dimanche 21 août 2011

Pourquoi certains veulent en finir avec l'internet illimité ?

L'information a été divulguée (on peut le dire) avec fracas en un vendredi trop calme. Le site Owni.fr dévoilait un document de travail de la Fédération française des télécommunications et communications électroniques (FFTCE) relatif à l'amélioration de l'information et de la transparence vis-à-vis du consommateur. Ce document avait pour but de répondre à la difficulté que l'on rencontre aujourd'hui d'une commercialisation d'offres internet mobile "illimitées" qui dans les faits font l'objet de diverses restrictions et/ou limitations aux fins de gérer la congestion des réseaux.

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Source : empanada_paris sur flickr (CC)

Mais l'article d'Owni.fr se focalise sur un point particulier de ce document. La dernière page. Dans le domaine du droit (et plus généralement des affaires réglementaires), nous avons tous les mêmes réflexes : passer à la loupe les notes de bas de page et les annexes. Car c'est souvent dans ces parties là que les choses les plus croustillantes ou intéressantes, les pépites peuvent apparaître.

En fait cette dernière page donne une lecture qui entre les lignes n'est pas si neutre que ça : la fin de l'internet illimité, que ce soit sur le mobile (bon, cela est déjà le cas) mais aussi sur le fixe. La raison ? La saturation des réseaux.

L'institution d'un internet à deux vitesses n'est pas nouvelle. L'argument est apparu à plusieurs reprises dans tous les débats autour de la neutralité de l'internet. Quel lien ici ? Finalement, l'internet est un réseau avec ses interdépendances et tous les sujets liés à l'internet sont dépendants les uns des autres. On va essayer de décrypter ensemble au moins une partie de la pelote que l'on a réussi à constituer en France ? C'est parti même si, au regard de la nature technique de la problématique, il sera difficile d'entrer dans tous les détails.

La saturation des réseaux ? Info ou intox

Actuellement, une grande partie des observateurs s'accorde sur une chose : la saturation des réseaux mobiles semble être une réalité en France. Avec le développement des smartphones, des clés 3G, des tablettes tactiles, etc., le nombre de connexion "data" (et non plus voix) sur les réseaux mobiles tend à augmenter progressivement.

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Source : Steve Rhode sur Flickr (cc)

Même si les opérateurs ont vendu des offres illimités pour l'internet mobile, ceux-ci ont quasiment tous institués des systèmes de réduction du débit afin de pouvoir gérer la congestion de ses réseaux. Ainsi, qui n'a pas reçu - par exemple après avoir téléchargé quelques fichiers musicaux sur son téléphone - un SMS de son opérateur expliquant que le quota avait été dépassé et que le débit serait donc réduit jusqu'à la prochaine facture.

Cette acceptation, de fait, d'une part de la congestion du réseau mobile et, d'autre part, du besoin de l'opérateur de gérer cette congestion fait que le débat se focalise aujourd'hui sur le terrain juridico-marketing : peut-on encore appeler les offres Internet Mobile des offres "illimitées" ? Les opérateurs le demandent (comme il est possible de le lire dans le document divulgué par Owni). Les associations de consommateurs sont plus réticentes à l'usage du terme "illimité" voire du terme "Internet" qui en lui même laisserait entendre un accès à l'ensemble des services et protocole offerts par le réseau mondial.

Ainsi, si demain des opérateurs mobiles décident de bloquer certains usages (peer-to-peer, voix sur IP, vidéo, etc.) sur leurs offres, pourra-t-on encore appeler cela de l'internet ?

Qu'en est-il de l'internet fixe ? Ou plutôt, celui que vous recevez à votre domicile (même par le Wi-fi). Oui, cet internet qui passe par votre prise téléphonique. La saturation existe-t-elle ou pas ? A cette question, deux réponses.

La première est apportée par les opérateurs eux-mêmes. Et elle est positive. Il y a saturation du réseau et en conséquence, on est obligé de modifier profondément les abonnements existants. Selon le représentant de la FFTCE, on a même des "net goinfres" : "5% d’internautes mobilisent par leurs excès 80% de la bande passante. Il faut rendre les gens responsables afin que chacun ait un accès égal à Internet".

