Source : SeanMacEntee sur Flickr (cc)
En parallèle, plusieurs articles sont également publiés sur la toile et notamment, le 21 avril 2010, un article est mis en ligne sur le site Agoravox illustré de 6 photographies de Zahia et d'une vidéo extrait de l'émission 12 Coeurs diffusée en 2008 sur la chaîne NRJ12.
Estimant que cet article porte atteinte à sa vie privée, Zahia décide de saisir la 17eme Chambre du Tribunal de grande instance de Paris sur le fondement de l'article 9 du Code civil qui protège toutes les atteintes à la vie privée et sollicite du tribunal, outre la suppression sous astreinte des images, la condamnation du site à 50.000 euros de dommages et intérêts.
De son côté, Agoravox met en avant son statut d'hébergeur tel qu'il est prévu par l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économique numérique (LCEN). Rassurez-vous, je ne reviendrai pas une nouvelle fois sur le statut de l'hébergeur, ayant déjà consacré un long billet au sujet.
Le plus intéressant dans cette décision est le fait que le juge fait application du second alinéa de l'article 6.I.2 de la LCEN. Totalement méconnu, cet alinéa précise que le régime de responsabilité aménagé au profit des hébergeurs "ne s'applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l'autorité ou le contrôle" dudit hébergeur.
Ainsi, si l'auteur du contenu litigieux agit sous l'autorité ou le contrôle du prestataire, le prestataire ne pourra pas revendiquer l'application à son profit du régime de responsabilité aménagé par la LCEN.
Le tribunal résume cela en un paragraphe : "En revanche celui qui contrôle la politique ou le contenu éditorial d'un site internet a la qualité d'éditeur et non de fournisseur d'hébergement, de sorte que sa responsabilité peut être recherchée dans les conditions du droit commun ou telles que prévues par l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle".
Ici l'article a été signé et mis en ligne par un auteur sous le pseudonyme "Epsilon". Or, relève le tribunal, la politique éditoriale du site AgoraVox prévoit un certain nombre de principes et surtout celui d'une modération des contenus par les "modérateurs, c'est à dire tous les rédacteurs ayant publié au moins quatre articles sur le site".
Partant de là, le Tribunal estime que :
"Agoravox n'a pas contrairement à ce qu'elle soutient une position purement passive et totalement neutre, et ne se limite pas à la mise à disposition d'un processus technique d'exploitation et de fourniture d'un hébergeur, sur lequel les informations fournies par des tiers sont temporairement stockées sans qu'elle puisse en avoir connaissance, mais contrôle et autorise la diffusion des informations reçues des internautes après les avoir spécialement validées par l'intermédiaire de modérateurs, ce qui lui confère la qualité d'éditeur dont la responsabilité relève du droit commun"Ce paragraphe apporte de très nombreuses précisions intéressantes.
Source : Rpongsaj sur flickr (cc)
Tout d'abord, le Tribunal de grande instance de Paris semble appliquer divers critères afin de déterminer si Agoravox peut relever ou non de la qualification d'hébergeur. Pour le juge, dès lors que le site n'a pas de position 1) purement passivement, 2) totalement neutre, 3) ne se limite pas au stockage temporaire des informations et 4) contrôle et autorise la diffusion, il ne peut revendiquer l'application du régime de responsabilité.
Concernant le critère de passivité, le juge reprend ici l'un des critères mis en avant par la CJUE dans une décision du mois de mars 2010 relative au contentieux Adwords. Dans cet arrêt, les juges européennes estimaient qu'un prestataire peut revendiquer l'application du statut de responsabilité l'hébergeur s'il "n'a pas joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées".
Il est donc logique que le juge s'interroge sur la passivité ou non de l'intermédiaire. Mais l'usage du critère de passivité est-il le bon ? En effet, la CJUE estime que c'est le rôle actif - ayant pour effet de porter à la connaissance le contenu - qui doit être recherché pour écarter l'application du statut de l'intermédiaire. Rechercher la présence d'une passivité biaise par nature l'interprétation donnée par les magistrats européennes. En effet, il doit être assez difficile de trouver un seul intermédiaire technique qui reste totalement passif au regard d'un contenu ou d'un utilisateur, ne serait-ce que dans une logique de protection des systèmes d'information.
Concernant la neutralité, ce critère est intéressant vu qu'il ne fait l'objet d'aucune définition juridique. Surtout, avoir recours à ce terme à un moment où l'Internet est agité par les débats autour de la "net neutralité" peut laisser libre court à toutes les interprétations. Sans doute que la recherche de la neutralité s'oppose à l'existence d'une "politique éditoriale" imposée et fixée par l'intermédiaire comme cela était le cas d'AgoraVox.
