Hier a été organisé par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, le 36è atelier de la consommation sur le thème "Nouvelles technologies et consommation". Cet atelier a été l'occasion d'aborder, sous une forme prospective, l'évolution des comportements de consommation des cyber-acheteurs français et finalement s'interroger sur le e-commerce de demain.
François-Xavier Hussherr (Médiamétrie) est revenu sur les chiffres du commerce électronique et notamment sur le fait que l'on a dépassé le symbolique 50% : 1 internaute sur 2 achète dorénavant sur l'internet. Il a également démontré que même si la croissance du taux de pénétration de l'internet se ralentit, la croissance du commerce électronique est elle toujours bien présente, avec un accroissement de la confiance dans l'achat sur l'internet (55,9%).
Il a rappelé l'importance du moteur de recherche qui ne sert plus seulement à identifier le site sur lequel l'acte d'achat va être passé mais également permettra au consommateur de trouver de nombreuses informations sur ledit cyber-marchand ou le produit désiré.
Interrogé par la salle, François-Xavier Hussherr indique que s'il y a mondialisation des acteurs du commerce électronique, il n'y a pas pour autant une internationalisation du marché pour les internautes français. Les relations transfrontières demeurent encore limitées.
Suite à ce premier état des lieux, il me revenait de faire une intervention sur les évolutions prochaines du cadre juridique protecteur du cyber-consommateur.
Je suis parti du constat que le commerce électronique explose, se développe et touche toutes les couches de la population. Mais surtout, ce commerce électronique se recentre progressivement autour de la personne, de l'individu, du cyber-consommateur. Cela passe d'ores et déjà par l'outil utilisé pour se connecter où l'on a un glissement de l'accès depuis l'ordinateur familial vers un accès depuis des outils communicants plus personnels (téléphone mobiles, etc.) En outre, les techniques marketing qui se développent se centrent de plus en plus sur les personnes elles-mêmes (comme par exemple avec la création de "club" où l'on fait miroiter à un consommateur des offres qui sont faites pour lui et lui seul).
Plusieurs évolutions sont constatées. Tout d'abord, on assiste progressivement à une dématérialisation croissante de l'acte d'achat : dématérialisation de la phase précontractuelle d'information, dématérialisation de la conclusion du contrat (double clic) et maintenant dématérialisation dans la livraison (fichiers musicaux, logiciels, billets de transport, etc.).
Cette dématérialisation croissante fait que l'on assiste aussi à un glissement d'un concept juridique : de l'achat d'un bien ou passe à celui de l'achat d'une prestation de service qui se confond, se superpose avec un bien physique voire un bien immatériel.
Cette dématérialisation permet également d'avoir une personnalisation du contrat et c'est l'une des grandes nouveautés de l'internet : le cyber-marchand peut toucher directement le consommateur intuitu personae. Il peut contracter directement avec lui, en tenant (ou non) compte de ses spécificités. Cela peut aller plus loin en permettant de contractualiser l'usage qui va être fait du bien ou du service acheté. Cela se retrouve dans la logique des DRMs ou de la commercialisation de billets de train (Prem's), de billets de spectacles (match de la coupe du monde) réservés et destinés aux seules personnes qui en sont les acquéreurs. Par le contrat, on limite la possibilité de revente.
Cette personnalisation poussée dans la phase contractuelle va aussi nécessiter, notamment pour des questions de lutte contre la fraude, d'avoir un renforcement de l'identification ou de l'authentification de l'acheteur. L'avenir verra sans doute émerger les outils attendus par les cyber-marchands en faveur d'une vérification d'identité du consommateur (par l'intermédiaire de la carte nationale d'identité électronique par exemple).
Ce développement de la contractualisation de l'usage et du recours à l'internet va-t-il bouleverser les règles de droit ? Non. En fait, on assiste à la révolution de l'article 1134 du Code civil, c'est-à-dire à ce mouvement dont le point de retour coïncide avec le point de départ. Et c'est ça finalement ce qui commence à se développer : l'internet et son environnement contractuel fort tendent à revenir aux fondamentaux : au droit romain, au Code civil de 1804. Est-ce à dire que les régimes plus protecteurs seront menacés ?