Mais contrairement aux réseaux mobiles, l'argument ici ne convainc pas tous les observateurs. Nombreux sont ceux à penser que le réseau ne connaît aucune saturation et qu'au contraire avec le développement des systèmes de "délestement" (comme les CDN pour "content delivery network") ou les accords qui peuvent être conclus entre les opérateurs et fournisseurs de contenus (accords dits de peering ou de transit), le réseau actuel serait capable de supporter la charge. Problème, aucune étude ou analyse n'est à ce jour disponible.

Et donc le débat se focalise entre les deux camps. Les uns contestant les arguments des autres.

De là, commence un autre enjeu : les intérêts de chaque acteur et notamment, comment on est capable de les concilier ou du moins de convaincre certains de pencher dans un sens ou dans un autre ? A ce stade, on ne peut donner qu'un rapide aperçu.

Feux, contre feux, arguments, contre-arguments

Côté opérateurs, quels sont les enjeux ? Ils ont aujourd'hui plusieurs éléments à gérer :

- gérer leur réseau, l'évolution des modes de consommation et surtout son accroissement par l'effet de l'augmentation du nombre d'internautes et du développement de contenus attractifs (musiques, vidéos, films, etc.) ;

- développer de nouveaux réseaux et notamment la fibre et plus généralement toutes les technologies très haut débit. Sur ce point, ils ont plusieurs contraintes : une contrainte concurrentielle (voir les guerres qui ont lieu actuellement sur la question du fibrage des immeubles en copropriété) mais aussi une contrainte politique : le haut débit ou le très haut débit pour tous est devenu un enjeu politique et un argument politique, tous partis confondus. Problème, aux termes "pour tous", sont souvent associés les mots "pas trop cher". En clair, un accès à la fibre optique pour tous dans les grandes communes et si possible pas trop cher, c'est à dire à un prix équivalent à un accès haut débit. Or, l'équation économique devient difficile.

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Source : antifluor sur Flickr (cc)

Ainsi, face à ces pressions, les opérateurs se tournent dans un premier temps vers d'autres acteurs : les fournisseurs de contenus, ces grands acteurs internationaux (mais aussi nationaux) qui, pour caricaturer le discours à l'extrême, seraient des parasites, profitant du réseau pour en tirer des revenus sans reverser aucune contribution financière aux opérateurs.

Bon, la situation est simplifiée à l'extrême. Mais donc, les opérateurs se sont tournés vers les Google, Skype, Dailymotion, etc. et, aussi vers le monde politique, en expliquant : ces acteurs utilisent notre réseau, ce réseau payé par les contribuables (bon, et les consommateurs, mais des fois, cet argument disparaît. Pas grave). Donc, ces acteurs utilisent le réseau mais ne contribuent pas à son développement. Pire, certains ne paieraient aucun impôt sur les bénéfices réalisés sur le territoire français (et là, on comprend comment la taxe Google a dévié en une taxe sur l'usage des réseaux).

De son côté, les fournisseurs de contenus rappellent plusieurs choses. Déjà, ils payent de la bande passante, ils investissent dans l'achat de trafic au travers d'accords conclus avec les opérateurs ou par l'intermédiaire de CDN, ils investissent dans de la R&D afin d'améliorer la compression des images (et donc désaturer le réseau), etc.

L'équation économique ne serait donc pas aussi déséquilibrée.

Seulement, ces fournisseurs gagnent de l'argent grâce aux opérateurs ! C'est vrai, comme tout acteur de l'internet (bah vi, sans opérateur, pas d'internet, donc pas de boîte internet). Mais surtout, on peut rétorquer l'inverse. Sans ces fournisseurs de contenus, l'internet (et les offres haut débit) serait-il aussi attractif pour l'ensemble des consommateurs ? Dès lors que les opérateurs utilisent régulièrement les marques de ces fournisseurs de contenus dans leurs publicités, ne doit-on pas en déduire que ces fournisseurs leur permettent d'accroître leur clientèle. Et de là, finalement en réplique, le fournisseur de contenu en vient à s'interroger s'il ne faudrait pas que l'opérateur lui reverse une part de l'argent perçu sur l'abonnement.

En fait, ces débats se construisent au travers d'attaques et de contre-attaques. De feux et de contre-feux. Et au milieu, un acteur : le consommateur. On peut juste regretter qu'une seule association de consommateurs s'implique sur le sujet, à savoir UFC - Que Choisir.

