par les consommateurs de la commercialisation d’un nouveau  produit relevant du  service universel pour l’envoi de petits objets à un tarif abordable".

Or, déjà à cette époque l'offre n'était pas satisfaisante. Si elle était légèrement supérieure au tarif lettre, l'offre était limitée dans le format et surtout dans le poids. Pour démontrer l'inefficacité, je prenais souvent un exemple : le dernier ouvrage de Marc Levy ne pouvait ainsi pas être expédiée par ce moyen.

Au début de l'année 2009, l'ARCEP continue ses rappels à la Poste cette fois-ci à propos des tarifs transfrontaliers, pour l'envoi de petites marchandises en Europe :
"Toutefois, la distinction entre les envois de marchandises et envois de correspondance ne devrait être mise en œuvre effectivement que si elle s’avère indispensable à la satisfaction d’obligations s’imposant au service postal. En outre, l’usager doit continuer à disposer d’une offre abordable, adaptée aux caractéristiques des envois ; l’Autorité estime qu’il convient en particulier que l’offre comporte un tarif proche de celui des envois de correspondance pour les envois de faibles poids (inférieurs à 100 grammes), comme c'est le cas pour les envois domestiques."
L'ARCEP sort l'artillerie lourde

Le 12 février 2009, la tension monte d'un cran entre l'ARCEP et la Poste. La raison ? L'autorité se sent menée en bateau par la Poste.

Sorry the Christmas cards are running late...
Source : sidehike sur Flickr

Si la Poste a bien proposé une offre "Mini Max", il semble que celle-ci soit méconnue du grand public voire non proposée. L'ARCEP décide donc de sortir une arme à laquelle on ne s'attendait pas : elle décide de ne pas homologuer une proposition d'augmentation tarifaire de Colissimo :
"Elle ne peut néanmoins que constater que, au-delà de ses seules obligations réglementaires minimales, La Poste n’a pas mis en œuvre l’ensemble des moyens nécessaires et suffisants en matière d’information sur le produit Mini Max en direction de son réseau comme des consommateurs, pour que ne perdure pas une orientation préférentielle de ses clients à la recherche de produits d’envoi de petits objets vers des produits plus chers tels que Colissimo et Lettre Max.
Dans ces conditions, l’Autorité émet un avis défavorable à l’augmentation des tarifs du Colissimo présentée par La Poste le 12 janvier 2009."

En clair, tant que la Poste n'aura pas réellement commercialisée une offre adaptée à l'envoi de petits objets, le tarif Colissimo sera bloqué.

Les lobbies appuient là où ça fait mal

A partir de là, un échange a lieu entre l'ARCEP et la Poste sur le respect de ses obligations. La Poste justifie ce blocage par le fait qu'il n'existe "aucun besoin social, en l'absence de demande ferme des consommateurs". Pour débloquer la situation, il s'est avéré nécessaire d'avoir deux actions conjointes.

La première est venue de la part des acteurs du e-commerce, et notamment les fameuses plateformes de commerce électronique. Mais pas directement, par le biais d'une de leurs associations, l'Association de l'Economie numérique (ACSEL), à l'époque présidée par Pierre Kosciusko-Morizet. Dans un courrier en date du 1er septembre 2009(1), de plusieurs pages et relativement documenté, l'ACSEL considérait que l'offre Mini Max "était insuffisamment connue du grand public et qu’elle était inadaptée matériellement à sa fonction première : l’envoi de petits objets". En particulier, l'association relevait que les contraintes limitant l'épaisseur maximale avait "pour effet d’exclure un très grand nombre de produits et en particulier les livres de type "grand format". Il en est de même pour certains livres de poche pour lesquels l’épaisseur dépasse les 2 cm".

La seconde est venue de l'ARCEP qui s'est associée avec l'Institut national de la consommation (INC) pour réaliser une étude et des tests auprès de plusieurs bureaux de poste. Publiée en mars 2010, l'étude "a montré qu’il existait un problème d’accessibilité de l’offre « Mini Max » et que les utilisateurs recevaient une information inadaptée, voire inexacte."

Le 24 mars 2010, l'ARCEP met en demeure la Poste de lui proposer sous un mois les mesures qu'elle entend mettre en oeuvre afin de développer une offre tarifaire adaptée. A partir de ce moment, s'ouvre des échanges qui aboutiront à la sanction prononcée à la fin du mois de décembre 2011 par l'ARCEP avec l'argumentation suivante :
"L’Autorité constate que la méconnaissance, par La Poste, des obligations auxquelles elle est assujettie en application de l’article L. 1 du CPCE, a des conséquences dommageables pour les utilisateurs. En particulier, les consommateurs désirant envoyer des petits objets de faible valeur de plus de 2 centimètres d’épaisseur doivent s’acquitter du tarif « Colissimo » au lieu de bénéficier d’une offre abordable, telle qu’imposée par la loi, et telle d’ailleurs qu’elle est proposée par plusieurs postes européennes.L’Autorité estime, par ailleurs, que La Poste a tiré avantage du manquement reproché, qui a conduit à un report sur l’offre « Colissimo ». Dans les circonstances de l’espèce, et eu égard au fait que La Poste a amélioré, à la suite de sa mise en demeure, l’accessibilité de l’offre « Mini Max » et l’information des utilisateurs sur cette offre, l’Autorité estime qu’une sanction d’un million d’euros est proportionnée à la gravité du manquement et aux avantages qui en ont été tirés par La Poste".
Si la sanction peut paraître faible au regard du chiffre d'affaire réalisé par La Poste, il convient de se rappeler que cette sanction a été précédée d'un blocage d'une augmentation des tarifs Colissimo qui, pour le coup, a eu une conséquence pécuniaire supplémentaire.

En attendant, la Poste a proposé à plusieurs reprises dans le cadre de la procédure de revoir les conditions de son offre Mini Max. Sans doute que celle-ci va évoluer prochainement. A défaut, il faudra sans doute s'attendre à une nouvelle sanction de la part de l'ARCEP


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(1) Petite explication de la manière dont cela se passe. Avant l'écriture d'un tel courrier, plusieurs échanges informels ont eu lieu avec les équipes de l'ARCEP en charge du suivi du secteur "service universel postal" afin de faire remonter les griefs qui eux même émanaient des utilisateurs des plateformes de commerce électronique. Le problème qui se posait à ces acteurs était non neutre : comment agir contre un acteur (La Poste) qui était, à l'époque, un potentiel partenaire commercial et très  stratégique. Il avait donc été décidé d'utiliser une association professionnelle afin de faire porter la voie de ce secteur du commerce électronique plutôt que d'adresser des objections à l'entête de chaque acteur du commerce électronique. En parallèle, nous incitions nos utilisateurs auxquels des situations désagréables étaient arrivées de prendre contact avec l'ARCEP et d'exiger l'offre Mini Max en agence.


dimanche 23 octobre 2011

Post-G8 ou le Nouveau Monde 2.0 en 10 points.

Que retenir de ce Nouveau Monde 2.0 qu'Eric Besson, Ministre en charge de l'économie numérique, nous invitait à découvrir à Paris les 20 et 21 octobre 2011. Avant d'essayer de faire une synthèse en 10 points de ce qui peut ressortir de ces discussions, il est nécessaire de faire une sorte de rappel des évènements précédents.

Source : Natacha Quester-Séméon sur Flickr

A la fin de l'année 2010, la France a décidé de mettre pour la première fois à l'agenda du G8 et du G20 la question du numérique. Cela a débouché sur l'organisation du Forum eG8 et surtout sur l'organisation d'une session d'un peu plus d'une heure dans l'agenda des chefs d'Etat dédié au sujet numérique à l'occasion du Sommet de Deauville. Cette rencontre inédite (*) entre les chefs d'Etat et plusieurs chefs d'entreprise (Orange, Facebook, Google, Rakuten) a débouché sur la déclaration de Deauville.

Certains y voient un simple texte sans aucune valeur. Rappelons juste que l'ensemble des déclarations et prises de position commune au niveau du G8 ont déjà débouché sur la discussion voire l'adoption d'instruments internationaux - certes avec plus ou moins de succès. Il restait donc qu'à mettre en oeuvre les grandes lignes directrices formulées par les chefs d'Etat et leurs sherpas.

Avant la tenue du eG8, il était acquis qu'un séminaire intergouvernemental serait organisé à l'automne à Paris sur le sujet du numérique. Tel était donc l'objet du séminaire "Nouveau Monde 2.0." organisé par Eric Besson et son équipe à Paris. 13 ministres en charge du sujet "Internet" avaient fait le déplacement aux côtés de représentants de diverses entreprises (Facebook, Google, Microsoft, Orange, Alcatel, Cisco, SAP) ou d'acteurs publics (Conseil national du numérique) voire de représentants de la société civile (blogueurs tunisiens, RSF, Privacy International).