Prenons par exemple le droit de la vente à distance : celui-ci est fondé sur un postulat classique : celui de l'absence de mise en relation physique du vendeur et de l'acheteur. Or, avec une dématérialisation de plus en plus présente, avec la diffusion d'informations de plus en plus précises par l'intermédiaire de textes, photographiques, vidéos, images 3D, avis de consommateurs, l'absence de mise en relation entre les deux contractants est-elle gênante ? La réponse semble être négative. Pour autant, un autre argument milite en faveur du maintien de ce droit spécial : le droit de la vente à distance a été conçu dans une optique d'essai du bien (ce qui explique la disposition centrale qu'est le droit de rétractation). Or, il apparaît que seule la prise de possession physique permet cet essai, justifiant à elle seule le maintien du droit de la vente à distance voire son extension à certains produits aujourd'hui exclus (fichiers musicaux grevés de DRMs).
De même, le droit de la consommation est-il encore de nature à s'appliquer à l'internet ? Le postulat tout aussi classique du droit de la consommation est celui du rééquilibrage de la relation économique conclue entre un professionnel fort et renseigné et un consommateur faible et ignorant. Seulement, avec l'internet qui permet aux consommateurs de s'informer (et ils ne s'en privent pas), a-t-on toujours ce déséquilibre ? Ne va-t-on pas être obligé de prévoir un droit plus protecteur du professionnel qui sera moins compétent que son consommateur ?
La réponse est toute aussi négative : le droit de la consommation a également été conçu pour autre chose : celui de renforcer l'information, la protection du consommateur qui serait naturellement moins vigilant lorsqu'il conclut un contrat avec un professionnel en qui il a confiance. C'est en raison de l'existence d'une confiance forte envers le professionnel qu'il est nécessaire de renforcer la protection du consommateur car ce dernier ne va pas avoir forcément toute la vigilance que devrait lui imposer la conclusion d'un contrat. Avec le développement de la confiance sur l'internet et notamment de la confiance des consommateurs envers les cyber-marchands notoirement connus, le maintien du droit de la consommation se justifie.
Finalement, les règles de droit ne vont pas disparaître. Elles vont peut-être faire l'objet d'un aménagement à la marge pour tenir compte de spécificités. Mais le point fort demeurera les fondamentaux, le droit civil et son article 1134.
Ce retour en force de l'article 1134 du Code civil va voir d'autres conséquences : le renforcement des régimes de responsabilité contractuelle (et le maintien de la responsabilité de plein droit des cyber-marchands) ou l'adaptation du formalisme permettant de fixer le consentement du consommateur (notamment en matière de contrat portant sur les données personnelles).
Ce retour en force du contrat va aussi justifier le développement d'outils de régulation nouveaux. Outre les modes alternatifs de règlement des différends, la Commission des clauses abusives va avoir un rôle fondamental à jouer tout comme les futures actions de groupe. De la même manière, les normes vont être élaborées de manière plus souple en reprenant les logiques contractuelles de négociation, concertation et consensus. L'internet aujourd'hui fait l'objet d'une régulation de plus en plus forte par l'intermédiaire de chartes d'engagement ou de codes de bonne conduite. Les acteurs sont demandeurs de ces outils souples qui leur permet de négocier avec les pouvoirs publics l'application de telle ou telle réglementation mais également de faire évoluer plus facilement ces nouveaux "textes contractuels d'application" afin qu'ils s'adaptent à l'évolution même des nouvelles technologies.
Concernant les "changements", la première intervenante était Frédérique Pfrunder pour l'association CLCV. Elle a rappelé que l'internet avait fait émerger des problématiques nouvelles. Tout d'abord, il y a celle de la formation des internautes aux nouvelles technologies et de l'éducation nécessaire aux risques. Ensuite, il y a le problème du service après-vente qui semble souvent oublié ou négligé par certains acteurs du commerce électronique. Elle s'est interrogée notamment sur la prise en compte de cette dimension "service client" dans le business model de tout cyber-marchand qui semble se contenter de "vendre". Elle a également indiqué que l'internet a un impact sur le budget des ménages : les outils sont de plus en plus spécialisés pour des services dont on n'a pas l'usage immédiatement. Elle préconise d'avoir une évolution graduée des produits proposés aux consommateurs. Elle a relevé également la complexité des offres d'accès à l'internet.
Elle a rappelé également la nécessité d'avoir l'application de règles loyales aux consommateurs : ceux-ci ne sont pas en mesure systématiquement de négocier des conditions générales de vente. Enfin, elle a pointé le fait qu'il faut aussi tenir compte du "non-accès" à l'internet qui ne doit pas devenir progressivement un nouvel handicap.