Qui doit financer ? Le fournisseur de contenus ou le consommateur

Car naturellement, le sujet dévie vers le consommateur. Si l'opérateur n'est pas en mesure d'obtenir un financement complémentaire de la part des fournisseurs de contenus, si en parallèle il doit investir dans son réseau - et pour déployer, à la demande du monde politique, du très haut débit - et cela en conservant quelques marges financières (l'opérateur demeure une entreprise, en plus cotée en bourse), il ne lui reste qu'une chose à faire : demander au consommateur un petit coup de pouce.

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Source : Vaguely Artistic sur flickr (cc)

D'où l'idée d'avoir la création de cet internet à deux vitesses avec des mécanismes de paliers tarifaires associés soit à un niveau de débit, soit à un volume de données à consommer. Le gros consommateur, le "net goinfre" serait alors appelé à basculer vers les offres internet "tout inclus" ; les consommateurs classiques (madame Michu & co) paieraient le même prix qu'actuellement mais en contrepartie, ils verraient l'instauration de limitations.

UFC Que Choisir s'oppose à ce principe. D'une part car cela serait un retour en arrière considérable en matière d'offres offertes aux consommateurs. D'autre part, cela provoquerait sans nul doute une vraie problématique juridique : le consommateur qui a souscrit à une offre illimitée voici plusieurs mois et qui se retrouve du jour au lendemain avec des limitations. On se souvient notamment de la bataille judiciaire que l'association avait engagée à l'encontre d'AOL lorsque ce dernier, qui avait créé un forfait illimité, avait institué des systèmes de déconnexion toutes les 30 minutes.

En outre, un tel mécanisme serait un réel challenge en matière d'information du consommateur. Combien de services marketing d'opérateurs accepteront soit d'abandonner la référence au terme "illimité"soit de mentionner en caractères bien apparents les limitations associées à ces forfaits.

Et surtout dernier point, cela mettrait à mal un autre projet que l'association soutient avec tout le collectif Création Publique Internet : l'instauration d'une licence globale. De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'une certaine manière de légaliser le partage de contenus sur l'internet moyennant le paiement par le consommateur d'une "licence globale", c'est à dire d'une rémunération qui serait ensuite partagée entre l'ensemble des acteurs du monde culturel. Cette licence globale, qui apparaît dans le programme politique notamment du PS, se veut une autre réponse à la question du piratage. Sauf, que l'idée d'un internet à deux vitesses pourrait anéantir sa mise en oeuvre.

En effet, la contrepartie d'une licence globale est la possibilité offerte aux consommateurs d'accéder à toutes les oeuvres de tous les médias. Or, dès lors qu'on institue des forfaits avec des limitations volumétriques, la possibilité d'accéder aux oeuvres se trouve réduite. L'intérêt pour le consommateur de payer pour une licence globale s'en trouve aussi réduit. Sauf que le modèle de la licence globale repose sur une sorte de "mutualisation". En clair, pour ce mécanisme soit efficace et assure une juste rémunération, il est nécessaire que tous les internautes l'acquitte (d'où l'idée du collectif de l'ajouter sur la facture du fournisseur d'accès).

Ainsi, si un consommateur ne bénéficie pas d'un forfait lui permettant de bénéficier des bienfaits de la licence globale, pourquoi la paierait-il ? Et s'il la paye pas, le principe même de cette licence tombe de facto. 

De son côté l'association propose plutôt d'encadrer les relations tarifaires entre les opérateurs et les fournisseurs de contenus par l'intermédiaire d'une régulation du prix de l'interconnexion entre le réseau de l'opérateur et du fournisseur, prix qui serait orienté vers le coût des infrastructures. La fameuse terminaison d'appel data (TA data) qui figure parmi les propositions du rapport d'information de la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale sur la neutralité de l'internet (rapport de Laure de la Raudière et Corinne Erhel). Une idée qui finalement ne collecte pas l'assentiment des opérateurs et des fournisseurs de contenus qui souhaitent conserver leur liberté dans le cadre de leurs relations commerciales.

Côté internet à deux vitesses, les fournisseurs de contenus demeurent plutôt silencieux. Une des raisons est que la mesure ne les concerneraient pas. En effet, un opérateur pourrait réfléchir à deux fois avant d'interdire ou de restreindre l'accès de ses clients à des sites de partage de vidéos ou même à des sites permettant de faire du streaming audio ou vidéo. Mais sans doute que si l'idée se confirme que ces mêmes acteurs seront très attentifs aux seuils que fixeraient chaque opérateur afin de déterminer si cela permet d'inclure (ou non) la très grande masse de leurs utilisateurs.