Que retenir de ces deux jours de réunions et tables rondes diverses. Beaucoup de discours entendus, beaucoup de décryptages à faire surtout. Finalement, c'est souvent à l'occasion des questions réponses de la salle que certains point ont pu émerger poussant certains acteurs à sortir de leurs positions pré-formatées. De mon côté, je retiendrais les 10 points suivants :

1. - Démocratie 2.0. : le numérique aide à acquérir la démocratie, mais après ? 

La première table ronde du jeudi soir était consacrée à la démocratie 2.0., du virtuel à la politique. Elle réunissait divers intervenants émanant de la société civile, principalement arabe, et un représentant de Reporters Sans Frontières. Sans oublier Google qui a rappelé son attachement à faire émerger la liberté d'expression. Hormis la parenthèse consacrée à la question d'HADOPI ou encore au filtrage du site Copwatch, le débat s'est concentré au travers de l'usage qui a été fait de l'outil internet par les pays d'Afrique du Nord.

Finalement, il en ressort ce que certains rappellent de plus en plus. Les révolutions arabes ne sont pas des révolutions Twitter ou Facebook. Internet a joué le rôle d'un catalyseur ou d'un outil permettant à ces révolutions de naître et de se développer. Il n'est pas à l'origine du mouvement. Il n'est pas l'outil qui a fait tomber le régime - preuve en est que la coupure de l'accès à l'internet en Egypte n'a pas arrêté les manifestations. Il est juste l'outil qui a permis aux divers citoyens de se rendre compte que cela était possible.

Mais une fois que la démocratie a émergé ou est sur le point de l'être, quel rôle doit alors être attribué à Internet ? Cette question je l'ai posée aux intervenants de la session. Le "et après". Et la réponse est intéressante car elle donne une tendance particulière. Internet doit être appelé à garantir plus de transparence et de liberté d'expression. Par liberté d'expression, on entend permettre aux gens de reprendre la parole qui leur était volée depuis de nombreuses années. Par transparence, on entend ouvrir la boîte noire que constitue un régime démocratique naissant. Donner un accès aux travaux parlementaires, aux décisions prises par les Gouvernements, etc.

Est-ce que l'internet permet de rapprocher le politique du citoyen ? Les intervenants sont perplexes : le seul endroit où le politique peut parler avec le citoyen, c'est dans la rue. Cette réponse, quasi-unanime, des blogueurs invités peut laisser sur sa fin. Mais le silence des autres intervenants donne aussi une tendance. L'absence de réflexion actuelle sur la manière dont le numérique est susceptible de combler le gouffre qui tend à s'accroître entre d'une part un monde politique et d'autre part des citoyens.

L'exemple typique demeure le fameux mouvement des Indignés, repris maintenant sous la forme d'un #OccupyUnLieu. Un mouvement atypique qui perturbe le monde politique qui ne sait pas l'appréhender. Pas de leader et une multitude de revendications avec, en outre, un rejet de la représentation actuelle. Finalement ces mouvements ne cherchent pas à vouloir renverser les modes existants ou à remplacer les élus en place. Ils ne demandent qu'une chose : qu'on ne fasse pas qu'entendre les citoyens. Qu'on les écoute aussi. Et en cela, peut être que le numérique peut aider.

Le débat sur la démocratie 2.0 a montré qu'hélas la réflexion n'a pas encore abouti. Si les anciennes dictatures ont pu faire tomber des murs avec l'aide d'internet, la construction de leur démocratie utilisera ce média mais sans en faire une colonne vertébrale du développement de leur politique.

2. - Le casse-tête du financement du déploiement des réseaux de nouvelle génération

Déployer la fibre, tout le monde s'accorde qu'il faut le faire. Mais à partir du moment où la question du financement de ces déploiements est posée, les solutions divergent. Financement par le secteur public, financement par le secteur privé, financement mixte, etc. La table ronde consacrée à la question du financement de l'innovation a donné le catalogue de toutes les solutions envisageables, mais sans donner la solution ultime.

Le représentant de Cisco avait pourtant bien posé le débat : la consommation de bande passante ne peut que croître de manière exponentielle d'années en années. Le contenu "vidéo" a souvent été pointé du doigt, tout le monde ayant alors en tête les noms de Youtube ou Dailymotion - sans doute que le retard pris dans le développement de l'offre légale en France ne mettait pas spontanément d'autres noms dans la bouche de l'auditoire.

De son côté, le représentant d'Orange n'a pas caché son sentiment : tous les acteurs de la chaîne doivent contribuer au financement des réseaux. En réponse, le représentant de Google a alors expliqué que le géant américain investissait déjà largement dans les installations au travers de l'achat de bande passante, de déploiement de data-centers en Europe, de systèmes de CDN, etc. Complétant le débat, Neelie Kroes, Vice-Présidente de la Commission européenne et Commissaire en charge de la société de l'information, a rappelé à l'attachement et l'engagement pris par les instances européennes afin de déployer rapidement le haut débit sur le territoire européen. En conclusion, le Ministre australien expliquait la solution adaptée par ce pays, à savoir déployer un réseau haut débit nationalisé.

Certains pouvaient alors y avoir la solution. Seulement, le ministre complétait immédiatement son discours : la solution adoptée par l'Australie n'est pas forcément et systématiquement duplicable partout et dans tous les territoires.

Les échanges l'ont montré, la question demeure à la fois extrêmement politique et les solutions universelles n'existent pas. Le représentant d'Orange s'est montré confiant : la fibre et le déploiement des réseaux mobiles 4G demeurent la priorité de l'opérateur. Reste que le financement de la migration vers ces technologies n'est pas, quant à lui, arrêté. Gageons que ces engagements prendront quelques temps à être réglés.

3. - Un consensus sur le besoin de respecter la vie privée, mais une opposition radicale sur le "comment"

La table-ronde sur la question du respect de la vie privée a fait naître un consensus - pas vraiment inattendu: il faut respecter la vie privée des internautes. Après avoir rassuré la salle, les intervenants ont tenté alors de se mettre d'accord sur les moyens de mise en oeuvre de ce respect. Le consensus n'était alors plus au rendez-vous.

D'un côté les acteurs privés se sont exprimés en faveur d'une solution douce consistant, d'une part, à l'absence de réglementation particulièrement contraignante en la matière et, d'autre part, à un renforcement de l'information des internautes sur l'usage qui peut être fait de leurs données personnelles éventuellement au travers d'outils plus conviviaux. Le fameux "PrivacybyDesign".

De l'autre, plusieurs ministres (Corée du Sud, Russie) et le représentant de la société civile (PrivacyInternational) ont plaidé pour l'instauration d'un corpus de règles au plan international destiné à fixer les principes devant entourer la protection des données personnelles. Un traité international sur la vie privée ? L'idée n'est pas nouvelle et l'embryon existe d'ores et déjà au sein de la déclaration de Madrid que plusieurs commissaires à la vie privée souhaitent porter au plan international.

Il avait été évoqué pendant un temps de faire mention de ce document dans la déclaration de Deauville mais avec un retour en arrière relativement rapide : les européens avaient peur que les Etats-Unis utilisent ce "dénominateur commun" pour réclamer la levée de certaines contraintes posées par l'Union européenne en la matière (notamment, vis à vis de la réglementation relative à l'échange de données des passagers).

In fine, le panel n'a pas trouvé d'accord. D'un côté le secteur privé reste attaché à un encadrement sur la base d'un recensement de bonnes pratiques et à l'élaboration de chartes de bonne conduite. D'un autre côté, nombreux sont ceux qui réclament un encadrement plus juridique à un plan global.

Gageons juste que la réponse se situe sans doute non pas au milieu de ces deux solutions, mais dans ces deux solutions. Un encadrement international permettrait de fixer les grandes lignes directrices qui seraient alors précisées soit par des législations nationales, soit par l'intermédiaire d'une soft law de type "charte" ou "code". Un mot inattendu est ainsi sorti de la bouche d'un des représentants de la CNIL lors de la séance de questions/réponses : la participation multi-acteurs. Sans doute que l'arrivée d'Isabelle Falque-Pierrotin, qui a longtemps oeuvré en faveur d'une telle approche en matière de régulation d'internet, n'y est pas pour rien.

4. - Internet pour tous, oui. Mais, "regardons le soleil, pas le doigt". 

Le débat sur la fracture numérique (renommée en "facture numérique" dans le programme papier) a été sans doute l'un des plus intéressants car il est sorti des habituels clivages Nord/Sud et de réduction des écarts existants entre les Etats. Plusieurs pays (Kenya, Maroc, etc.) ont montré leur volonté d'y aller fortement et croient dans le potentiel d'Internet dans les toutes prochaines années.