Jean-Noël Reinhardt, Président de Virgin Stores a fait une analyse des changements qu'avait entraînés l'internet pour le "disquaire qui vend surtout des livres" (Virgin). Il est parti de certains constats et notamment a relevé l'émergence d'un droit à la gratuité dans l'esprit du consommateur. En effet, certains biens culturels ne sont plus des biens faisant l'objet d'une transaction mais sont considérés comme des "informations" devant s'échanger gratuitement. Il estime qu'il existe encore aujourd'hui une confusion entre les notions de "transaction" et "d'information". Les produits culturels ne sauraient être des informations.
Dans cette logique, il est intéressant de noter un graphique très parlant concernant l'impact de l'échange de fichiers entre internautes sur l'achat de tels fichiers sur des plates-formes payantes. Virgin indique qu'en décembre 2005, il a vendu 691.000 fichiers musicaux et pour la première fois depuis le lancement du site, il a connu deux baisses consécutives en janvier 2006 (602.000) et en février 2006 (518.000). En mars 2006, la tendance repart à l'inverse et le nombre de fichiers vendus augmente. Selon lui, la baisse ainsi constatée est due à l'annonce en décembre 2005 de l'adoption d'un des amendements sur la licence globale, présentée dans la presse comme "légalisant les échanges de fichiers". La nouvelle augmentation en mars coïnciderait avec l'adoption du texte par l'Assemblée nationale et la suppression lors de cette lecture par les députés de l'amendement "licence globale".
D'un point de vue plus global, Virgin réfléchit actuellement aux évolutions qu'implique le développement des nouvelles technologies. D'ores et déjà, 50% des investissements sont destinés à la plate-forme VirginMega. De nouveaux produits numériques sont envisagés : téléchargement de musique sur mobile, vente de magasines et journaux dématérialisés, vente de livres dématérialisés. Ce dernier produit arrivera sans doute dans les années 2010, époque à laquelle les écrans d'ordinateur auront la même qualité que le papier. A terme, Virgin a indiqué qu'il y aura sans doute une présence physique de plus en plus marginale des CD et DVD dans leurs magasins.
Enfin, l'intervenant est revenu sur le match vente sur PC vs. vente sur mobile de la musique en ligne. Il explique qu'il est sceptique quant au développement fort de la vente de musique sur mobile. En effet, dès lors que le coût pour l'achat sur mobile est deux fois supérieur à celui de l'achat par un PC, il y a de fortes chances pour que ce nouveau type d'achat se développe lentement.
Jean-Yves Granger du groupe Laser a indiqué que d'un point de vue marketing, il fallait appliquer la loi des "10i" complémentaire de la loi classique des "4P". Les "10i" sont : l'innovation, l'intégration (ou convergence), l'interactivité avec le consommateur, l'immédiateté de la délivrance du message, l'interconnexion avec l'ensemble des outils, l'intermédiation avec, par exemple, le cross-selling, l'information (les "datas"), l'individualisation ou la personnalisation du message, l'itération dans le traitement des données afin de ne pas poser les mêmes questions et enfin, l'invitation avec une prise en main par le consommateur.
Pour lui, l'internet marque la fin de la stratégie "push" et fait naître (ou renaître) le dialogue marketing, la personnalisation, la connivence entre le consommateur et l'annonceur. Un autre élément est relevé par lui : la fusion progressive des deux mondes, le monde réel et le monde virtuel des jeux en réseau. Il s'interroge notamment sur l'arrivée prochaine de publicités dans les jeux vidéo eux-mêmes et une interconnexion entre les deux mondes.
Enfin, la dernière intervention était celle de Pascale Hebel, directrice du pôle "Consommation" du CREDOC. Elle estime qu'il existence dorénavant une nouvelle génération : la génération internet des 15-24 ans, ceux qui sont nés dans le tout numérique. Il s'agit d'une génération également nomade. Elle s'interroge sur le fait que dès lors que ces personnes sont nées dans un univers où l'échange est basé sur la gratuité, quel impact cela va avoir sur leurs comportements futurs de consommateurs ?
Elle relève que l'internet va faire naître une nouvelle race de consommateurs : plus éduqués, plus informés, plus grands négociateurs et connaisseurs. Il va y avoir un renforcement dans le processus de négociation. Selon elle, le consommateur ne va plus aller voir le vendeur pour acheter mais pour parfaire son information.
Face au développement des relations commerciales entre particuliers, l'intervenante relève qu'il y a aussi un changement dans la relation au bien que peut avoir le consommateur : les nouvelles générations achètent des biens, à un prix plus important, en pensant déjà à les revendre.
Cette génération internet produira ses effets d'ici 10 ou 20 ans. Ce qui est sûr c'est que cela impactera toutes les formes de commerce.
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