lundi 15 août 2011

Le grand absent des programmes des présidentielles: la eDémocratie

Le 14 août 2011, une tribune de Matthieu Aurouet dans Marianne2 s'interrogeait sur l'avenir du mouvement des Indignés. Revenant sur les solutions possibles, l'auteur propose une 3e voie, une voie intermédiaire afin de capitaliser sur l'apport de ce mouvement.

24J - Asamblea de estrategias
Source : empanada_paris sur flickr (CC)

Pour lui :
Les Indignés pourraient aller plus loin que la pression de masse que lui dicte la première voie esquissée ici. Il pourrait aussi élaborer son propre programme politique sans être pour autant un parti. Le mouvement aurait des sections nationales libres mais en contact entre elles, avec une ambition commune : ré-intellectualiser la politique en réexplorant le domaine du possible, le volontarisme chevillé au corps.
et
Plus encore, il chercherait à approfondir la démocratie en dépassant l’élection. Il s’agit ici de promouvoir le tirage au sort comme nouveau mode de participation à la vie publique, de le penser et de se battre pour son triomphe, afin que les hommes et femmes du vieux continent ne soient pas condamnés à vivre la démocratie en spectateurs /consommateurs.
La conclusion de l'auteur invite à plusieurs réflexions.

La première vient des différences fondamentales qui peuvent exister entre le mouvement des Indignés tel qu'il s'est déployé en Espagne ou même en Grèce et celui que l'on a pu voir, difficilement, émerger en France. Les fondements n'étaient pas les mêmes et surtout les revendications vis-à-vis de l'organisation politique n'étaient pas les mêmes.

L'Espagne et la Grèce ont un point commun. Ces deux pays sont passés par de longues périodes de dictature (Franco d'un côté, les Colonels de l'autre) empêchant aux divers partis politiques ou organisations professionnelles de se développer. Surtout, une défiance a pu naître chez les citoyens vis-à-vis de ces structures politiques et syndicales dont certaines pouvaient être regardées, après le retour de la démocratie, comme trop proches du pouvoir ancien.

Cette réaction est aujourd'hui la même en Egypte ou même en Tunisie avec une contestation populaire à l'encontre des partis ou syndicats trop proches alors des pouvoirs en place avant les révolutions arabes.

Et naturellement, les citoyens espagnols (ou même grecs) n'ont pas forcément donné aux intermédiaires politiques le même niveau de confiance (et de défiance) que celui que les citoyens français donneraient à leurs partis politiques et syndicats. En France, une partie des acquis sociaux (comme par exemple les congés payés) provient du Front populaire et de l'action d'intermédiaires politiques en faveur des citoyens. En Espagne, les grandes grèves générales n'ont pas été décrétées par des partis ou des syndicats mais par les citoyens eux mêmes.

Cette place des intermédiaires est déterminante dans le mouvement des Indignés qui se positionne comme apolitique et asyndical. Et surtout, il paraît difficile de généraliser ou de globaliser une approche ou des solutions face à des mouvements de nature locale qui peuvent reposer sur une structuration politique totalement différente d'un pays à un autre. Une simple conversation avec des participants au mouvement des Indignés en France ou même en Espagne permet à la fois de voir des points communs, mais aussi de profondes différences.

Bien souvent, en France, le mouvement des Indignés est résumé comme un regroupement de jeunes libertaires, de personnes membres de partis d'extrême gauche ou de personnes souhaitant une refonte totale des institutions. La réalité est tout autre et l'on peut trouver également des personnes âgées, des étudiants, des travailleurs, des jeunes et des plus vieux, avec ou sans emploi. Ces personnes aspirent à une place plus importante du citoyen.

En Espagne, le mouvement est tout aussi disparate, mais on rencontre rapidement des personnes qui vont  vous parler de leurs difficultés. Ici des personnes ayant un travail mais qui ne touchent plus aucun salaire depuis plusieurs mois car leur employeur, collectivité publique notamment, est tellement endetté qu'il n'est pas en mesure de verser les salaires. Là, ces personnes qui ont vu leur bien immobilier être saisi par les banques et qui se retrouvent malgré tout tenus de continuer à rembourser un prêt pour un bien qu'ils ne possèdent plus. Une des conséquences de la fameuse crise des subprimes datant maintenant d'il y a 3 ans.

Rapprocher Citoyens et Politique(s)

De manière générale, le discours commun qui revient dans les divers mouvements des Indignés est la distance qui s'est creusée entre le lieu de prise de décision politique, en particulier les Parlements nationaux, et les citoyens eux-mêmes. La question de la dette publique en est un bon exemple : les pouvoirs politiques sont incapables d'expliquer aux citoyens les raisons de la dette publique ; les citoyens se retrouvent donc en opposition face à une décision "venue d'en haut" leur demandant de participer au remboursement de cette dette, bénéficiant notamment à des banques étrangères.

19 juin 2011 - La #FrenchRevolution défile à Paris
Source : empanada_paris sur flickr (CC)

Dans sa Tribune, Matthieu Aurouet propose que le mouvement des Indignés prépare une sorte de programme politique d'un nouveau genre destiné également à inciter l'ensemble des acteurs, chaque citoyen, à reparticiper à la vie politique. Et d'inviter également le mouvement à se structurer en sections locales et nationale.