Gilles Babinet, Président du Conseil national du numérique, a initié l'échange en la matière par une jolie analogie. Quand le sage montre le soleil, l'idiot regarde le doigt. Et finalement, c'est ce qui est en train de se passer sur internet. Dans de nombreux pays notamment occidentaux, tout le focus est actuellement mis sur les sujets d'infrastructures ou d'équipement et moins sur les usages ou les bienfaits qui peuvent naître au travers du numérique. De longs échanges ont pu avoir lieu à propos de l'éducation et internet et sur le fait, qu'au delà de donner une tablette à chaque élève, ne devrions-nous pas avoir une politique permettant à ces élèves de pouvoir compléter leur enseignement par une éducation à distance. L'important est-il l'équipement ou les contenus auxquels le numérique peut donner accès ?

Les intervenants se sont rejoints sur un point : il est nécessaire de penser le numérique comme un écosystème complet et de ne pas le compartimenter entre d'une part un débat sur les infrastructures et, de l'autre, sur un débat sur les contenus ou les usages. L'un irrigue l'autre. Le représentant de SAP a pris un exemple qui a emmené les participants en plein de milieu de l'Afrique, parmi ces cueilleuses de noix de cajou. Une application mobile a été développée permettant à ces cueilleuses de connaître l'état de la demande sur le marché se situant à 4 jours de marche. Sans réseau mobile, sans équipement mobile et surtout sans l'application, tout cet écosystème n'aurait pu être créé. Chaque élément est indispensable. La demande en numérique existe. Il faut trouver la bonne réponse à y apporter, une réponse qui doit mixer usages, outils, équipements et réseaux.

5. -  Sécuriser les citoyens et les utilisateurs d'internet, mais sans en débattre publiquement

Que dire de cette session ? Rien. Il s'agissait d'une session restreinte organisée entre les ministres et quelques représentants d'entreprises (Cisco, Alcatel, etc.) afin de discuter des nouvelles menaces - notamment en matière de cyberterrorisme - et des réponses à y apporter.

Le sujet était présent à l'occasion de chaque table ronde. Plusieurs ministres se sont ainsi exprimés sur la nécessité d'élaborer une réglementation internationale ou d'avoir une approche plus globale afin de lutter contre certains contenus illicites ou comportement préjudiciables. L'atteinte à la sécurité et aux données personnelles a été mentionnée aux côtés de la protection de l'enfance - sujet qui revenait aussi régulièrement dans la boucle de Neelie Kroes.

D'autres ministres ont appelés, quant à eux, de leurs voeux le besoin de trouver un équilibre entre plusieurs droits et principes qui peuvent rentrer en opposition ou en confrontation. Ainsi, comment trouver le sujet milieu entre d'une part la liberté d'expression et, d'autre part, la protection des droits de propriété intellectuelle ? A ce sujet, le ministre australien a eu une approche mesurée tandis que son collègue coréen appelait à un renforcement du dispositif afin de lutter contre les vols de données ou la circulation frauduleuse de ces données (la Corée a vu cet été le vol des identifiants de 35 millions de personnes, données qui sont aujourd'hui en Chine ou aux Philippines).

Quant aux outils, la question d'une législation internationale a été évoquée par plusieurs participants. Au delà, des intervenants ont été questionnés sur l'usage par certaines dictatures de matériels ou d'outils permettant de diminuer voire faire disparaître la liberté d'expression. Cisco était ainsi pointé du doigt. La réponse apportée par son représentant a été simple : Cisco n'est pas responsable de l'usage qui est fait de son matériel.

Finalement, on peut regretter qu'une chose : que le séminaire sur la sécurité n'ait pas lui aussi fait l'objet d'une discussion publique vu que le sujet était omniprésent tout au long des précédentes tables-rondes. Le besoin de concilier diverses libertés ou principes devient le coeur de l'écosystème du numérique. Sans doute qu'il faudra lui offrir une caisse de résonance à un plan international afin de mettre sur la place publique un débat qui, pour le moment, ne se construit qu'au travers d'échanges feutrés.

Au delà de cette sorte de synthèse rapide, on peut relever d'autres éléments de ces débats qui sont plus des brides de phrases, des petites choses glanées au gré des échanges entre la scène et le public.

6. - L'internet a trouvé son prochain business model : la data

"Facebook ne communique pas vos données aux annonceurs". Tel est le principe que le représentant de Facebook a tenu à rappeler à l'auditoire. Effectivement, le principal réseau social avec ses 800 millions de membres ne communique aucune information aux annonceurs. Mais pour autant, le point le plus intéressant est celui qui était sous entendu dans cette phrase : si Facebook ne communique pas les données, est-ce qu'il s'interdit pour autant de les utiliser au profit des annonceurs ?

La réponse tout le monde la connaît. Mais surtout, l'une des conclusions qui s'impose est simple : le business model de l'internet commence à évoluer. Pendant longtemps, il a reposé sur le principe d'une monétisation du trafic, du nombre de visiteurs. En cela, il dupliquait le modèle adopté par la télévision : plus vous avez de visiteurs, plus vous pouvez générer de revenus publicitaires. Plus votre marque est connue, plus vous êtes en mesure de vendre cher votre espace publicitaire.

Seulement, avec un modèle basé uniquement sur la monétisation du "volume", quel intérêt pour un annonceur d'accéder indirectement aux données des internautes ou des utilisateurs d'un réseau social comme Facebook.

La conclusion est simple : le business model de l'internet commence à migrer sur un business de la donnée. Aujourd'hui, ce qui a de la valeur et ce qui va en acquérir de plus en plus, ce sont les données des utilisateurs. Plus vous arriverez à contextualiser la publicité, plus vous monétiserez cher votre espace publicitaire. L'important est donc de pouvoir collecter de la donnée avec le plus de transparence possible pour l'internaute.

Et le sujet "vie privée" prend alors toute sa dimension. Si une réglementation trop stricte impose un consentement préalable et formel de l'internaute, la fluidité disparaît et l'économie de la donnée en prend un coup. A l'inverse, si ce consentement peut être plus furtif et relever d'un consentement a posteriori (on parle alors d'opposition), le marché de la donnée prend toute son ampleur.

7. - Le numérique ne connaît pas la démondialisation

"Venez chez nous". Tel est le cri du coeur lancé par une tunisienne présente dans la salle. Il s'adressait plus largement qu'au panel d'intervenants. Il ne s'agissait pas de venir en Tunisie pour se rendre compte des changements entrepris par le pays. Il s'agissait plutôt d'inviter les entreprises du monde numérique à investir ces nouveaux pays : des emplois qualifiés, des jeunes dynamisés et prêts à se lancer dans le secteur. Ce cri du coeur a été repris par le ministre japonais qui invitait aussi les entreprises à revenir maintenant que la crise nucléaire s'était apaisée.

La question de la délocalisation n'est pas neutre, surtout politiquement et à un moment où la crise invite les Etats à refermer leurs frontières et que le terme de "démondialisation" a connu ses lettres de noblesse lors des débats de la Primaire du PS. Pourtant deux chefs d'entreprises - françaises - n'ont pas hésité à la tribune d'indiquer les choix qu'ils avaient fait. Gilles Babinet, en sa qualité de PDG de Captain Dash, a rappelé que 50% de ses ingénieurs étaient basés en Tunisie et a vanté la qualité de ces équipes.

De son côté, et sans doute de manière très surprenante, Stéphane Richard, PDG d'Orange, a indiqué au détour d'une phrase que le groupe avait lancé un travail d'adaptation de ses applications mobiles au système Androïd en ayant recours à une cinquantaine d'ingénieurs basés ... en Chine.

Cette croissance de la concurrence de pays étrangers en matière de qualifications informatiques n'est pas neutre. Elle impose un nouveau défi que les pays occidentaux actuels se doivent de relever : comment assurer et maintenir un niveau d'excellence et d'innovation sur le territoire afin de le rendre suffisamment attractif aux entreprises nationales ?

8. - "Parlons en" mais pas maintenant

Au cours de cet évènement, nous avons aussi eu quelques exemples de "langue de bois" ou de réponses classiques. L'un des moments forts fut lorsqu'une blogueuse tunisienne interpella le représentant de Facebook sur la présence de pages appelant à assassiner certains opposants à l'ancien régime de Ben Ali et l'impossibilité de faire supprimer et même notifier ces contenus.

La réponse ne s'est pas fait attendre. Elle est classique en la matière et tient en 4 points :
1) Le sujet dont vous parlez est très important
2) Je ne suis pas au courant de ce problème
3) Mais nous pouvons trouver une solution
4) Parlons-en

Cette réponse en 4 points est habituelle et classique. Et pas seulement dans le monde numérique. On appelle souvent cela de l'enfumage. Il aurait été plus simple d'expliquer - sans répondre au cas particulier évoqué - la politique du réseau social en matière de contenus préjudiciables. Ceux-ci sont-ils retirés par le réseau social ? Si oui, pour quelles raisons, sur quelle base, pour quels motifs ? En l'absence, comment agir pour faire retirer ces contenus ?

