En effet, la lecture de quelques articles laissent entendre que les propos ont été diffusés sur le mur d'un des salariés et ensuite, communiqués aux employeurs. Si le mur était fermé, on pourrait alors estimer que cette communication aux employeurs pourrait porter atteinte au secret des correspondances et que la preuve, ainsi rapportée, doit être écartée du débat judiciaire.
La question de la nature de la correspondance privée se posera donc, notamment au regard des critères qui ont pu être dégagés par la jurisprudence sur la communauté d'intérêt et l'accès réservé ou non aux contenus échangés.
Au delà de cette décision, ce n'est pas la première fois que la justice s'est posée la question de savoir si des propos tenus par un salarié sur un mur Facebook pouvaient lui être opposés pour prononcer une sanction que celle-ci soit un licenciement, ou de manière plus faible, un avertissement.
Les faits remontent à novembre 2008. Ce jour là, un journaliste de l'Est Eclair reçoit un avertissement pour des propos injurieux et diffamatoires à l'encontre de sa hiérarchie. Il décide de contester cette sanction, et à défaut d'obtenir satisfaction, décide de saisir le Conseil de Prud'hommes. En première instance, le CP de Troyes annulent par un jugement en date du 16 décembre 2009 la sanction. Il est alors fait appel de ce jugement.
L'intérêt pour nous est double : on a donc une première décision d'appel sur le beau sujet qui est la libre expression sur un mur Facebook et surtout une décision très détaillée.
Dans un premier temps, la Cour d'appel revient sur la nature de l'avertissement et rappelle que :
"Attendu que le litige concerne un avertissement notifié à un journaliste par son employeur qui soutient qu'il a injurié un membre de la direction, ce qui constituerait un abus de la liberté d'expression au motif que les salariés cadres ont une obligation de loyauté et de réserve et que le message inscrit sur le mur de facebook de Madame B, autre journaliste de l'EST ECLAIR, était accessible à tous, ce qui caractérise la faute ;
Attendu que Monsieur A. ne conteste pas être l'auteur de ce message ; qu'il soutient que cet échange est d'ordre privé, qu'il n'a nommé personne, et que sa vie ne se résume pas à la sphère professionnelle ; que Facebook constitue un espace privé comparable à une boîte mail ; que son employeur n'a pu obtenir ce message qu'en violation de la correspondance privée;"Donc le débat est posé :
- d'un côté l'employeur argumente le fait que le message était public et constituait un abus de la liberté d'expression ;
- de l'autre, le salarié argumente le fait que le message était une correspondance privée et était d'ordre privé.
Le message citons le :
"Au fait : notre chef, il est vraiment autiste, non ? Tu ne connaîtrais pas un centre spécialisé où, on pourrait le soigner ? D'ailleurs, est-ce que la connerie se soigne ? Alli je retourne dans le Pays d'Othe, Ça gronde là bas"Qu'a donc décidé la Cour d'appel de Reims dans cette affaire.
