jeudi 26 mai 2005

Affilieur c/ Affilié : la guerre des responsabilités

Un jugement récent du Tribunal de grande instance de Strasbourg en date du 19 mai 2005 (disponible sur le site du FDI) vient de traiter de la question - de plus en plus centrale - de la responsabilité de l’affilieur du fait des agissements de ses affiliés.

Comme le rappelait le premier rapport de l'Observatoire de la cyber-consommation, l’affiliation est pour un site commercial, une technique de promotion et de distribution qui consiste à gérer des partenariats "online" permettant la constitution d’un réseau de sites partenaires rémunérés à la performance. Elle est donc basée sur un système d’échange entre l’initiateur du programme d’affiliation et un affilié. L’initiateur du programme cherche à accroître sa visibilité, ses ventes. L’affilié, de son côté, cherche à valoriser son audience et à obtenir des revenus supplémentaires grâce à son site. Il met donc en place des liens vers le site de l’initiateur du programme d’affiliation : boutons et bannières, moteurs de recherche, lien texte, lien dans sa lettre d’informations… En échange, l’initiateur du programme d’affiliation le rémunère selon différentes formules qui lui permettent de ne payer que pour les résultats réellement obtenus (pourcentage sur les ventes réalisées) [voir à ce sujet : C. Manara, le contrat d’affiliation sur internet, D. 2000, n° 19, 11 mai 2000, p. 3].

L’affiliation est apparue en 1996, aux Etats-Unis. Une citoyenne américaine avait créé un site dédié au divorce en fournissant informations légales et différents conseils de lectures. Elle envoya un courriel à Amazon.com pour lui demander l’autorisation de mettre en place un lien hypertexte vers la fiche descriptive des livres présentés sur son site et savoir si elle pouvait percevoir une commission sur les ventes réalisées grâce à ces liens. Quelques mois plus tard, le premier programme d’affiliation d’Amazon.com était créé. De 4000 sites en décembre 1996, le nombre d’affiliés a atteint 30.000 début 1998 et 500.000 début 2002. L’affiliation représente aujourd’hui plus de 10 % du chiffre d’affaires d’Amazon. Ce succès a fait des émules, chez eBay par exemple, qui possède le plus grand réseau mondial d’affiliés. L’affiliation peut donc constituer une activité complémentaire à une activité professionnelle, voire amener une requalification juridique de sa situation, le consommateur devenant un commerçant.

Cette activité peut également présenter un risque pour l’affilieur dès lors que celui-ci n’est plus maître de l’utilisation de ses produits par l’affilié. Nous avons ainsi vu récemment quelques exemples du risque potentiel en matière d’affichage de publicité.

Le jugement du Tribunal de grande instance de Strasbourg en donne une nouvelle illustration. En l’espèce, des internautes avaient fait figurer dans le code source de sites pornographiques une marque déposée et ceci sans autorisation de son titulaire.

Celui-ci décida de saisir la justice à l’encontre de l’affilieur de ces sites. Pour autant les juges strasbourgeois repoussent l’engagement de la responsabilité en la matière. Ils estiment que "dans le cadre des contrats d’affiliation passés avec les propriétaires des sites [incriminés], leur responsabilité n’est pas (…) engagée faute pour les demandeurs de démontrer qu’ils ont fourni à leurs partenaires le contenu contrefaisant". De même, "faute de démontrer que les défendeurs disposaient de la maîtrise de ces sites ou avaient le pouvoir d’influer sur leur contenu, la responsabilité de ces derniers ne peut pas non plus être engagée sur le fondement de l’article 1382 du code civil".

En clair, les affilieurs ne sont responsables que du contenu qu’ils fournissent à leurs affiliés et non pas de la manière dont ces contenus sont utilisés.

Cette décision semble s’inscrire à rebours d’un arrêt – inédit – de la Cour d’appel de Paris du 24 juin 2004 qui concernait également des sites pornographiques. Dans cette précédente affaire, l’affilieur proposait aux internautes d’installer sur leurs sites des kits de connexion permettant de surfer – de manière surtaxée – sur certains contenus. En particulier, il proposait "la vidéo porno de Loana", mettant en scène une personne blonde prénommée ainsi.

Or, certains affiliés décidèrent de créer des sites internet dédiés à Loana P. (la « Loana du loft ») et d’installer dessus ces kits de connexion. Celle-ci décida de saisir la justice et fit condamné l’affilieur.

Les juges d’appel relèvent, en effet, que "l’apport d’un site à caractère pornographique, dont les images de présentation pouvaient créer une confusion dans l’esprit de l’internaute et le conduire à penser qu’il s’agissait de Loana P., dans le cadre d’un contrat avec des partenaires visant à conduire l’internaute à se connecter audit site pornographique, est constitutif, à défaut de consentement de sa part, d’une faute à l’égard de l’appelante".

Ici, l’affilieur est condamné sur le fondement de l’article 1382 du Code civil alors même - pour reprendre les éléments donnés par les juges strasbourgeois – qu’il n’avait ni la maîtrise dans la présentation des kits de connexion, ni le pouvoir d’influer sur celle-ci.

Il faut sans doute y voir un cas particulier : l’affilieur semble avoir joué sur le contexte (en pleine période de loftmania) et la confusion physique entre la Loana du loft et la Loana de la vidéo pour capter un nombre plus important de visiteurs. C’est sans doute cette recherche de confusion que les juges ont plutôt sanctionné, celle-ci devenant alors indépendante de la présentation qui en serait faite par les affiliés (même si celle-ci qui est à l’origine du procès).

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