9. - L'ouverture prochaine du Digital Culture Center de Google

Autre exemple. Lors de la séance de questions réponses, un acteur des réseaux interpèle le représentant de Google et lui demande si le géant américain va investir en France sous la forme de l'installation de réseaux et/ou d'un data-center ce qui a pourtant été fait dans d'autres pays européen. Après une hésitation, la réponse est apportée. Google va ouvrir un "Digital Culture Center", un Centre sur la culture numérique.

Quel rapport me direz-vous ? Aucun.
Ou plutôt si, David Drummond a ainsi expliqué au travers d'une rapide phrase la logique actuelle du géant américain en termes d'investissement sur le territoire français. Cet investissement s'adresse surtout dans la création d'un centre de type culturel répondant ainsi aux nombreuses critiques qui peuvent être soulevées à son endroit par les diverses industries culturelles (musique, cinéma, livre et chaînes de télévision).

Ce geste de la part de Google sera-t-il suffisant pour calmer les esprits et notamment les nouvelles voix qui se font entendre pointant du doigt, au delà du secteur culturel, les pratiques du moteur de recherche vis à vis de certains de ses concurrents ? L'avenir (proche) nous le dira.

10. - Le grand absent ?

En fin de compte, et si l'on reprend la déclaration de Deauville, un sujet a brillé par son absence lors de ces deux jours de discussions : la culture. Pourtant, Nicolas Sarkozy en avait fait un point central de son discours lors du eG8 n'hésitant pas à citer Beaumarchais devant une salle remplie d'entrepreneurs médusés. La déclaration de Deauville consacrait également plusieurs points à la protection des droits de propriété intellectuelle à l'heure du numérique.

Ce silence s'explique par une raison. Le sujet sera prochainement abordé et plus exactement les 17, 18 et 19 novembre prochain à Avignon à l'occasion des rencontres internationales de la culture, de l'économie et des médias.

Le débat au plan international n'est pas fini.

--
(*) sans doute que mon positivisme tient au fait que j'étais dans les coulisses à Deauville à ce moment là.

vendredi 30 septembre 2011

La licence globale : fausse bonne idée ou vraie taxation ?

La licence globale. Ou peu importe le nom qu'on peut lui donner. Tel est le sujet qui commence à être au coeur des premières discussions dans le discours des candidats à l'élection présidentielle. Dans le programme numérique du PS, on peut ainsi lire que "l'acceptation
 des
 échanges
 de
 biens
 culturels
 hors
 marché,
 à
 des
 fins
 non
 lucratives,
 conduira les
 internautes
 à
 s'acquitter
 en
 retour
 d'une
 contribution
 individuelle
 au 
financement
 de
 la
 création,
 qui
 doit
 rester
 modeste
 et
 pourrait
 devenir
 socialement
 progressive".

The Pirate Bay
Source : Stefan sur Flickr (cc)

Cette formulation reprend celles du collectif Création, Public, Internet (CPI) qui prend position en faveur "d'un financement mutualisé adossé à une licence autorisant le partage d’œuvres numériques entre individus" sans pour autant prendre parti sur le nom de cette mesure.

En effet, le débat sur la licence globale n'est pas nouveau, il est apparu notamment au cours de la discussion parlementaire sur le projet de loi "Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information". Et mieux, ce principe a même été adopté par l'Assemblée nationale. Enfin, pas très longtemps.

Il faut remonter pour cela à l'hiver 2005. L'Assemblée nationale débat alors du projet de loi DADVSI en première lecture. Au soir du 21 décembre 2005, à la surprise générale, deux amendements sont adoptés. L'un émanant de la droite, le second de la gauche. Ces amendements avaient pour effet de ne pas permettre à l'auteur "d'interdire les reproductions effectuées sur tout support à partir d’un service de communication en ligne par une personne physique pour son usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales" sous une seule réserve : que cet usage soit indemnisé par une rémunération complémentaire.

La licence globale, alors poussée par le collectif "Alliance Public-Internet", voyait le jour sur le plan législatif. Cela ne dura que quelques mois. En effet, au mois de mars 2006, un nouveau vote était opéré sur ces amendements qui disparaissaient alors du texte de la DADVSI.

Mais l'idée était donc la suivante : la loi créait une nouvelle exception au droit d'auteur imposant à l'ayant droit d'accepter un usage qu'il n'avait pas explicitement accepté et en échange de quoi une indemnisation était prévue. La licence globale s'appuyait ainsi sur le mécanisme mis en place avec l'exception de copie privée et à sa rémunération.

Avec les prochaines élections présidentielles, le sujet est de nouveau en débat. La première question alors à se poser : la licence globale est-elle possible ?

A ce jour, on considère que les échanges de fichiers musicaux diffusés illicitement sur des réseaux Peer-to-peer sont constitutifs d'actes de contrefaçon. En conséquence, avant d'instituter une licence globale, il est nécessaire de passer par une "légalisation de ces faits".

Licence globale : légalisation ou dépénalisation ?

Il ne s'agit nullement d'une question linguistique. Une différence existe entre ces deux concepts. La légalisation consiste à rendre "légal" un comportement qui jusqu'alors ne l'était pas. La dépénalisation consiste juste à retirer toute sanction pénale vis-à-vis d'un comportement qui demeure illégal.

P2P: Legalize Us.
Source : Virtualmusicty sur Flickr (cc)

La différence est de taille. Contrairement à la légalisation, la dépénalisation des échanges P2P ferait que ces actes demeureraient illicites et notamment les ayants droit seraient susceptibles d'engager des poursuites à l'encontre des auteurs de ces faits et de demander réparation du préjudice subi ; une sanction financière qui n'est pas forcément anodine vu que depuis une loi de 2007, les dommages et intérêts accordés en matière de contrefaçon peuvent être punitifs.

En conséquence, la dépénalisation des échanges P2P pourrait être sans effet pour le consommateur final. Même s'il s'acquitte de sa licence globale, il pourrait être poursuivi en indemnisation du préjudice subi (sauf, alors à considérer que la licence globale indemnise totalement le préjudice subi du fait des actes de téléchargement).

De son côté la légalisation pose aussi des interrogations. D'une part, elle aurait pour effet mécanique d'augmenter le montant de la rémunération pour copie privée perçue sur les supports amovibles d'enregistrement (disque dur, tablettes, smartphones, etc.). D'autre part, elle soulève une problématique constitutionnelle.

En effet, à l'occasion de la loi DADVSI, le Conseil constitutionnel avait censuré une disposition qui voulait faire baisser le quantum des peines applicables en matière de téléchargement (ne plus faire relever ces actes de faits du délit, mais de la simple contravention). Pour les magistrats,
"Au regard de l'atteinte portée au droit d'auteur ou aux droits voisins, les personnes qui se livrent, à des fins personnelles, à la reproduction non autorisée ou à la communication au public d'objets protégés au titre de ces droits sont placées dans la même situation, qu'elles utilisent un logiciel d'échange de pair à pair ou d'autres services de communication au public en ligne ; que les particularités des réseaux d'échange de pair à pair ne permettent pas de justifier la différence de traitement qu'instaure la disposition contestée ; que, dès lors, l'article 24 de la loi déférée est contraire au principe de l'égalité devant la loi pénale"
Ainsi, les actes de téléchargement doivent être traités de la même manière que tous les autres actes de contrefaçon commis sur internet. Le principe d'égalité figurant dans la Constitution considère qu'une telle discrimination n'est pas possible.

En conséquence, on voit mal comment il serait possible de dépénaliser voire de légaliser les faits de téléchargement comme le prévoit la Licence globale.

Une des solutions alors qui pourrait être envisagée serait de non pas légaliser le téléchargement, mais plutôt de créer une nouvelle exception au droit d'auteur et aux droits voisins. C'était cette technique juridique qui avait été utilisée à l'époque de la loi DADVSI.

Licence globale : l'acte de téléchargement comme exception au droit d'auteur ?

Plutôt qu'une légalisation brutale, une solution pourrait alors consister à créer une nouvelle exception au droit d'auteur. Ces exceptions sont aujourd'hui encadrées au plan communautaire par la directive du 22 mai 2001 et en particulier son article 5 qui énumère la liste des exceptions permises.

dsekt[dot]com
Source : dsekt sur Flickr (cc)

A l'occasion de son contrôle, le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de rappeler que:
"en son article 5, la directive dresse une liste limitative des exceptions pouvant être apportées à ces droits exclusifs, tout en subordonnant leur exercice, au 5 de cet article, à la condition qu'elles " ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit""
Ainsi, la liste figurant dans ce fameux article 5 est limitative. Concernant les échanges P2P, la seule exception qui pourrait s'y apparenter est celle prévue concernant la copie privée et rédigée ainsi :
L'Etat peut prévoit une exception "lorsqu'il s'agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable qui prend en compte l'application ou la non application des mesures techniques visées à l'article 6 aux œuvres ou objets concernés"
Seulement, une limite existe immédiatement. L'échange P2P nécessite en fait deux composantes : un téléchargement (dont la reproduction d'un fichier sur le disque dur de l'internaute) et une mise à disposition (c'est à dire une représentation du fichier par un internaute).