Et donc si on essaye de synthétiser :
- les opérateurs souhaitent une participation financière de la part des fournisseurs de contenus pour le développement des infrastructures ;
- les fournisseurs de contenus ne souhaitent pas contribuer différemment que leur contribution actuelle ;
- les opérateurs allument donc des contre feux : taxe sur la consommation de bande passante (alors qu'ils savent que si ça passe, l'argent reviendra intégralement à l'Etat ...), création d'un internet à deux vitesses dans le but de voir réagir les consommateurs ;
- les consommateurs s'opposent à un internet à deux vitesses et proposent une régulation tarifaire des relations entre opérateurs et fournisseurs de contenus ;
- les opérateurs et fournisseurs de contenus ne veulent pas une régulation tarifaire et préfèrent conserver leur liberté de négociation commerciale.

Sans doute que l'internet à deux vitesses ne verra pas le jour. Les relations entre opérateurs et fournisseurs de contenus commencent à s'apaiser et des accords commerciaux - entre certains - se signent.

Il ne restera qu'un seul élément : la pression politique en faveur d'un développement du très haut débit partout en France à des prix abordables, mais sans le soutien financier nécessaire de l'Etat à ce développement. Clairement, et encore plus à une époque où l'on souhaite maîtriser les dépenses publiques, il faudra que l'Etat fasse un choix : soit prendre en charge le développement de ces nouveaux réseaux, soit laisser les acteurs et notamment les opérateurs décider de leur politique de déploiement (notamment de la fibre) et des tarifs associés quitte à ce que les mises en oeuvres soient éloignées de l'idéal politique.

Ainsi, le président du PRG réagissait contre l'idée d'un internet à deux vitesses en rappelant que "la France a pris un retard de plus en plus pénalisant dans le développement de la fibre optique". Certes, mais ça ne dit pas comment ce déploiement sera financé. Ni par qui.

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En complément :
- un article sur l'écosystème de l'internet français (et notamment tous les intervenants techniques) par @bitonio

- Selon Nicolas Rauline (Les Echos), Eric Besson (Ministre en charge de l'économie numérique) a rappelé que "Le gouvernement n'envisage aucune restriction de l'accès a Internet et travaille bien au contraire au développement du très haut débit"

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je vais ajouter du bois au feu ... cela concerne le déploiement de l'Internet haut débit (en général fibre) au même prix partout. Un logement (loyer ou achat) à Paris ou sa banlieue coute bien plus cher (facteur multiple) qu'à la campagne. Eh bien, il n'y a aucune raison de subventionner la fibre à la campagne - on ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre et le lait de la fermière. A l'époque de la téléphonie universelle FT, un branchement au téléphone à la rase campagne nécessitait la pose de 10 poteaux ... et coutait rien ou preque.

dwarfpower a dit…

Dexu point essentiels:

Permièrement il faut luter de toutes nos forces pour banir le vocable "Fair Usage". Tout en faisant référence à la Doctrine du Fair Use qui protège les droits des utilisateurs, il s'agit en faite d'une transposition francophone des Acceptable Use Policies, qui sont des restrictions de ce que peuvent faire les utilisateurs. Sauf qu'en tradition anglo saxonne il s'agit de restrictions contractuelles, pas de caractéristiques essentielles cachées dans les notes de bas de pages.

D'autre part, il faut aussi lutter contre l'affirmation que les restriction d'usages mises en place par les opérateurs mobiles ont pour unique but de gérer le réseau afin d'éviter les engorgements. Si c'était le cas, ces restriction seraient uniquement mises en place lors des engorgement ou aux lieux/moments ou ceux-ci sont probables. dans ce cas la vous ne recevriez pas un SMS disant "vous avez dépassé votre quota, votre débit est réduit", mais "vous avez dépassé un seuil de gestion de trafic, votre priorité est réduite" : Aujourd'hui, une fois le seuil dépassé, même si vous êtes le seul utilisateur sur votre cellules, vous vous retrouvez en edge voir moins. Enfin si la restriction était technique, il n'y aurait pas des offres commerciales permettant de la contourner. Si on vous propose des offres avec des seuils de 1Go et 3Go à des tarifs différents c'est qu'il y a une segmentation commerciale destinée à augmenter l'ARPU. Si la distinction est commerciale, il s'agit d'une caractéristique essentielle de l'offre au sens du Code de la Consommation.