Troisième critère posé par le juge : un stockage qui ne se veut que temporaire. Ici, une critique pourrait être émise. En effet, l'article 6.I.2 de la LCEN n'impose nullement à l'intermédiaire de procéder qu'à un stockage temporaire pour bénéficier du statut d'hébergeur. Bien au contraire, la fonction de stockage temporaire est prévue par un autre article créé par la LCEN, aujourd'hui figurant à l'article L. 32-3-4 du Code des postes et communications électroniques.
Cet article prévoit que "toute personne assurant dans le seul but de rendre plus efficace leur transmission ultérieure, une activité de stockage automatique, intermédiaire et temporaire des contenus qu'un prestataire transmet ne peut voir sa responsabilité civile ou pénale engagée à raison de ces contenus que dans" certaines situations.
En conséquence, faire peser sur l'hébergeur une obligation de stockage temporaire est contraire tant à l'esprit de la LCEN qu'à la lettre de la Directive ecommerce du 8 juin 2000 que la LCEN transpose. Pour mémoire, le texte antérieure à la LCEN qualifiait le stockage opéré par l'hébergeur de "direct et permanent".
Dernier critère, la référence au contrôle et à l'autorisation de la diffusion du contenu. Elle fait référence en substance à l'alinéa 2 de l'article 6.I.2 rappelé plus haut. En procédant à une modération des contenus, l'hébergeur procède à un contrôle des contenus et en conséquence l'auteur des contenus agit sous "l'autorité et le contrôle de l'hébergeur" faisant perdre à l'hébergeur le bénéfice du régime aménagé de responsabilité.
Cette interprétation se rapproche de la position adoptée par la CJUE qui faisait sortir du périmètre du régime de l'hébergeur, les intermédiaires ayant un rôle actif leur confiant une connaissance du contenu. Tel est le cas en l'espèce de la modération d'un contenu afin de le faire coller à une politique éditoriale.
Cette logique peut choquer certains. Ainsi, en adoptant des mesures de contrôle a priori des contenus, notamment afin d'éliminer tout contenu préjudiciable ou illicite, l'intermédiaire perd la possibilité de revendiquer le statut de l'hébergeur alors qu'un autre intermédiaire laissant publier tout contenu, même illicite, et ne procédant à aucune modération conserverait le bénéfice du régime protecteur de l'hébergeur. Une sorte de prime au moins disant (mais qui, en matière de forum de discussion n'est plus vraiment présente).
Dernier aspect du jugement qui me rassure. Oui, j'avoue. En découvrant une phrase dans ce jugement, je n'ai pas pu m'empêcher d'avoir un moment de satisfaction.Cette phrase est la suivante et fait preuve, enfin sur le sujet de l'hébergeur, d'une bonne rigueur juridique :
l'activité d'Agoravox "lui confère la qualité d'éditeur dont la responsabilité relève du droit commun".
La référence au droit commun. Voilà ce qui manquait dans le domaine. Jusqu'à ce jour, l'ensemble des débats opposait d'un côté l'hébergeur "irresponsable" à l'éditeur "totalement responsable" en oubliant que l'absence de qualification d'un intermédiaire en hébergeur n'avait que pour effet de le faire tomber dans le domaine du droit commun. J'avais eu l'occasion d'aborder ce point longuement suite à une décision relative à eBay.
Et c'est donc en application de l'article 9 du Code civil que le juge a recherché si Agoravox avait commis une faute au regard de l'article et des photographies publiées en marge de l'article relatant l'affaire Zahia.
Sur l'atteinte à la vie privée, les juges décident de faire application de deux principes complémentaires : le droit au respect de la vie privée et la liberté d'information. Pour les magistrats, "ces droits de la personnalité et la liberté d'information revêtant une égale valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher leur équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime".
En l'espèce :
"C'est vainement que Zahia invoque une atteinte à sa vie privée dés lors que s'étant trouvée mêlée, fut ce à son corps défendant, à un fait d'actualité à très fort retentissement médiatique. Compte tenu de la notoriété de ses protagonistes, il pouvait légitimement en être rendu compte dés lors qu'il n'en résultait aucune extrapolation".
La jeune femme est donc déboutée de ses demandes relatives à l'atteinte à la vie privée.
En ce qui concerne le droit à l'image, les juges sont plus réservés. Ils considèrent que "le nombre de photographies publiées (6) et la mise en ligne d'un extrait vidéo ayant pour seul but l'identification de la demanderesse alors qu'elle était encore mineure, excédent la juste mesure qu'autorisait l'illustration légitime d'un fait d'actualité, laquelle ne peut être admise que lorsqu'un rapport direct, pertinent et adéquat est établi entre le fait évoqué et le cliché qui l'illustre. Aussi et dans cette seule mesure, l'atteinte au droit à l'image sera-t-elle retenue".
Au regard de la faible audience du site, les juges condamnent Agoravox à verser 1.500 euros de dommages et intérêts et à 3.000 euros au titre de l'article 700 du CPC.
Source : TGI Paris, 17eCh, 8 juin 2011, Zahia B. c/ Fondation Agoravox
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