Seulement, ici la mise à disposition ne connaît aucune exception susceptible de s'appliquer aux échanges P2P. Créer une exception pour le simple téléchargement sans prévoir une exception similaire pour la mise à disposition aurait pour effet de déséquilibrer l'effet recherché : seule la moitié du P2P serait autorisée.

Et surtout, sur le plan juridique, il pourrait devenir difficilement concevable sur le plan juridique que le droit permette de réaliser une reproduction d'une oeuvre diffusée illicitement. Un principe juridique demeure : fraus omnia corrompit. La fraude corrompt tout. L'acte de reproduction, même autorisé par la loi, serait alors vicié par la diffusion illicite de l'oeuvre.

Finalement, la création d'une telle exception au droit d'auteur pour les échanges P2P semble difficilement tenable juridique sauf à créer un monstre juridique qui pourrait se retourner contre l'internaute lui-même.

A défaut d'être une légalisation, une dépénalisation ou une exception au droit d'auteur, que peut donc être la licence globale ?

La licence globale, une simple taxe ?

Finalement, c'est sans doute la seule solution. Le souhait d'appliquer à tous les internautes une contribution forfaitaire de quelques euros sur leur accès à l'internet moyennant une libéralisation des échanges P2P semble se heurter à de nombreuses problématiques.

Tax Calculator and Pen
Source : Dave Dugdale sur Flickr (cc)

Si l'idée d'une telle contribution continuait son petit bout de chemin, il ne serait alors possible au législateur que de la transformer, par sa nature, en une simple et banale taxe. Une taxation de l'ensemble des internautes, au niveau de leur abonnement d'accès à l'internet, au profit de l'industrie culturelle.

Problème, cette taxation n'aurait alors aucune contrepartie pour l'internaute, contrairement au souhait de la licence globale. Le seul effet de la taxation pourrait alors d'être un moyen de faire diminuer la pression exercée par les ayants droit en faveur d'une démarche "tout répressive" à l'encontre des personnes pratiquant des actes de téléchargement.

Mais si on pousse le vice jusqu'à l'institution d'une telle taxation, il ne fait pas de doute que cela sera une nouvelle cause de grandes discussions, non seulement au Parlement, mais aussi dans la sphère du débat public. Taxer les consommateurs pour soutenir l'industrie culturelle, oui, mais pourquoi telle industrie plutôt qu'une autre ? Sans compter que cette taxation pourrait aller à rebours du souhait des pouvoirs publics d'offrir de plus en plus d'offres d'accès à l'internet à faible coût, comme par exemple le récent tarif social.

Alors, qui peut sauver l'industrie culturelle ? Une première réponse pourrait être : l'industrie culturelle elle même, non ?

jeudi 29 septembre 2011

Et si on réformait vraiment la copie privée ? A l'asSacem !

"A l'asSacem !". Ainsi titrait le Canard Enchaîné en 1984 lors du début du débat autour d'un projet de loi réformant la loi de 1957 sur le droit d'auteur. Ce projet qui instituera la rémunération pour copie privée (dite "taxe SACEM", RCP, etc.) par une loi du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle. Son régime figure aux articles L. 311-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Satisfaction Guaranteed
Source : Profond Wathever sur Flickr (cc)

En effet, aux termes de l'article L. 311-1 du Code de la propriété intellectuelle, "Les auteurs et les artistes-interprètes des oeuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes, ainsi que les producteurs de ces phonogrammes ou vidéogrammes, ont droit à une rémunération au titre de la reproduction desdites oeuvres, réalisées dans les conditions mentionnées au 2° de l'article L. 122-5 et au 2° de l'article L. 211-3", c'est à dire lorsque la reproduction des oeuvres est réalisée en application de l'exception dite de "copie privée".

La copie privée n'est pas définie par un texte. La jurisprudence l'a alors fait de manière restrictive, s'agissant d'une exception à un droit d'auteur (lui même rattaché au principe constitutionnel du droit de propriété). La copie privée est la copie réalisée par le copiste pour son usage propre. Certains juges, notamment face à des sociétés offrant à des particuliers la possibilité de réaliser des copies de leurs CDs, ont ajouté un critère complémentaire. La copie privée doit être réalisée par le copiste avec ses propres moyens.

Cette rémunération pour copie privée, initialement prévue pour les cassettes audios et VHS vierges, s'appliquent à quasiment tous les supports d'enregistrement allant du disque dur externe à la tablette PC voire la box de votre fournisseur d'accès à l'internet. D'années en années, la Commission "Copie privée" qui détermine le montant et les nouveaux supports assujettis a progressivement étendu le périmètre de la rémunération. En échange, et notamment à l'initiative soit des consommateurs, soit des distributeurs desdits produits, des contentieux ont éclaté devant le Conseil d'Etat afin de faire annuler les dernières décisions de la Commission "Copie privée".

La rémunération pour copie privée est à la charge de l'acquéreur du support d'enregistrement, à savoir le consommateur (y compris lorsque le consommateur achète ces produits en dehors de la France et l'importe sur le territoire français). Les professionnels sont, quant à eux, exonérés du paiement de cette rémunération.

L'enjeu du débat n'est pas neutre. La rémunération pour copie privée représente environ 200 millions d'euros chaque année. 25% de ces sommes sont destinées à financer des actions en faveur de la culture. Les 75% sont répartis entre les divers ayants droit (auteurs, interprètes, producteurs, etc.).

Enfin, cette rémunération pour copie privée n'est pas une exception française. Plusieurs pays européens ont des rémunérations similaires mais avec des montants quelques fois plus faibles faisant, par exemple, que le marché des CDs et DVDs vierges s'est déporté auprès de vendeurs situés en Belgique, au Luxembourg ou en Allemagne - entraînant, par effet ricochet, la disparition de ces produits des catalogues des marchands et en particulier cybermarchands français.

Ce résumé succinct, peut être trop succinct, ne reflète pas la problématique à laquelle les divers acteurs sont aujourd'hui confrontés. D'une part, l'usage des supports de stockage évolue rapidement. Les particuliers achètent de moins en moins (voire plus du tout) de cassettes audio vierges et de plus en plus de smartphone ou de tablettes PC où seront stockés des fichiers musicaux achetés sur des plates-formes de téléchargement. D'autre part, les fichiers ainsi "copiés" sur ces supports d'enregistrement ne proviennent pas systématiquement d'un usage licite : en clair, la copie d'un fichier diffusé illégalement sur internet est elle même "illicite" et, cette copie illicite ne peut être source d'une quelconque rémunération au profit des ayants droit. Comme on dit en droit : fraus omnia corrompit (la fraude corrompt tout).

Un autre élément arrive en plein milieu de ce débat : le développement du stockage dans le "cloud" notamment au travers de services comme iMusic ou Google Music bousculant alors l'assiette de la rémunération pour copie privée, et surtout la collecte de cette rémunération auprès d'acteur domiciliés fiscalement dans d'autres Etats que la France.

Enfin, pour finir ce panorama, on peut citer le lobbying aujourd'hui mené par certains ayants droit, en particulier l'ADAMI, afin que la rémunération pour copie privée ne soit plus une rémunération "sur le stockage, mais sur l'accès aux oeuvres", notamment pour tenir compte des nouveaux usages comme le Cloud.

La question qui se pose alors aujourd'hui, notamment dans la perspective des élections présidentielles, est simple : faut-il réformer la rémunération pour copie privée ? faut-il la transformer en "taxe à l'accès" comme a pu le proposer l'UMP à l'occasion de sa convention "Culture" ?

Essayons un peu de mettre un pied dans ce sujet, ce débat brûlant. Mais uniquement sur trois sujets.

Une rémunération pour copie privée, mais pourquoi ?

C'est sans doute la première question qu'il faut se poser. Pourquoi devons-nous payer une telle rémunération lorsque nous achetons un support amovible d'enregistrement ? Selon le site CopiePrivée.org, "Si cette rémunération existe, rappelons d’abord que c’est parce qu’un des principes fondamentaux des droits des auteurs, artistes interprètes et producteurs est que toute utilisation de leurs œuvres ou prestations mérite rémunération.".

1984...meet DRM
Source : jbonnain sur flickr (cc)

Sur le plan purement juridique, la copie privée n'est pas un droit. La Cour de cassation avait eu l'occasion de le rappeler à propos de dispositifs anti-copie de certains DVD. La copie privée est une exception à un droit, à savoir le droit de reproduction qui est un élément des droits patrimoniaux du droit d'auteur. Pour faire simple, le droit d'auteur est le droit qui est attribué au créateur d'une oeuvre de décider de l'usage qui peut être fait de son oeuvre. Ainsi, seul l'auteur peut autoriser les représentations (diffusion) ou les reproductions (copie) de son oeuvre. La loi a néanmoins aménagé ce droit afin également de le rendre pratique. Elle a donc créé une exception dite de copie privée afin de permettre à un consommateur de pouvoir - sans demander un accord systématique de l'auteur - faire une reproduction à usage purement privatif de l'oeuvre. Sans doute était-il considéré à l'époque que l'impact économique serait faible.

