mercredi 13 janvier 2016

Louer son logement de manière régulière sur Airbnb n'est pas sans risque juridique

Récemment, la presse se faisait l’écho de la décision de la Mairie de Paris de lancer une opération “coup de poing” contre les locations abusives d’appartements meublés au sein de la capitale. Dans la ligne de mire, le site Airbnb et le fait que de très nombreux logements sont offerts par des particuliers sur ce site.

Si rien n’interdit à un particulier, de manière occasionnelle, d’accueillir à son domicile - moyennant finances - des individus, il en va tout autrement lorsque cette activité devient professionnelle. Cela soulève des questions de nature fiscale - mais éloignons nous de cette matière pour le moment. On retrouve surtout le débat, récemment évoqué, du seuil de qualification d’un internaute en “professionnel” et de l'impact juridique de cette qualification.

Aux termes de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l'habitation  - applicable dans les communes de plus de 200.000 habitants - , "constituent des locaux destinés à l'habitation toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les logements-foyers, logements de gardien, chambres de service, logements de fonction, logements inclus dans un bail commercial, locaux meublés donnés en location dans les conditions de l'article L. 632-1”.

Le même article ajoute que “Le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile constitue un changement d'usage au sens du présent article". On retrouve ici les critères du professionnalisme : régularité de l’acte de commerce, à savoir une location régulière du bien immobilier “à une clientèle” de passage.

Louer régulièrement son appartement sur Airbnb peut fâcher l’Etat


La première conséquence de cela est de nature pénale. En effet, "Toute personne qui enfreint les dispositions de l'article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende de 25.000 euros”. Oui, 25.000 euros. Et là, je sens que j’ai capté votre attention, non ?

Après, comme on le dit régulièrement, il y a la règle de droit et sa mise en oeuvre. Mais, en l’espèce, elle est mise en oeuvre. Prenons cette ordonnance de référé du Tribunal de grande instance de Paris en date du 21 septembre 2015.

En l'espèce, un agent assermenté du “Bureau de la Protection des Locaux d’Habitation” (BPLH) de la ville de Paris a constaté qu’un logement (situé dans le 3e arrondissement à Paris) était régulièrement proposé à la location sur le site Airbnb. Les propriétaires expliquent qu’ils résident en Anjour, qu’ils ont acheté l’appartement en question comme pied à terre et qu’ils en ont “profité pour louer l’appartement temporairement sur le site Airbnb essentiellement de janvier à mars 2015”. De son côté, le rapport du BPLH relevait que l’appartement avait fait l’objet de locations de courte durée à plusieurs reprises à partir du mois d’octobre 2014.

Sur la base de cette régularité dans la location meublée, les juges ont considéré que les propriétaires avaient fait un “changement d’usage” de cette immeuble - sans respecter les règles applicables. Et qu’en conséquence, la sanction prévue à l’article L. 652-1 du Code de la construction et de l’urbanisme était applicable.

Alors que le Ministère public demandait une amende de 14.000 euros, les juges décidèrent, “au vu des tarifs demandés pour la location de l’appartement”, de fixer l’amende à la somme de 2500 euros. Les propriétaires ayant, en outre, apporté la preuve d’une location de longue durée du bien immobilier, ils échappent à toute astreinte.

Au-delà de la sanction pécuniaire, proposer régulièrement son bien immobilier sur Airbnb peut aussi créer quelques tensions avec son syndic de copropriété.

Louer régulièrement son bien sur Airbnb peut fâcher son syndic


Premier example. Un propriétaire avait donné en location son appartement situé dans le 15e arrondissement. Seulement, sa propre locataire avait décidé à compter du mois de novembre 2012 de proposer à la location, via AirBnb, l’appartement en question et ceci pour des périodes de courte durées à des touristes français et étrangers. En octobre 2014, le syndicat de copropriétaires - excédé par la nuisance provoquée par les allers et venues des touristes - décida de saisir la justice à l’encontre du propriétaire du bien et de sa locataire.

Tout d’abord, les juges reprennent la doxa interne de l’immeuble, à savoir le règlement de copropriété qui dispose que “L'immeuble est destiné à l'habitation. L'exercice des professions libérales est admis à condition qu'il n'en résulte pas des allées et venues de personnes étrangères à la résidence dépassant en moyenne celles résultant d'une utilisation bourgeoise et familiale de l'appartement. En tout état de cause, toute réception de clientèle est interdite entre 20 heures et avant 9 heures".

Les juges relèvent ainsi qu’il “résulte de ces dispositions, claires et insusceptibles de dénaturation, que la destination de l'appartement [du propriétaire] est l'habitation et que le règlement de copropriété n'autorise pas une exploitation commerciale des lieux”.

