Le contexte est toujours le même : la présence d'offres proposant à la vente des objets contrefaisants sur les plates-formes de commerce électronique.
La question toujours la même : quelle responsabilité pour les plates-formes dans la présence de ces offres ? Faut-il appliquer le régime de l'hébergeur, le droit commun ou le statut de l'éditeur (et donc une responsabilité de plein droit) ?
Et les réponses ne sont pas aussi régulières. On a eu le Tribunal de grande instance de Troyes qui a retenu la responsabilité de droit commun d'eBay (sur la base d'une qualification "d'éditeur de service de communication au public en ligne de courtage") dans un litige l'opposant à Hermès suite à la vente de plusieurs sacs contrefaisants. Par la suite, le Tribunal de commerce de Paris, par trois jugements, a retenu également sa responsabilité de droit commun au motif qu'eBay n'était pas seulement hébergeur. Par la suite, on a eu l'affaire Tiffany aux Etats-Unis où les magistrats américains ont écarté la responsabilité de la plate-forme de commerce électronique.
Le 31 juillet 2008, c'est au tour du Tribunal de commerce de Bruxelles de venir apporter sa pierre à cet édifice en statuant sur le contentieux opposant L'Oréal à eBay suite à la présence de plusieurs contenus contrefaisants, en l'espèce des faux parfums (sur 80 parfums achetés par L'Oréal, 67 se sont avérés être faux).
La décision belge pourrait se résumer ainsi :
- Les juges estiment que "les seules activités d'eBay critiquées par Lancôme sont celles par lesquelles eBay héberge (ou affiche) les annonces de vente émanant des candidats vendeurs" et d'ajouter que "ce sont donc bien les activités d'hébergement auxquelles se livre eBay qui sont critiquées par Lancôme"
- Concernant la nature composite des activités d'un acteur de l'internet, les juges indiquent que "ce ne sont pas des catégories d'intermédiaires, ni davantage des types d'informations qui peuvent prétendre à l'exonération de responsabilité qu'elle prévoit, mais bien et uniquement des intermédiaires et prestataires de service, lorsqu'ils peuvent faire valoir qu'ils fournissent tel ou tel service entrant dans la définition de ceux se trouvant exemptés" Ainsi, en l'état actuel du droit communautaire et du droit belge, "un intermédiaire qui peut faire la preuve de ce qu'il fournit un service [d'hébergement] doit pouvoir bénéficier, pour ce service, de l'exemption de responsabilité prévue par ladite directive et par la loi belge, quels que soient par ailleurs les activités que cet intermédiaire exerce via son site internet et le bénéfice qu'il en tire"
- Les juges en déduisent que "s'agissant des annonces de ventes postées sur le site eBay par des candidats vendeurs, eBay les accueille en fournissant un service d'hébergement, pour lequel eBay bénéfice d'une exemption de responsabilité".
- Partant de là, les juges estiment que demander à eBay de filtrer les contenus aboutirait à une "surveillance et une recherche active sur son site (...) contraires aux principes". Ils retiennent également que "le statut particulier réservé par la directive et la loi aux fournisseurs de services d'hébergement s'oppose" à ce qu'une fois "qu'une illicéité lui est notifiée, eBay doit prendre des mesures pour éviter que pareille illicéité ne se reproduise".
A partir de ces éléments, que peut-on en penser ?
Les juges belges ont décidé de se focaliser uniquement sur l'activité "d'affichage" des annonces pour déterminer le cadre juridique applicable à eBay en la matière tandis que les juges français avaient quant à eux estimés que cette fonction d'affichage était inhérente à l'activité principale, à savoir celle de courtage en ligne et que c'était cette dernière qui était à la source du préjudice subi par les titulaires de droit. Il s'agit de la première distinction fondamentale entre les deux tendances.