Seulement, en 1985, les systèmes de copie ont évolué et l'industrie musicale (principalement) commence à se plaindre des effets pervers des enregistrements et autres magnétoscopes. En 1984, le député Charles Metzinger, rapporteur pour avis à l'Assemblée nationale, expliquait ainsi la création de cette rémunération :
"En ce qui concerne la rémunération des auteurs, producteurs et artistes pour l'exploitation des oeuvres réalisées sous la forme de copie privée, il convient en premier lieu de préciser qu'il n'apparait pas possible de remettre en cause le droit des particuliers de reproduire les oeuvres selon les possibilités actuellement offertes par les moyens techniques existants. 
Mais il convient de mesurer les risques que le développement de cette forme d'exploitation des oeuvres fait peser sur les auteurs, producteurs et artistes de l'édition phonographique et vidéographique. 
Le phénomène ne se réduit pas, en effet, à une amputation du revenu des professionnels : il contribue également à une diminution de l'offre d'emplois, notamment pour les artistes et les auteurs, dès lors que les conditions normales d'exploitation des ouvres ainsi que l'équilibre financier des entreprises d'édition se trouvent compromis.
Dés lors que l'on n'entend pas revenir sur le principe de la légalité de la copie privée, deux possibilités sont offertes pour corriger les conséquences financières de cette évolution.
 
La première consisterait à augmenter le prix de vente des supports préenregistrés . La seconde, qui a été mise en oeuvre dans d'autres pays européens, consiste à incorporer la rémunération des ayants droit dans le prix de revient des instruments permettant la copie. Telle est la solution proposée par le présent projet de loi qui prévoit l'évaluation sur une base forfaitaire de cette rémunération et son versement par le fabricant ou l'importateur des supports d'enregistrement. 
Au total, c'est une masse de l'ordre de 200 millions de francs par an qui pourrait être restituée aux producteurs, artistes et auteurs."
De son côté le député Jean-Paul Fuchs expliquait clairement que l'objectif de la rémunération était destiné à compenser les pertes financières liées à une sorte d'industrialisation du phénomène de copie privée :
"Conformément au principe posé par la loi de 1957, la copie faite par un particulier pour son propre usage reste licite. Toutefois, par l'instauration d'une redevance sur les supports vierges. Cette copie devient en quelque sorte payante. 
Les créateurs justifient cette disposition par l'augmentation du parc des lecteurs de cassettes . Les ventes de disques 33 tours, que l'on peut copier facilement, sont en chute constante ainsi que les droits des créateurs qui ne gagnent évidemment rien sur ces copies privées".
Une rémunération, pour quel montant ?

La rémunération pour copie privée est fixée par une Commission composée à la fois de représentants d'ayants droit, de distributeur, de commerçant et de consommateurs. Elle est donc en charge d'évaluer le phénomène de la copie privée et, en conséquence, les montants de rémunération à appliquer sur les divers supports d'enregistrement.

Cette évaluation n'est pas simple et est régulièrement contestée, notamment à l'occasion de recours en annulation des décisions de la Commission. Lors des débats parlementaires entourant l'adoption de la loi de 1985, le député Jean Foyer avait évoqué son scepticisme quant à la détermination tant du montant que de la répartition de la rémunération :
"J'avoue ne pas très bien comprendre comment pourra s'appliquer la disposition qui est prévue au deuxième alinéa de l'article 22 . Il y est précisé que la rémunération visée à l'article 31, c'est-à-dire le droit prélevé sur la valeur des cassettes ou des vidéocassettes, "est répartie à raison des reproductions privées, estimées par voie statistique, dont chaque oeuvre fait l'objet". Les paroles de Disraeli concernant la statistique me reviennent ici en mémoire.
En dépit des progrès de l'informatique moderne, comment réussirez-vous, monsieur le ministre, à estimer par voie scientifique la part des reproductions privées de telle oeuvre ou de telle autre? J'ai grand peur que vous n'ayez beaucoup de peine à y parvenir ."

Un seul sujet à ce stade : la question de la prise en compte ou non des téléchargements. Comme indiqué plus haut, pendant quelques années, la Commission Copie Privée intégrait dans le périmètre de la rémunération les actes de copie privée de fichiers téléchargés, à partir de sources illicites, sur internet. Or, une telle copie ne rentre pas dans le périmètre de l'exception de copie privée en raison de l'origine illicite du fichier primaire. Dans ces conditions, le piratage ne devait pas être un des critères d'évaluation du montant de la rémunération. Le Conseil d'Etat a donc censuré une décision de la Commission Copie privée et l'a invité à réévaluer ledit montant (montant demeuré inchangé, la Commission utilisant un critère d'ajustement basé sur le taux de compression utilisé sur les dispositifs de stockage).

Mais ce débat pourrait rebondir notamment si le projet d'instaurer une licence globale voit le jour. En effet, selon les propositions, la contrepartie de la licence globale est la "légalisation" des actes de téléchargement. En résumé, en contrepartie du paiement de quelques euros chaque mois auprès de son fournisseur d'accès à l'internet, l'internaute pourrait alors légalement télécharger des oeuvres y compris sur des réseaux peer-to-peer.

Si le téléchargement est ainsi légalisé, mécaniquement, il y aurait un effet de bord sur le montant de la rémunération pour copie privée. Le téléchargement étant légalisé, la Commission pourrait alors intégrer dans le mode de calcul des usages jusqu'alors exclus entraînant une augmentation mathématique du montant de la rémunération pour copie privée.

Ainsi, la contrepartie de la licence globale pour le consommateur serait double : paiement d'une taxe sur son abonnement d'accès à internet et augmentation des prix des divers supports amovibles suite à l'augmentation du montant de la rémunération pour copie privée.

Une rémunération qui doit évoluer ?

Face aux nouveaux usages, on entend des voix disant que la rémunération pour copie privée doit évoluer vers une rémunération non plus sur le stockage mais sur l'accès aux oeuvres. L'idée est de pouvoir frapper de rémunération les systèmes de cloud computing.

DRM Revolution 03
Source: Martin Krzywinski sur Flickr (cc)

A ce stade, revenons déjà sur une interrogation. La rémunération pour copie privée a vocation à compenser économiquement l'usage de l'exception de copie privée. En d'autres mots, cette rémunération est destinée à compenser l'autorisation accordée par le juge de permettre à un particulier de faire usage d'une oeuvre sans l'accord de l'ayant droit. L'auteur de l'oeuvre ou son ayant droit n'a pas permis explicitement la reproduction que constitue la copie privée. En conséquence, il faut l'indemniser de cette entorse que crée le législateur.

Partant de là, se pose une question : la perception d'une rémunération pour copie privée est-elle alors légitime lorsque la copie réalisée par le particulier est l'application non pas de l'exception de copie privée mais d'un droit légitime accordé par l'ayant droit ? En clair, la rémunération pour copie privée doit-elle compenser non pas les "copies" mais les "duplications" réalisées avec l'accord de l'ayant droit ?

Qu'est ce que cela peut recouvrir. On peut, dans un premier temps, penser au cas des oeuvres diffusées dans un format ouvert ou libre, par exemple en Creative Commons. Des fichiers musicaux diffusés par l'auteur ou l'ayant droit sous ce format peuvent être librement reproduit et ceci avec l'accord de l'ayant droit. On n'est pas ici dans une reproduction de l'oeuvre sur la base de l'exception de copie privée, mais bien sur une autorisation explicite de l'ayant droit - qui donc accepte que son oeuvre soit ainsi reproduite sans contrepartie financière.

Les oeuvre diffusées en Creative Commons devraient donc être sortis du périmètre d'évaluation du montant de la rémunération pour copie privée.

Deuxième cas : Itunes et les plates-formes de musique qui commercialisent les fichiers, les oeuvres avec un nombre limité d'utilisation ou de copie. On retombe dans la même logique. Si j'achète un fichier pour lequel il m'est permis de réaliser qu'un nombre limité de duplication, cela signifie que - dès lors que je reste le nombre de duplication autorisé - je ne fais pas usage de mon exception de copie privée mais respecte plutôt les conditions dans lesquelles l'ayant droit a autorisé la commercialisation et la reproduction de son oeuvre.

Ainsi, dans la document de Itunes, on peut lire cela :
"Si votre ordinateur est relié à d’autres ordinateurs se connectant à un même réseau local, vous êtes en mesure de partager les articles composant votre bibliothèque, entre cinq ordinateurs maximum".
Cette disposition est reprise dans les conditions générales de Itunes Store :
"(ii) Vous aurez le droit d’utiliser les Produits iTunes, à tout moment, sur un nombre maximum de cinq ordinateurs sur lesquels est installée l'application iTunes, à l’exception des Locations de Film (voir ci-dessous)."
Ainsi, la question est la suivante : à partir du moment où l'ayant droit (au travers d'Itunes) m'autorise à réaliser un partage du fichier sur 5 ordinateurs, la duplication du fichier ne constitue pas une "copie privée" mais une reproduction du fichier, reproduction autorisée par l'ayant droit.