Tout d'abord, les juges ont rappelé que les journalistes sont des personnes qui connaissent les principes et les lois et surtout qu'ils sont des sachants dans le domaine des nouvelles technologiques :
"Attendu que les journalistes qui ont vocation à connaître les principes et les lois concernant la presse et notamment le respect de la vie privée, la diffamation, les injures, l'obligation de réserve et de loyauté ainsi que la manipulation d'outils de communication modernes ne peuvent ignorer que certains modes d'échanges ne leur assurent pas toute la discrétion nécessaire pour des propos qui sont censés rester dans la sphère privée ;
Attendu que nul ne peut ignorer que Facebook, qui est un réseau accessible par connexion internet, ne garantie pas toujours la confidentialité nécessaire ;"
Sur la publicité du message, la Cour relève que :
"le message a été inscrit sur le « mur » de Melle B où il est indiqué « A. a écrit à 14 h 10 » le 31 octobre 2008 ; que le mur s'apparente à un forum de discussion qui peut être limité à certaines personnes ou non"
et
"en mettant un message sur le mur d'une autre personne dénommée « ami », il s'expose à ce que cette personne ait des centaines d' « amis » ou n'ait pas bloqué les accès à son profil et que tout individu inscrit sur Facebook puisse accéder librement à ces informations (coordonnées, mur, messages, photos) ; que dans ces conditions, contrairement à ce qu'avance le salarié, il ne s'agit pas d'une atteinte à la sphère privée au regard de tous les individus, amis ou non qui peuvent voir le profil d'une personne et accéder à son mur et aux messages qu'elle écrit ou qui lui sont adressés"Sur l'atteinte au secret des correspondances, les juges ajoutent que :
"la violation d'une correspondance privée suppose qu'un échange écrit ne puisse être lu par une personne à laquelle il n'est pas destiné, sans que soit utilisé des moyens déloyaux ; qu'en l'espèce, non seulement, il n'est pas établi que Melle B. ait bloqué l'accès à son profil et donc à son « mur » au moment des faits litigieux, mais surtout, si Monsieur A. voulait envoyer un message privé non accessible à d'autres personnes que le destinataire ou quelques amis choisis, il pouvait utiliser la boîte mail individuelle de Facebook, ce qu'il n'a pas fait ; qu'il n'y a donc pas de violation de la correspondance privée"Ainsi, pour les juges, la publication d'un message sur le mur d'un ami pourrait ne pas relever d'une correspondance privée. En effet, les juges écartent cette qualification dès lors que l'ami titulaire du mur peut 1) ne pas avoir protégé son profil ou 2) avoir plusieurs centaines de contacts lecteurs dudit mur.
L'absence de qualification en correspondance pour un message diffusé sur un espace non protégé peut se comprendre. Il y a alors publicité.
En ce qui concerne, la diffusion du message sur le mur d'un ami, un débat pourrait avoir lieu. Mais une question doit alors se poser. La correspondance privée se définit classiquement comme un message diffusé par une personne identifiée à une autre personne identifiée ou diffusé dans le cadre d'une communauté d'intérêt, c'est à dire un groupe de personnes qui ont été choisies.
Maintenant reprenons l'histoire : le journaliste a écrit sur le mur d'une de ses collègues. Sa collègue appartient bien à la communauté d'intérêt du journaliste. Mais que dire des amis de sa collègue ? Quel lien peut il être démontré entre le journaliste et les amis de sa collègue. Certes, ces fameux amis appartiennent à la communauté d'intérêt de la collègue, mais en aucun cas - et par automatisme - à celle du journaliste. Et donc, donc on pourrait en déduire que la diffusion d'un message sur le mur de quelqu'un d'autre, dès lors que l'on ne contrôle pas le groupe de personnes qui y aurait alors accès, a de fortes chances d'être qualifié non pas de correspondance privée mais bien de correspondance publique.
Sur le fond de l'affaire, la sanction du journaliste a été annulée par la Cour d'appel. En effet, elle a considéré que :
"il apparaît clairement que dans le message, aucun nom n'a été indiqué par Monsieur A. et que le terme « chef » ne s'apparente pas systématiquement à la relation professionnelle ; que l'employeur lui-même hésite entre un collègue ou un membre de la direction ; qu'il existe en tout état de cause une ambiguïté sur la personne visée et aucun autre propos non contenu dans l'avertissement ne peut être utilisé par l'employeur ; que les faits reprochés ne constituent pas un manquement susceptible d'être sanctionné"En résumé, et comme le dit la formule, "tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous".
Source : CA Reims, 09/06/2010, SAS L'EST ECLAIR c/ A. (inédit)
1 commentaire:
Bonjour, merci pour ce billet très intéressant.
Je trouve toutefois que le titre, quoique exact, est assez trompeur sur les enseignements du jugement de la cour d'appel de Reims.
La sanction a certes été annulée, mais les attendus ont plutôt l'air d'aller dans le sens d'une publicité des propos tenus sur le mur d'un tiers, non ?
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