Deuxième temps du raisonnement: la locataire a-t-il fait une exploitation commerciale des lieux ? Sur la base - notamment d’un constat d’huissier, il apparait les éléments suivants:

  1. le locataire est inscrit sur le site Airbnb depuis le mois de novembre 2012
  2. Il propose de façon régulière à la location via ce site, l'appartement pour des périodes de courte durée à des touristes français ou étrangers tout au long de l'année et sans que l'appartement soit utilisé à d'autres fins, selon les extraits du site internet Airbnb versés aux débats.
  3. Le constat d’huissier réalisé dans l’appartement à la demande du syndic démontre  (i) qu'il n'y a aucun document personnel établi au nom du locataire en titre dans l'appartement, (ii) que la salle de bain est rangée et équipée de façon hôtelière, sans aucun nécessaire de toilette ou objet personnel, (iii) que la chambre dispose d'une commande, laquelle est totalement vides, (iv) qu'un jeu de clés est posé sur la table de la salle à manger, équipée d'un téléviseur sur lequel une étiquette est apposée "Wifi free box X", (v) que de nombreux guides et documents touristiques sont déposés ostentatoirement sur les quelques meubles et (vi) qu'aucun document à caractère personnel n'a été trouvé dans l'appartement.

Il apparaît donc clairement que le logement a changé de destination. Les juges ajoutent alors:
Or, un logement donné en location touristique n'est plus considéré comme affecté à l'habitation lorsqu'il est donné en location pour des durées inférieures à une année à des touristes de passage, ce qui entraîne un changement d'usage selon le code de la construction et de l'habitation, au sens de l'article L. 631-7 précité : une telle location est irrégulière et illicite si elle n'a pas été autorisée préalablement par l'autorité préfectorale. Les dispositions d'ordre public de ce texte peuvent être invoquées par toute personne y ayant intérêt, y compris le syndicat des copropriétaires. [Le propriétaire] ne justifiant pas avoir demandé ni obtenu une autorisation préfectorale pour louer en meublé touristique de courte durée son appartement destiné à l'habitation, laisse donc une activité illicite se dérouler dans son appartement, alors même qu'aucune utilisation commerciale des lieux n'est permise par le règlement de copropriété”.
Outre le propriétaire, les juges sermonnent également la locataire du bien:
“il y a lieu de rappeler, d'une part, qu'elle exerce une activité illicite dans la mesure où l'appartement est à vocation d'habitation sans qu'une autorisation de l'autorité préfectorale ait été sollicitée ou obtenue et, d'autre part, que cette activité est effectuée en contravention au règlement de copropriété qui s'impose au locataire, alors que le syndicat des copropriétaires dispose d'une action directe à l'encontre du locataire en cas de violation du règlement de copropriété”.
En conséquence, le Tribunal ordonne au propriétaire “de faire cesser l'activité "hôtelière" ou de location saisonnière de courte durée exercée par sa locataire”. Il ordonne également à la locataire “de cesser l'activité "hôtelière" ou de location saisonnière de courte durée qu'elle exerce” dans l’appartement et ceci sous astreinte de 100 euros par jour. Elle est aussi condamnée à verser 2000 euros au syndic de copropriétaires pour l’indemniser des frais d’avocats.

Autre example à propos d’un logement situé dans le 19e arrondissement de Paris. Ici, le propriétaire proposait directement à la location son immeuble sur Airbnb. Comme précédemment, le Tribunal s’appuie tout d’abord sur le règlement de copropriété qui dispose que les locaux de l'immeuble “devront être occupés bourgeoisement (...). Aucun commerce, aucune industrie, aucune profession ne pourront être exercés dans l'immeuble. (...) Les copropriétaires devront veiller à ce que la tranquillité de l'immeuble ne soit à aucun moment troublée par leur fait, celui des personnes de leur famille, de leurs invités, de leur client ou des gens à leur service”.

Le propriétaire a reconnu louer de manière régulièrement son appartement à des touristes par l’intermédiaire du site Airbnb. En outre, “il ne conteste pas les nuisances invoquées par le syndicat des copropriétaires, qui se plaignent d'allers et venues incessants, dont attestent la concierge de l'immeuble et deux occupants”.

Se basant sur l’analyse précédente, le Tribunal ordonne donc au propriétaire de cesser son “activité de location de courte durée de son appartement comme meublé touristique et ceci sous astreinte de 300 euros par infraction constatée. Il est également condamné à verser 800 euros de frais de justice à son syndic.

Ainsi donc, et au-delà de la question de l'assujettissement de l’utilisateur Airbnb à un certain nombre d’obligations fiscales et sociales, on se rend compte que pratiquer régulièrement l’activité de location de son bien meublé pour de courtes durées peut avoir d’autres lourdes conséquences.

Dans les grandes agglomérations, il ne sera possible de transformer son bien en “meublé touristique” qu’après l’obtention d’une autorisation administrative. A défaut, le propriétaire s’expose à une amende maximale de 25.000 euros.

En complément du risque d’amende, le syndicat de copropriété sera aussi en mesure de forcer le propriétaire de respecter la lettre du règlement de copropriété et ainsi de stopper ses activités (ou de faire cesser les activités de son propre locataire).

Sources:
TGI Paris, référé, 21 septembre 2015, n° 15/57364
TGI Paris, référé, 16 juin 2015, n° 14/60303
TGI Paris, référé, 12 août 2015, n° 15/56027

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