En conséquence, seules les duplications supplémentaires à 5 ne devraient être prises en compte pour évaluer le montant de la rémunération pour copie privée susceptible de s'appliquer aux smartphones, tablettes, lecteurs MP3, etc.

Cette idée de tenir compte des mesures techniques entourant la commercialisation de fichiers numériques n'est pas nouvelle. Bien au contraire, elle figure d'ores et déjà dans le Code de la propriété intellectuelle qui dit que :
"Ce montant tient compte du degré d'utilisation des mesures techniques définies à l'article L. 331-5 et de leur incidence sur les usages relevant de l'exception pour copie privée. Il ne peut porter rémunération des actes de copie privée ayant déjà donné lieu à compensation financière."
Ici, si lorsque j'achète un fichier sur Itunes, j'ai droit à 5 copies, cela signifie que mes premières 5 copies ont "déjà donné lieu à compensation financière" et qu'en conséquence, elles ne peuvent entrer dans le périmètre de calcul de la rémunération pour copie privée.

Dernier sujet intéressant : le cloud computing. De nouveaux services tendent à se développer permettant aux internautes de stocker à distance ses fichiers musicaux. On peut penser ainsi à iCloud ou Google Music.

La première interrogation que cela génère est intéressante : à partir du moment où le stockage des "copies privées" s'opère dans le cloud et que l'accès à ces fichiers se fait sous une forme de streaming, le stockage dans les supports amovibles va tendre à disparaître. En effet, si demain, vous mettez toute votre musique dans le cloud et que vous l'écoutez sur votre téléphone ou votre tablette en streaming, aucun stockage (hormis un stockage temporaire), aucune copie privée ne sera réalisée sur votre appareil de lecture. Résultat, la rémunération pour copie privée n'aura plus vocation à s'appliquer à ces outils.

Donc, il faudra déporter le montant de la rémunération pour copie privée sur le stockage des fichiers dans le Cloud. Or, ici se pose un problème plus globalement connu dans le monde de l'internet : comment assujettir des acteurs basés fiscalement hors de France (Luxembourg, Irlande, etc.) à une rémunération pour copie privée au titre de leurs "abonnements" pour leur service de cloud computing qui seraient utilisés par des consommateurs français ? Va-t-on devoir demander aux utilisateurs français de s'autodéclarer (comme quand ils achètent des CD ou DVDs vierges au Luxembourg) et d'acquitter spontanément le montant de cette rémunération ? Va-t-on compter sur le bon vouloir des acteurs du cloud pour reverser à la filière culture cette rémunération ?

Il n'est donc pas étonnant d'avoir vu apparaître parmi les propositions "Culture" de l'UMP cette idée de faire glisser la rémunération pour copie privée vers un mécanisme de taxation à l'accès afin d'avoir une emprise sur Google, Apple ou Amazon (les 3 gros acteurs du cloud ...).

Mais même ici, une autre question se posera. Si à terme le stockage primaire n'a lieu plus que dans le cloud (sans passer par le disque dur d'un PC) et que le seul accès se fait sous la forme d'une mise ne cache temporaire et d'une lecture en streaming, l'assujettissement du cloud à la rémunération pour copie privée sera-t-il légitime ? De la même manière finalement où actuellement - sans compter les considérations d'ordre politique - la taxation du disque dur de l'ordinateur a toujours été écartée au motif que les reproductions réalisées ne sont pas des copies privées mais plutôt la copie "primaire" qui pourra alors servir de support à la réalisation de copie privée.

Ces enjeux, on le voit ne sont pas simple. Si on essaye de synthétiser, la rémunération pour copie privée a été prévue pour compenser l'exercice par le consommateur d'un droit accordé par la loi : l'exception de copie privée, reproduction non autorisée par l'auteur. A partir du moment où 1) les duplications sont autorisées par l'auteur (creative commons, licence d'utilisation) voire 2) il n'y a plus copie privée mais un simple stockage temporaire, la base même de perception de la rémunération pour copie privée est susceptible de s'écrouler.

Finalement, en conclusion, on peut se replonger dans le discours du député Alain Richard, rapporteur du projet de loi qui créera la rémunération pour copie privée. Un discours qui, 25 ans après est encore d'actualité :

"L'auteur, dans les sociétés de liberté, est une personne qui se définit par sa liberté et son indépendance à l'égard de tous les pouvoirs. En conséquence, les droits de l'auteur ont un caractère civil ; Ils sont négociables et susceptibles d'être défendus dans les mêmes conditions que n'importe lequel des droits individuels de la personne. 
Ce caractère de la propriété littéraire et artistique suppose une complète liberté de la part de celui qui en est à la fois le détenteur et le porteur, car c'est aussi une responsabilité. 
Ce principe civiliste comporte certains risques de rente de situation ou, au contraire, de dénuement des artistes ou des auteurs qui sont pendant un certain temps incompris . On peut certes prévoir des aménagements ou des compensations, mais c'est la rançon de la liberté et de l'autonomie du créateur, qui sont à la base de cette législation qui est devenue, me semble-t-il, une tradition de civilisation dans les pays de liberté. 
(...)Nous devons tous, c'est-à-dire l'ensemble des partenaires intéressés par ces nouveaux développements technologiques, nous garder d'une espèce de fièvre de l'or que j'ai cru voir briller dans les yeux de certains de nos interlocuteurs, comme si demain matin ces secteurs nouveaux de diffusion ou de création pouvaient être porteurs de pactoles inconnus. 
Nous devons au contraire être attentifs à une constante du caractère français : sa relative lenteur, sa relative réticence à adopter les cours nouveaux en matière de communication et sa relative vulnérabilité face au développement industriel et commercial de ces nouveaux supports. 
Gardons-nous de semer des illusions sur les richesses qui pourraient d'un seul coup naître de l'exploitation de ces nouvelles technologies, et surtout d'ébranler le soubassement économique par des surcharges intempestives".

dimanche 11 septembre 2011

Comment Amazon a failli bloquer le fonctionnement de l'HADOPI

Sans doute que le géant américain n'imaginait pas que dans le cadre d'un contentieux l'opposant à des fabricants de produits cosmétiques, un acte de procédure aurait pu bloquer le mécanisme HADOPI et notamment le signalement par les ayants droit des internautes suspectés de partager des fichiers protégés par des droits de propriété intellectuelle.

Who The Hell is That?!
Source : Chris J Bowley sur Flickr (CC)

Avant d'expliquer pourquoi, il faut partir d'un sujet un peu technique, qui est l'un des éléments du contentieux dans lequel intervenait Amazon. Ce sujet agite depuis de très nombreuses années le petit monde de l'internet : la validité des constats réalisés par les agents assermentés de l'Agence pour la Protection des Programmes (APP), notamment lorsque ces constats sont réalisés dans des matières autres que les problématiques de contrefaçon de logiciel.

Aux termes de l'article L. 331-2 du Code de la propriété intellectuelle,
"Outre les procès-verbaux des officiers ou agents de police judiciaire, la preuve de la matérialité de toute infraction aux dispositions des livres Ier, II et III du présent code peut résulter des constatations d'agents assermentés désignés selon les cas par le Centre national du cinéma et de l'image animée, par les organismes de défense professionnelle visés à l'article L. 331-1 et par les sociétés mentionnées au titre II du présent livre. Ces agents sont agréés par le ministre chargé de la culture dans les conditions prévues par un décret en Conseil d'Etat."
Cet article permet ainsi à divers "agents assermentés" de constater des actes de contrefaçon dans trois matières : le droit d'auteur (Livre Ier), les droits voisins (Livre II) et le droit des bases de données (Livre III). Les constats ainsi réalisés par ces agents assermentés auront la même valeur que les constats réalisés par un officier ministériel ou un officier de police judiciaire. En un mot, leur caractère probatoire pourra que difficilement être remis en cause.

Parmi les agents assermentés au titre de l'article L. 331-2 du Code de la propriété intellectuelle, figurent les agents de l'Agence pour la protection des programmes (APP). Seulement, un débat a surgi à l'occasion de divers contentieux : les constats réalisés par l'APP en dehors de son périmètre sont-ils valides ?

Ainsi, si l'APP constate des actes de contrefaçon en droit des marques ou des actes de concurrence déloyale, infractions ne figurant pas dans les Livres I à III du Code de la propriété intellectuelle, quelle valeur attribuer à ces constats ?

