jeudi 6 juillet 2006

La protection des mineurs sur l'internet au menu du projet de loi prévention de la délinquance

Le souhait est simple comme l'indique l'exposé des motifs du projet de loi : "la protection des mineurs ne doit pas être en reste. Ils constituent une proie économique qui peut être facilement abusée par une surenchère dans la violence, la pornographie ou la provocation à la haine de l’autre. C’est pourquoi la lutte contre les représentations et messages violents ou pornographiques est modernisée".

En effet, le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance présenté en Conseil des ministres le 28 juin 2006 et déposé devant le Sénat souhaite modifier, en son article 17, certaines dispositions qui auront nécessairement des répercussions en ligne.

La première modification tend à la création d'une nouvelle incrimination. Ainsi le texte souhaite ajouter un article 227-22-1 au Code pénal destiné à puni de 2 ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende, "le fait pour un majeur de faire des propositions sexuelles à un mineur de quinze ans ou à une personne se présentant comme telle en utilisant un moyen de communication électronique". Les peines sont portées à 5 ans d'emprisonnement et à 75.000 euros d'amende lorsque les "propositions ont été suivies d'une rencontre".

Cette nouvelle incrimination repose sur une lacune de notre droit pénal comme l'indiquait le Forum des droits sur l'internet dans une recommandation du 25 janvier 2005 :

Le droit pénal français incrimine plusieurs comportements dont peut être victime un mineur : l'atteinte sexuelle "sans contrainte, menace, ni surprise", l'agression sexuelle ou le viol et leurs tentatives, qui supposent que l'acte délictueux soit consommé ou que soit constaté un commencement d'exécution. La chambre criminelle de la cour de cassation adopte une conception constante du commencement d'exécution qui doit associer une intention irrévocable et un lien de causalité suffisamment étroit et direct entre le comportement et l'infraction consommée ("des actes qui tendent directement au crime avec intention de la commettre", "des actes qui tendent directement et immédiatement à la réalisation du délit", ou encore "des actes devant avoir pour conséquence directe et immédiate de consommer le crime, celui-ci étant ainsi entré dans la période d'exécution"). L'internet peut servir à préparer ces infractions, la mise en relation d'adultes déterminés à commettre une atteinte ou une agression sexuelle à l'encontre de mineurs étant notamment possible sur les espaces interactifs de communication électronique comme en d'autres lieux.

Il n'existe pas, en droit français, d'infraction décrivant spécifiquement le fait, pour un adulte, de rechercher les faveurs sexuelles de mineurs, en ligne ou hors ligne, ou le fait de rencontrer un mineur dans l'intention de commettre une atteinte ou une agression sexuelle ou un viol. Certains membres des forces de police et associations de protection des droits des enfants déplorent cette situation, et souhaitent la création d'une infraction pénale spécifique au fait, pour un adulte, de rechercher sur l'internet les faveurs sexuelles d'un mineur. Ces acteurs considèrent qu'une telle incrimination nouvelle serait seule capable de permettre la répression de certaines prises de contact avant que ne soit effective une agression physique, et de renforcer les moyens de dissuader des adultes mal intentionnés d'entreprendre de telles démarches. Si l'on conçoit aisément l'intérêt d'un tel dispositif en termes, notamment, de dissuasion, ce dernier n'en paraît pas moins contraire aux principes de droit pénal qui excluent que l'on puisse incriminer une simple intention.

Le Forum des droits sur l'internet recommande aux ministères de la Justice et de l'Intérieur d'examiner et de provoquer un débat sur l'opportunité de créer ou non une nouvelle incrimination pénale punissant le fait, pour un adulte, d'émettre des propositions à caractère sexuel à destination de mineurs, ou de chercher à rencontrer un mineur auquel il aurait adressé des propositions à caractère sexuel.


Parallèlement à cette nouvelle incrimination, le projet de loi souhaite modifier le Code de procédure pénale afin de permettre les "infiltrations numériques". Ainsi, il s'agit de créer un article 60-2 prévoyant que :

Dans le but de constater les infractions mentionnées aux articles 227-18 à 227-24 du code pénal et, lorsque celles ci sont commises par un moyen de communication électronique, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs, les officiers ou agents de police judiciaire spécialement habilités par le procureur général près la cour d'appel de Paris et affectés dans un service spécialisé peuvent, sans être pénalement responsables de ces actes :

« 1° Participer sous un nom d'emprunt aux échanges électroniques ;

« 2° Etre en contact par ce moyen avec les personnes susceptibles d'être les auteurs de ces infractions ;

« 3° Extraire et conserver des contenus illicites dans des conditions fixées par décret.