A ce titre, la Commission européenne avait eu l'occasion de rappeler le 4 juin 2008 suite à une question posée par Mme Fourtou que :
La Commission estime ainsi que seule une partie des activités des
gestionnaires de sites d’enchères électroniques tombe clairement dans le champ
d’application de l’article 14 de la directive 2000/31/CE entrainant l’absence de
responsabilité: il s’agit de la pure activité de stockage d’information
provenant de tiers. Les activités économiques accompagnant ce stockage
d’information ne sont pas concernées par l’exemption de responsabilité.
Ensuite, les juges belges ont estimé qu'en tant qu'hébergeur, le site ne pouvait être tenu de mettre en oeuvre des systèmes de filtrage pro-actifs et qu'au contraire, il revenait à la marque de notifier chacun des contenus illicites qui seraient amenés à être publiés. Toute décision inverse constituerait alors une mesure de surveillance générale interdite par la Directive et la loi belge.
Cette logique se détache de la position adoptée en France. Ainsi, le Tribunal de commerce a pu imposer à d'autres plates-formes - malgré la reconnaissance de leur statut d'hébergeur - une obligation de mettre en oeuvre des mesures de filtrage. En outre, appliquant également le régime de responsabilité des hébergeurs, le Tribunal de grande instance de Paris a pu estimer que dès lors qu'un prestataire est informé du caractère illicite d'un contenu, cette information vaut tant pour les contenus présents mais également pour les contenus futurs (et il doit en conséquence mettre en oeuvre des outils destinés à éliminer la remise en ligne desdits contenus).
Ainsi, même en retenant la qualification d'hébergeur, les juges français tendent de trouver un équilibre entre les diverses parties et adoptent des solutions pratiques permettant d'être à la fois respectueux du statut et protecteur des droits des tiers.
On pourrait analyser plus en avant cette décision. Selon moi, elle constitue qu'un élément complémentaire dans la construction progressive d'un cadre au plan communautaire. On aurait pu citer d'autres décisions, rendues notamment en Allemagne qui ont pu imposer des mesures de filtrage et ceci même pour les contenus futurs.
Nonobstant cette décision, il convient de s'interroger sur ces questions de contrefaçon et de leur présence sur des sites d'intermédiation comme les plates-formes de commerce électronique. Au delà des questions juridiques, je reste convaincu que les sites ont 3 responsabilités en la matière :
- une responsabilité envers leurs utilisateurs : celle de s'assurer que des contenus et comportements illicites (au demeurant interdits par les conditions générales) ne se réalisent pas au détriment d'un acheteur (produit illicite) et d'un vendeur (concurrence déloyale)
- une responsabilité envers les tiers : celle de s'assurer que la plate-forme n'est pas utilisée pour perturber un secteur (atteinte aux réseaux de distribution sélective) ou aux droits des tiers (contrefaçon)
- une responsabilité envers les acteurs du commerce électronique : les plates-formes constituent les principaux sites de commerce électronique en France. Un consommateur qui rencontre un problème aura alors une défiance pour le secteur tout entier.
Filtrage, contrôle, analyse, etc. On peut définir différemment les mesures qui doivent être mises en place. Il est clair aujourd'hui qu'un acteur ne peut pas uniquement se reposer sur des tiers pour faire le ménage sur son site.
Si on prend l'exemple d'un produit cosmétique : un principe de précaution ne devrait-il pas s'appliquer ? Celui de s'assurer par tous les moyens, et avant la mise en vente de ce produit, que celui-ci est un produit véritable, qui n'a pas été altéré. En la matière (et les tests d'achat réalisé dans le cadre du contentieux belge le montre vu que le taux de contrefaçon est de plus de 80% !), les sites doivent-ils risquer la santé de l'acheteur en ne lui offrant pas cette garantie ?
Je ne pense pas. Des contrôles doivent être mis en oeuvre, par nature stricts, destinés à s'assurer à 100% que tel ou tel produit - au demeurant connus comme régulièrement contrefaits - ne vont pas risquer la santé ou la sécurité de l'internaute.
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