Seulement, est-ce cela qui doit être la première étape ? Ne faudrait-il pas d'abord réfléchir à la manière de rapprocher citoyens et prises de décision politique ? Ne faudrait-il pas réfléchir à de nouveaux outils de débat public destinés à la fois au monde politique (afin qu'il explique les décisions prises) et à chaque citoyen (capable alors d'y réagir) avant de structurer plus largement les personnes y participant.

En trouvant ces nouveaux outils, sans doute alors que le schisme qui s'est creusé entre les divers acteurs de la vie politique sera peut être amené à se réduire. Sans doute pas à disparaître, mais du moins, on pourra envisager de rapprocher ces deux mondes. Rares sont les lieux où des politiques sont en mesure de dialoguer avec des citoyens lambda, de pouvoir écouter leurs attentes, de pouvoir - voire de devoir - justifier leur décision politique prise sur tel ou tel sujet.

Les technologies actuelles ont permis de faire quelques pas. Ne doit on pas en profiter pour aller plus loin ? L'opendata est devenu un sujet à la mode, relancé sans nul doute par le choix de l'administration américaine de diffuser encore plus largement des données. Mais finalement ne risque-t-on pas de créer de nouvelles frustrations chez les citoyens ? En leur donnant accès à de plus en plus de données mais sans pour autant leur permettre de réagir à ces données, quelle sera la réaction du citoyen ?

Sans doute que cette évolution sera longue et périlleuse en France.
Sans doute qu'on sera capable de la voir émerger plus rapidement dans d'autres pays européens.

Preuve en est : dans les programmes tant de l'UMP que du PS pour les prochaines présidentielles où aucun mot n'apparaît sur la manière dont les nouvelles technologies pourraient être utilisées pour améliorer la démocratie. La edémocratie semble, à la lecture de ces programmes, se confondre dans la simple mise à disposition de données publiques.

Créer, innover, ré-inventer de nouveaux outils

Des outils de débat public existent. Quel rôle attribuer à la Commission nationale du débat publique ? Quelle fonction donner au Conseil économique et social censé représenter la société civile ?

La #FrenchRevolution reprend la Bastille
Source : empanada_paris sur flickr (CC)

Georges Bernard Shaw, l'auteur du mythique Pygmalion, rappelait une triste réalité : "La démocratie est une technique qui nous garantit de ne pas être mieux gouvernés que nous le méritons". Est-ce parce que nous ne connaissons pas et que nous n'avons pas appréhendé les outils actuels que nous ne pourrions avoir mieux ?

Un exemple : qui se souvient de la réforme constitutionnelle de 2008 sur la pétition citoyenne ? Citons juste le texte de l'ordonnance relative au CESE (Conseil économique, social et environnement) :
Art. 4‑1. – Le Conseil économique, social et environnemental peut être saisi par voie de pétition de toute question à caractère économique, social ou environnemental.
La pétition est rédigée en français et établie par écrit. Elle est présentée dans les mêmes termes par au moins 500 000 personnes majeures, de nationalité française ou résidant régulièrement en France. Elle indique le nom, le prénom et l’adresse de chaque pétitionnaire et est signée par lui.
La pétition est adressée par un mandataire unique au président du Conseil économique, social et environnemental. Le bureau statue sur sa recevabilité au regard des conditions fixées au présent article et informe le mandataire de sa décision. Dans un délai d’un an à compter de cette décision, le Conseil se prononce par un avis en assemblée plénière sur les questions soulevées par les pétitions recevables et sur les suites qu’il propose d’y donner.
L’avis est adressé au Premier ministre, au président de l’Assemblée nationale, au président du Sénat et au mandataire de la pétition. Il est publié au Journal officiel.
A ce jour, ce droit de "pétition citoyenne" n'a semblé avoir été mis en oeuvre qu'une seule et unique fois. En effet, selon le CESE, par un communiqué de presse du 1er avril 2011 , le collectif Autisme a annoncé vouloir saisir le CESE pour "évaluer la situation économique" de la prise en charge de cette maladie jugée "désastreuse". Malgré un site internet, et près de 40 millions de Français connectés à internet, le seuil des 500.000 signatures ne semble pas avoir été atteint.

D'autres mécanismes existent. On pourrait prendre l'exemple islandais même si dans la réalité, l'apport d'internet à la réforme constitutionnelle est plus contrasté. Mais clairement, c'était une première étape et internet peut faire naître de nouveaux outils. Certains demandent à être améliorés. D'autres sans doute à être inventés.

Si tous les candidats s'accordent pour une amélioration des politiques publiques en matière d'opendata, aucun ne semble aujourd'hui avoir fait de propositions pour que le citoyen puisse directement, ou même indirectement, participer à la vie publique. Seulement, c'est cela le défi du numérique pour demain. Il ne s'agit pas seulement de garantir un développement du numérique sur tout le territoire. C'est aussi permettre à chaque personne de s'approprier l'outil internet. Et quel meilleur moyen que de créer une interaction dans la vie publique ? Même le Conseil d'Etat dans son dernier rapport ne s'y est pas trompé et invite à une vraie réflexion sur une nouvelle forme de consultation et de participation à la prise de décisions publiques.

Edouard Herriot disait une chose très belle dans ses Notes et Maximes: "La démocratie est une bonne fille ; mais pour qu'elle soit fidèle, il faut faire l'amour avec elle tous les jours."

Au boulot, donc.

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