Le 8 juin dernier, j'étais invité à intervenir à l'occasion du colloque organisé au Sénat par l'Association Cyberlex – colloque faisant le point de dix années de droit de l'internet. Le temps manquant au moment de notre table-ronde, les intervenants ne purent que difficilement développer leurs interventions. Heureusement, mon petit blog existe permettant ainsi de retranscrire plus fidèlement les éléments qui auraient dû être communiqués.
Intervenant à la fin de la table-ronde, j'étais amené à aborder la question du futur de l'encadrement du commerce électronique (à croire que je suis abonné à ces sujets) et en particulier les bouleversements que pourraient engendrer l'internet dans le domaine juridique. Sortant ma boule de cristal, il y a une que l'on note immédiatement : c'est la désintermédiation. Mais qu'est ce que cela signifie ?
En matière de vente classique, les consommateurs s'adressent principalement à des intermédiaires. Ce sont des boutiques, des antiquaires, des brocanteurs, des dépôts-ventes, des commissaires priseurs, des supermarchés, etc. On est donc en France sur un mode économique qui repose sur ces intermédiaires, sur ce statut de vendeur professionnel.
Or, l'internet permet de se passer de ces intermédiaires. Pas complètement, certes, mais ce phénomène se développe : on assiste à une désintermédiation puisque dorénavant les consommateurs ont la possibilité, notamment par l'intermédiaire des fameuses plates-formes de ventes entre internautes, d'acquérir les objets directement auprès de leur propriétaire (sans passer par un dépôt vente, un antiquaire ou un brocanteur) ou auprès du fabricant (certaines entreprises n'hésitant pas à faire de la vente directe alors qu'auparavant ils ne privilégiaient que la vente par l'intermédiaire de revendeurs).
Cette désintermédiation a deux conséquences. Tout d'abord, elle crée un mécanisme de concurrence plus forte pouvant représenter une pression très, trop importante pour certains acteurs qui alors souhaitent une remise en cause de ce commerce sur l'internet. On peut citer le cas du différend existant entre eBay et le Conseil des ventes volontaires concernant la vente de biens culturels mais aussi de voitures d'occasions sous forme d'enchères. De même, il n'est pas anodin de voire plusieurs "intermédiaires classiques" remettre en cause l'intervention directe de vendeurs particuliers dès lors que ceux ne sont pas soumis (ou ne respectent pas) les mêmes obligations que les vendeurs professionnels.
Ensuite, cette désintermédiation commence à faire peser une nouvelle problématique totalement paradoxale : la "réintermédiation". Classiquement, le droit français est conçu comme un droit protecteur du consommateur. Cette protection passe par un certain nombre de verrous qui pèsent principalement sur les intermédiaires classiques : les revendeurs sont responsables de plein droit en cas de problème dans la livraison, ils doivent assumer les vices cachés des biens (alors même qu'ils n'en seraient pas à l'origine), les revendeurs professionnels doivent remplir certaines obligations destinées à lutter contre le trafic de biens volés, etc. Ce sont les intermédiaires qui aujourd'hui constituent les personnes ressources dans la mécanique de protection du consommateur car ils sont facilement identifiables et peuvent avoir une très grande solidité leur permettant d'assumer un risque plus important que le consommateur.
Avec l'internet et la désintermédiation, cette mécanique est de plus en plus chahutée. Certes, des règles demeurent applicables mêmes aux vendeurs-propriétaires ou aux vendeurs-fabricants, mais il est vrai que de nombreux acteurs se sentent déstabilisé par ce possible relâchement. Afin de lutter contre cette tendance, la réaction est classique : on cherche de nouveaux intermédiaires sur qui faire peser des obligations.
Or, sur l'internet – et même si on a une désintermédiation de échanges – il n'en demeure pas moins qu'il demeure des intermédiaires, techniques ceux-là. Il est donc naturel que les acteurs, que les victimes se retournent vers ceux-ci comme les hébergeurs (en matière de contenus "manifestement illicites"), les fournisseurs d'accès à l'internet (en matière d'accessibilité à des sites "odieux") ou les plates-formes de mise en relation (en cas de problème rencontré sur celle-ci).
Ce besoin de réintermédiation va sans doute aboutir à une réforme plus profonde de notre régime juridique : celle de la remise en cause du mécanisme protecteur des intermédiaires techniques prévu par l'article 6 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique. Un retour aux sources, aux principes généraux de responsabilité de droit commun, est d'ores et déjà avancé.
Ainsi, et même si comme le relevaient Eric Barbry ou Thibault Verbiest, la directive "commerce électronique" (qui vient de fêter ses 6 ans) fait un patchwork entre d'un côté dispositions relatives aux intermédiaires techniques et de l'autre, dispositions relatives au commerce électronique, il ne fait pas de doute qu'avec la mécanique désintermédiation-réintermédiation, on aboutira inéluctablement à un lien très fort existant entre le régime applicable au commerce électronique et celui entourant l'activité des "intermédiaires techniques" qui favorisent celui-ci. Peut-être que 6 ans après, on se rend compte finalement que la directive "commerce électronique" était en avance !
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