« A peine de nullité, ces actes ne peuvent constituer une incitation à commettre ces infractions


Cette modification était également analysée dans le rapport précité du FDI :

Les faits de détention, de recel ou de diffusion de pédo-pornographie ne figurent pas au nombre des infractions citées par l'article 706-73 du Code de procédure pénale, qui établit la liste des incriminations auxquelles sont applicables les procédures spéciales décrites par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Ces procédures particulières, relatives notamment à l'infiltration (art. 706-81 du CPP), aux perquisitions (art. 706-89 et suivants du CPP) et à l'interception de correspondances émises par la voie des communications (art. 706-96 du CPP), ne sont donc pas applicables aux enquêtes sur les échanges en ligne d'images pédo-pornographiques. Le Garde des Sceaux avait pourtant indiqué à plusieurs reprises, au cours des débats parlementaires qui ont préparé le vote de la loi, que "la criminalité organisée (…), ce sont les enlèvements, les trafics de stupéfiants, le terrorisme, la traite des êtres humains, les meurtres en bande organisée, les braquages en bande organisée, le proxénétisme aggravé, la pédo-pornographie par Internet."

Certains représentants des autorités répressives souhaitent que les procédures spéciales prévues par la loi du 9 mars 2004 soient élargies à la recherche des auteurs de faits de diffusion d'images pédo-pornographiques, permettant ainsi aux enquêteurs de recourir, dans un cadre proprement défini par la loi, à l'emploi d'identités d'emprunt ou fictives, et de procéder légitimement à la recherche proactive de contenus illicites, à l'exclusion de toute démarche de provocation. Cette évolution maîtrisée des moyens procéduraux des services de police permettrait également d'encadrer l'utilisation par les enquêteurs de moyens de paiement, lorsqu'ils sont requis à l'entrée d'un site ou d'un service en ligne, pour vérifier une infraction.

L'élargissement des moyens de procédure prévus par la loi du 9 mars 2004 ne peut toutefois être envisagé sans étude spécifique des conséquences de l'extension éventuelle de ces moyens à la recherche des auteurs de faits de diffusion d'images pédo-pornographiques, particulièrement en matière de sauvegarde des libertés publiques. Un dispositif alternatif à l'extension des moyens de procédures prévus par la loi du 9 mars 2004 pourrait ainsi être imaginé pour répondre aux principales demandes des enquêteurs.

Le Forum recommande également aux pouvoirs publics d'examiner l'opportunité d'élargir certaines des dispositions de la loi du 9 mars 2004, comme l'infiltration, aux enquêtes portant sur la diffusion de matériels pédo-pornographiques sur l'internet. Les pouvoirs publics pourraient également choisir de privilégier un dispositif alternatif permettant aux agents des forces de l'ordre de rechercher ces infractions sous le couvert d'une identité d'emprunt ou fictive, et de les constater sur des serveurs auxquels l'accès est conditionné par l'utilisation d'un moyen de paiement. Ces opérations devraient être réalisées sous le contrôle de l'autorité judiciaire.


Enfin, la dernière modification est elle plus profonde. Elle concerne l'évolution de la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles. Plusieurs articles (32 à 39) prévoient à ce jour tout une disposition encadrant la commercialisation de jeux vidéos ou de vidéos. Le projet de loi souhaite modifier profondément le mécanisme en actant plusieurs éléments.

Tout d'abord, le texte souhaite poser le principe de l'interdiction de vente à des mineurs de vidéocassette, vidéodisque ou jeu électronique qui leur sont interdits. Toute contravention (outre de relever de l'article 227-24 du Code pénal) sera condamnée à hauteur d'un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende :

Lorsqu’un document fixé soit sur support magnétique, soit sur support numérique à lecture optique, soit sur support semi-conducteur, tel que vidéocassette, vidéodisque ou jeu électronique présente un danger pour la jeunesse en raison de son caractère pornographique, ce document doit comporter, sur chaque unité de conditionnement, de façon visible, lisible et inaltérable, la mention « mise à disposition des mineurs interdite (article 227-24 du code pénal) ». Cette mention emporte interdiction de proposer, donner, louer ou vendre le produit en cause aux mineurs.


En outre, le projet de loi entérine le principe d'une classification thématique de ces vidéocassette, vidéodisque ou jeu électronique (sauf les reproductions d'oeuvres cinématographiques ayant obtenu un visa d'exploitation en salles) que devra assumer l'éditeur du jeu ou, à défaut, le distributeur :

Tout document répondant aux caractéristiques techniques citées au premier alinéa doit faire l’objet d’une signalétique spécifique au regard du risque qu’il peut présenter pour la jeunesse en raison de la place faite au crime, à la violence, à la discrimination ou à la haine raciales, à l’incitation à l’usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants. Cette signalétique, dont les caractéristiques sont fixées par l’autorité administrative, est destinée à en limiter la mise à disposition à certaines catégories de mineurs, en fonction de leur âge.

La mise en œuvre de l’obligation fixée aux précédents alinéas incombe à l’éditeur ou, à défaut, au distributeur chargé de la diffusion en France du document.


A défaut d'opérer une telle classification pour les "documents offerts au public après la publication" de la loi (comme le précise l'article 48 du projet de loi), les éditeurs ou distributeurs pourront s'exposer à des sanctions pénales. Pour mémoire, il existe d'ores et déjà des logiques de classification volontaire des jeux vidéo. Telle est le cas de l'initiative paneuropéenne PEGI.

A noter que le projet de loi prévoit également la possibilité pour l'autorité administrative d'interdire "de proposer, de donner, de louer ou de vendre à des mineurs" certaines de ces produits voir d'interdire d'en faite de la publicité.

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