mardi 12 janvier 2016

Un usage immodéré d'internet à des fins personnelles justifie le licenciement. Encore faut-il le prouver

Voici 14 ans, et avec son célèbre arrêt Nikon, la Cour de cassation marquait la frontière entre ce qui relevait de la vie privée et de la vie professionnelle dans l'usage des outils informatiques mis à la disposition des salariés par leurs employeurs.

Depuis, le contrôle de l'activité des salariés et son corollaire, la consultation de sites internet "non professionnels" par des salariés, sont devenus une cause régulièrement utilisée par l'employeur pour engager une procédure disciplinaire, voire un licenciement.

Au fil du temps, la jurisprudence a construit une approche cohérente. En 2008, la Cour de cassation rappelait que "les connexions établies par un salarié sur des sites internet pendant son temps de travail grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumées avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur peut les rechercher aux fins de les identifier, hors de sa présence".

Plusieurs débats ont alors émergé. Tout d'abord, celui de savoir si la consultation de sites internet "non professionnels" se fait dans une limite non acceptable - la jurisprudence reconnaissant la possibilité d'une consultation "raisonnable" de sites non professionnels.

Ensuite, celui de savoir si la surveillance du salarié par l'employeur - ce que permet le pouvoir de direction de l'employeur - s'est faite de manière légale (information préalable, respect de la loi informatique et libertés, etc.).

Enfin, celui de l'imputabilité des faits. Dès lors que l'employeur estime qu'un volume important de connexions personnelles a été enregistré sur un poste informatique, encore faut-il démontrer que le salarié visé en est bien à l'origine. Il faut rappeler qu'en la matière, il revient toujours à l'employeur d'apporter la preuve des faits qui sont reprochés à un salarié.

Quelques exemples récents viennent illustrer cette jurisprudence.

Tout d'abord, un employeur avait licencié une salariée au motif que "une très grande partie de votre temps de travail sur les trois derniers mois a été consacrée à la consultation de divers sites internet non professionnels. Ce comportement est également fautif et dénote un manque de loyauté total vis à vis de l'entreprise. Nous en avons le témoignage et quelques preuves".

Les juges confirment l'analyse de l'employeur en estimant que:
"le rapport d'activité des connexions internet de [la salariée] pendant la période de juillet 2013 à octobre 2013 [montre des] consultations pouvant occuper jusqu'à 20% du temps de travail de la salariée; que la salariée dénonce vainement 'un grossier montage informatique ' alors que ces résultats portent sur les connexions opérées sur l'ordinateur professionnel de la salariée pendant son temps de travail".
Les juges considèrent que cette consommation excessive de sites personnels constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement - sans pour autant y voir une faute grave.

Une autre affaire concernait un employeur qui reprochait à un salarié d'avoir utilisé un ordinateur de l'entreprise aux fins de se connecter à des sites pornographiques, des faits contestés par ce salarié "qui affirme que de nombreux salariés avaient accès au poste informatique et que l'employeur n'établit pas qu'il ait été l'auteur de ces connexions".

Pour démontrer les faits, "l'employeur verse aux débats un relevé des connexions internet effectuées à partir dudit ordinateur mentionnant la consultation de sites pornographiques ainsi que l'emploi du temps du salarié mettant en évidence sa présence au sein de l'entreprise lors de ces connexions".

Néanmoins et comme le rappellent les magistrats:
"il ne résulte pas des éléments versés aux débats que [le salarié] ait été le seul salarié à avoir accès au poste informatique et qu'il ait bien été présent devant l'ordinateur lors des créneaux horaires concernés. En effet, il résulte des éléments produits en cause d'appel que le local contenant le poste informatique était accessible à plusieurs salariés pour leur permettre d'effectuer leurs commandes, que chaque salarié devait obtenir la clé dudit local en signant au préalable un registre auprès de l'agent de sécurité ; que le registre n'étant pas produit aux débats, il n'est pas possible de déterminer avec certitude que le salarié ait été le seul à avoir accès au local lors des connexions internet susvisées et, ce, d'autant qu'il ressort de la lecture du listing de connexions qu'un nombre important de sites non professionnels était visité à partir de ce poste informatique". 

Dans ces conditions, les juges ont estimé que les preuves fournies "ne permettent pas de tenir les faits reprochés au salarié comme établis avec certitude, en sorte que, le doute devant profiter au salarié comme prévu à l'article L.1235-1 du code du travail, l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement et a fortiori d'une faute grave doit être écartée".

Autre et dernier exemple, un employeur avait licencié son salarié pour un usage abusif de sa connexion internet. Dans la lettre de licenciement, il mettait notamment en avant plusieurs listings internet avec la mention des heures de consultation des sites internet. Par exemple, l'employeur relevait des connexions régulières sur Booking, Voyages SNCF, Venere, Best Western, Tripadvisor, Expedia, Yves Rocher, Leroy Merlin, etc.

Pour sa défense, le salarié alléguait qu'il n'est pas démontré que ce soit lui l'auteur de la consultation sur tous les sites relevés. Mais les juges rejettent l'argument estimant, "qu'outre le fait que [le salarié] reconnaît implicitement qu'il visite ces sites dans ses courriers en indiquant 'mon contrat ne stipule pas un article m'interdisant de surfer sur internet entre 12h et 14h, [plusieurs témoins] confirment que chaque salarié disposait d'un ordinateur avec un accès internet pour chacun d'eux, utiliser leur propre PC et n'avoir jamais utilisé celui [du salarié]".

Sources:
CA Douai, 27 novembre 2015, n° 14/04368
CA Amiens, 2 décembre 2015, n° 14/01023
CA Versailles, 7 janvier 2016, n° 13/04949

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