lundi 18 janvier 2016

Les plates-formes collaboratives, leurs revenus et la prestation compensatoire en cas de divorce

Quand l'économie collaborative s'immisce dans chaque couche du droit. Aujourd'hui, le droit de la famille ou plus exactement, le "droit du divorce". Aux termes de l'article 270 du Code civil, "le divorce met fin au devoir de secours entre époux".

Une des conséquences du divorce est le versement par l'un des époux d'une prestation "destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives". Il s'agit de la fameuse prestation compensatoire.

Cette prestation est destinée à compenser la perte de revenus qu'un des époux pourrait avoir du seul fait du prononcé du divorce - somme qui peut alors se cumuler avec une pension alimentaire versée par l'un des époux à l'autre pour l'entretien des enfants.

L'article 271 du Code civil prévoit une liste d'éléments et de critères que le juge est amené à prendre en considération pour fixer le montant de cette prestation compensatoire comme par exemple "le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu".

Qu'en est-il des revenus tirés de l'utilisation, par un des anciens époux, d'une plate-forme collaborative comme Airbnb ou BlaBlaCar?

La Cour d'appel d'Aix-en-Provence s'est penchée sur la question de revenus locatifs générés par l'entremise du site Airbnb. Lors des débats sur la fixation du montant de la prestation compensatoire, l'ex-épouse indiquait qu'elle ne disposait d'aucun revenu.

Néanmoins, les juges relèvent
"Toutefois, à la suite du constat d'huissier établi le 24 mai 2013, à l'initiative de [l'ancien époux] ainsi que des constats d'huissier établis les 27 octobre 2014 et 7 avril 2015, il est démontré que celle-ci a perçu des revenus locatifs en sous louant l'appartement qu'elle occupe, notamment via le site Airbnb pour un montant journalier allant de 280 à 460 euros. 
Celle-ci reconnaît, dans ses écritures, avoir loué des chambres soit à des étudiants, soit dans le cadre d'une activité de chambres d'hôtes ; elle précise avoir perçu pour la location estudiantine un revenu de 1200 euros pour l'année 2011, 1900 euros pour l'année 2012, 3 800 euros pour l'année 2013, 1900 euros pour l'année 2014. S'agissant de son activité de chambres d'hôte, elle indique un chiffre d'affaire s de 354 euros pour l'année 2012, 25 055 euros pour l'année 2013, (soit un bénéfice de 7516 euros), un bénéfice de 13 366 euros pour l'année 2014"
Sur la base de ces éléments, les juges considèrent que "même si l'épouse perçoit des revenus locatifs dont elle ne justifie pas le montant, il est établi l'existence d'une disparité découlant de la rupture du mariage à son détriment".

Est-ce à dire que les revenus tirés d'Airbnb ont été pris en compte pour le calcul de la prestation compensatoire attribuée à l'ex-épouse ? La mention précise des revenus générés ne fait pas de doute que le juge a pris en compte ces derniers dans la détermination des revenus perçus par l'ex-épouse et ainsi déterminer si cela pouvait être de nature à réévaluer le montant de la prestation compensatoire.

Même approche pour des revenus tirés de l'usage de BlaBlaCar par l'ancienne épouse. Lors de l'examen des ressources des deux époux, les juges ont eu l'occasion de se pencher sur le cas de revenus provenant du covoiturage. En l'espèce, ils relèvent :
Si les relevés de compte bancaire afférents à la période du 1er décembre 2014 au 16 juin 2015 font constater qu'à cette époque [l'ex-épouse] appartenait au réseau «BlaBlaCar» les sommes versées en contrepartie d'un service de co-voiturage restent modiques et irrégulières.
Les juges considèrent que ces sommes - en raison de leur montant et de leur irrégularité - n'avaient pas à être prises en compte comme un revenu au sens de l'article 271 du Code civil et ainsi ont été écartées lors l'appréciation du déséquilibre causé par la fin du mariage.

Si les sommes tirées de l'usage d'une plate-forme collaborative demeurent encore faibles, il ne fait pas de doute que les juges tiendront compte de ces revenus complémentaires - dès lors qu'ils quittent le domaine du modique et s'inscrivent dans la durée et la régularité - pour l'appréciation du patrimoine des époux.

Sources:
CA Aix-en-Provence, 27 octobre 2015, n° 14/22596
CA Douai, 5 novembre 2015, n° 14/05295



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