La validité des constats APP "hors périmètre"

Le sujet a fait l'objet de plusieurs décisions de justice. Le 31 octobre 2007, la Cour d'appel de Paris estimait ainsi que "le constat de I’APP, dès lors qu’il porte sur la constatation d’une infraction au droit des marques, n’est pas légalement admissible à titre de preuve".

A l'inverse, le Tribunal de grande instance de Paris a pu considérer le 12 décembre 2007 que "la preuve dans les matières fondant les demandes peut être apportée par tous moyens et que le constat litigieux n’est pas un acte d’huissier. Dès lors il importe peu que la preuve de l’assermentation de l’agent de I’APP ne soit pas rapportée et ce d’autant plus que les constatations ont été effectuées selon les règles à suivre en la matière et que la société Google ne conteste pas ces constatations."

Classiquement, la réponse apportée par les magistrats était tempérée. Si les agents de l'APP ne sont "assermentés" que pour les matières visées par l'article L. 331-2 du CPI. S'ils réalisent des constats dans les autres matières (contrefaçon de marques, de dessins et modèles, etc.), la preuve de ces faits étant libre, les constats ainsi réalisés seront soumis à la libre appréciation du juge. Chacune des parties pourra donc les critiquer.

La constitutionnalité des constats APP "hors périmètre"

Mais face à cette situation, à l'occasion d'un contentieux, le géant américain Amazon a tenté de repousser l'APP dans ses retranchements en soulevant une QPC, une question prioritaire de constitutionnalité.

Is It Safe Yet?!
Source : Chris J Bowley sur Flickr (CC)

Le litige porte sur une matière bien particulière : l'atteinte aux réseaux de distribution sélective. En effet, le Groupe Clarins avait constaté qu'Amazon accueillait (pour ne pas dire "hébergeait") sur ses places de marchés amazon.fr, amazon.de et amazon.co.uk des vendeurs professionnels proposant à la vente des produits cosmétiques des marques Clarins, Thierry Mugler ou Azzaro. Or, ces produits sont commercialisés par l'intermédiaire de réseaux de distribution sélective. Seuls des vendeurs agréés peuvent proposer à la vente ces produits et selon des modalités déterminées par le fabricant du produit.

Ici, le Groupe Clarins estimait que les ventes étaient le fait de vendeurs non agréées. Il a donc fait réaliser plusieurs constats par un agent assermenté de l'APP. Par la suite, le groupe Clarins a assigné Amazon devant le Tribunal de commerce de Paris afin que ce dernier bloque la mise en vente et la vente des produits incriminés.

Avant de débattre du fond, Amazon a déposé une demande afin que le Tribunal de commerce de Paris transmette à la Cour de cassation une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) vis-à-vis de l'article L. 331-2 du Code de la propriété intellectuelle.

Pour Amazon, ce texte viole quatre principes constitutionnels :
- le principe d’égalité,
- le droit à un procès équitable et à l’égalité des armes,
- le principe de sécurité juridique, qui implique que les règles de droit soit claires, précises et prévisibles dans leurs effets,
- et l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

En effet, selon Amazon,
- l’APP est un organisme privé qui défend des intérêts partisans ;
- ses agents assermentés n’offrent aucune garantie d’indépendance et d’impartialité ;

- les actes ainsi établis ne sont pas soumis aux règles de validité très strictes encadrant les actes établis par les officiers ministériels tels que les huissiers ;
- la rédaction inefficace de l’article L.331-2 du code de la propriété intellectuelle a permis aux agents de l’APP de procéder à des constats en dehors de leur champ de compétence matérielle avec l’aval de nombreuses juridictions de fond.

Le 18 mai 2011, le Tribunal de commerce - contre l'avis du Ministère public - fait droit à la demande d'Amazon. Il estime que :
"Lorsqu’un litige met en jeu, directement ou indirectement, un producteur de programmes informatiques, éventuellement membre de l’APP, l’objectivité d’un agent de l’APP, organisme privé chargé de la défense des intérêts de cette profession, pour constater des infractions aux dispositions des livres Ier, II et III du code de la propriété intellectuelle peut ne pas être manifeste pour l’autre partie, et ce même si cet agent est assermenté et agréé. Cette objectivité est d’autant moins apparente que l’APP, comme les autres organismes de défense professionnelle visés à l’article L 331-1 du code de la propriété intellectuelle, a qualité pour agir en justice pour la défense des intérêts dont il a la charge. Le fait que le constat établi par un agent agréé de l’APP – ou d’un autre organisme de défense professionnelle régulièrement constitué - ait même valeur probante que celui d’un huissier ou que les constatations d’un officier ou agent de police judiciaire, sans que son auteur soit soumis aux règles strictes qui s’appliquent à ces professions, pourrait alors remettre en cause l’égalité des armes dont doivent disposer les parties à un litige, et donc le droit de chacun à un procès équitable. Il en résulte, sans qu’il soit besoin d’analyser les autres moyens développés par AMAZON SERVICES EUROPE, que la question posée n’est pas dépourvue de sérieux. 
Les trois conditions posées par l’article 23-1 de la loi organique du Conseil constitutionnel étant satisfaites, le Tribunal transmettra la question prioritaire de constitutionnalité posée à la Cour de cassation".
La QPC transmise à la Cour de cassation est donc la suivante :
"les dispositions de l’article L.331-2 du code de la propriété intellectuelle portent-t-elles atteintes aux droits et libertés garantis par la constitution et, plus particulièrement, au principe d’égalité, au droit à un procès équitable et au principe de sécurité juridique garantis par l’article 16 de la DDHC, ainsi qu’à l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi garanti par les articles 4,5,6 et 16 de la DDHC ?"
QPC : la constitutionnalité des constats réalisés par tous les agents assermentés ... y compris ceux transmis à l'HADOPI

L'enjeu était de taille. En effet, la QPC visait tous les constats réalisés en application de l'article L. 331-2 du Code de la propriété intellectuelle et pas uniquement ceux réalisés par l'APP. Pire, par effet ricochet, cette QPC pouvait impacter le fonctionnement de la Commission de protection des droits de l'HADOPI et plus globalement tout le dispositif HADOPI.

Danbo relaxes in the garden
Source : Chris J Bowley sur Flickr (CC)

En effet, en application de l'article L. 331-24 du Code de la propriété intellectuelle, la Commission de protection des droits de l'HADOPI agit sur saisine soit du procureur de la République, soit d'agents assermentés de l'article L.331-2.

Si le Conseil constitutionnel examinait la QPC et estimait que l'article incriminé du Code de la propriété intellectuelle était inconstitutionnel, l'HADOPI aurait perdu son carburant ; les ayants droit n'ayant plus la faculté de transmettre les signalements (et notamment les adresses IP) à la Commission de protection des droits de l'HADOPI. Sans signalement, pas d'identification, pas de courrier électronique, pas de lettre recommandée, etc.

Mais avant qu'une QPC soit transmise au Conseil constitutionnel, un filtre existe. Le tribunal adresse la QPC à la Cour de cassation qui vérifie si celle-ci remplit les critères permettant sa transmission aux Sages.

Dans un arrêt en date du 12 juillet 2011, la Cour de cassation a estimé que la QPC était irrecevable. En effet, pour les juges :
"Mais attendu que la disposition contestée n'est applicable ni au litige, ni à la procédure dès lors qu'il n'est allégué aucune atteinte à des droits d'auteur ou à des droits voisins".
En clair, l'article L. 331-2 du Code de la propriété intellectuelle ne s'applique qu'en matière d'atteinte aux droits d'auteur ou droits voisins. Or, ici, le litige entre le Groupe Clarins et Amazon porte sur la question de l'atteinte aux réseaux de distribution sélective et en aucun cas sur la question de la contrefaçon. Donc, cet article du CPI n'a pas vocation à s'appliquer au litige en cause. Et en conséquence, Amazon ne peut soulever de QPC à l'encontre d'un article du CPI qui ne s'applique pas dans le litige en cause.

Au final, on ne saura pas - cette fois-ci du moins - si la disposition en cause est constitutionnelle ou non. Le valeur des constats réalisés par les agents assermentés est donc préservée, tout comme le dispositif HADOPI.

Et pour le contentieux qui oppose Amazon à Clarins ? La décision de la Cour de cassation a un intérêt. Si l'article L. 331-2 du CPI n'a pas vocation à s'appliquer à un litige portant sur la distribution sélective, cela signifie une chose : le "constat" réalisé par l'APP n'a pas la force probatoire d'un constat réalisé par un agent assermenté. En clair, c'est une preuve comme une autre qui peut être renversée et librement critiquée par chaque partie.

Source  : T. com. Paris, 18 mai 2011, SA Clarins, SASU Parfums Loris Azzaro, SAS Clarins  Fragrance Group c/ Amazon Services Europe SàRL, Amazon EU SàRL, SAS Amazon.fr Holdings, SASU Amazon.fr, Amazon.co.uk LTD, Amazon.de Gmbh (inédit) et Cass. Com, 12 juillet 2011, n° S 11-40.033 (inédit)