Source : caitlinburke sur Flickr (cc)
L'Union des photographes professionnels (UPP) indique ainsi sur son site :
"L'originalité est une notion clé du droit d'auteur. En effet, pour qu'une œuvre profite de la protection du droit d'auteur, le juge vérifiera que la création a une forme originale.Et justement, parlons de ces affaires - rares au demeurant - où les juridictions refusent de reconnaître une quelconque protection au titre du droit d'auteur à une photographie.
Cela signifie d'une part que les idées ne trouvent pas de protection légale dans le code de la propriété intellectuelle et d'autre part impose que l'auteur démontre que son œuvre est originale.
En matière de contrefaçon, l'auteur doit construire une argumentation construite pour convaincre le juge que son œuvre est originale. Dans bon nombre d'affaires, la protection du droit d'auteur est écartée du fait que l'auteur n'a pas mené d'argumentaire suffisamment solide démontrant l'originalité de son oeuvre."
Le dernier exemple en date est assez révélateur. Il s'agit d'un nouvel épisode qui oppose régulièrement devant les tribunaux, les deux sociétés spécialisées dans la commercialisation de coffrets cadeaux à savoir SmartCo (Smartbox) et Multipass (Wonderbox).
La yourte battue
La première indique ainsi avoir découvert en octobre 2008 que la seconde se livrait à des "actes de contrefaçon de droits d'auteur en faisant figurer sur son coffret "Nuit insolite" la photographie d'une yourte vue de l'extérieur imitant celle apposée sur son coffret SMARTBOX "Séjour pittoresque"". SmartCo décide alors de saisir la justice dans la foulée.
Source : dwrawlinso sur Flickr (cc)
Sur la base de cette première décision favorable, SmartCo lançait une seconde action judiciaire, cette fois-ci au fond sur le terrain de la contrefaçon (mais aussi du parasitisme et de la concurrence déloyale). Les juges du Tribunal de grande instance de Paris ont donc dû se pencher sur les faits argués de contrefaçon par SmartCo.
Dans leur jugement du 1er juillet 2011, les magistrats ne suivent pas la première analyse opérée par les juges de l'urgence et de l'évidence. Pour eux, il n'y aucun plagiat de la part de la société Multipass. Qu'est ce qui explique un tel revirement ?
Tout d'abord, le Tribunal rappelle le principe suivant :
"une photographie, à l'instar de toute création, n'est protégée par le droit d'auteur qu'à la condition que, portant l'empreinte de la personnalité de son auteur, elle soit originale.Lorsque la protection au titre du droit d'auteur est contestée en défense, l'originalité d'une œuvre doit être explicitée par celui qui s'en prétend auteur, seul ce dernier étant à même d'identifier les éléments traduisant sa personnalité".Or, ici va naître le litige : SmartCo revendique des droits d'auteur sur ladite photographie. De son côté, Multipass conteste l'originalité de la photographie. Le juge est donc obligé d'aller regarder de plus près ce qu'il en est.
La photographie, quelle est-elle ? Selon les termes du jugement :
"la photographie litigieuse représente en élément central une yourte nomade traditionnelle avec notamment une porte fermée orange et des décorations bleues en bas sur le pourtour de la yourte, laquelle est implantée dans un cadre naturel composé d'herbe, d'arbres en arrière-plan et d'un ciel bleu. Des pas japonais alignés en direction de la porte de l'habitation sont visibles en premier plan"Mais surtout, le Tribunal considère que
"La construction de la photographie ne démontre aucun parti pris esthétique et ne porte aucune empreinte de la personnalité de son auteur, elle se contente au contraire de représenter une vue extérieure d'une yourte installée dans un décor naturel sur lequel le photographe n'a aucune emprise".En clair, faute d'originalité, la photographie n'est pas protégée par le droit d'auteur. Et faute de protection de cette image sur le terrain du droit d'auteur, SmartCo est débouté de son action sur le terrain de la contrefaçon (et sur les autres griefs, SmartCo sera condamné à verser 8000 euros à Multipass sur le fondement de l'article 700 CPC)
Ce qui s'est passé dans ce prétoire reprend les éléments avancés par l'UPP sur son site. Faute d'argumentaire solide permettant de démontrer l'originalité de l'oeuvre, les juges déclassent la photographie.
Ce jugement a un intérêt. Il montre la limite pratique des cessions de droits, notamment dans le domaine de la photographie.
Droit d'auteur, si tu reviens, j'annule tout
Pour les non-initiés, le droit d'auteur se répartie en deux grandes composantes : les droits patrimoniaux et les droits moraux.
Source : XOZ sur flickr (cc)
Les droits moraux recouvrent les droits appartenant à l'auteur de l'oeuvre, à l'artiste. On y retrouve le droit au nom (indiquer qui est l'auteur de la photographie), le droit à l'intégrité de l'oeuvre (ne pas la modifier, altérer sans l'accord de l'auteur), le droit de divulgation (seul l'auteur peut divulguer une oeuvre inédite) et le droit de retrait (retirer une oeuvre de sa diffusion publique). Ces droits sont inaliénables (non cessibles donc) et imprescriptibles.
Dans les faits quand un photographe cède ses droits sur une photographie, il cède tout ou partie de ses droits patrimoniaux (et peut également aménager une partie de ses droits moraux).
Prenons un exemple simple. Genre, je suis photographe (ok, amateur) et j'ai photographié une yourte orange et bleue au milieu d'un champ. Une société commerciale est intéressée par réutiliser cette photographie pour illustrer des produits qu'elle commercialise. Je vais donc céder mes droits patrimoniaux à cette société (soit directement, soit indirectement par l'intermédiaire d'autres intermédiaires qui auraient déjà acquis ces droits).
Ladite société fait usage de la photographie et, voyant un concurrent la reproduire, décide d'attaquer en contrefaçon. Comme elle n'est pas le photographe de l'oeuvre, elle se trouve alors incapable d'expliquer en quoi cette photographie est originale, en quoi cette photographie est empreinte de la personnalité de son auteur.
Et c'est normal. La société a acheté une photographie. Celle-ci est rarement voire jamais livrée avec une notice explicative indiquant pourquoi tel ou tel cadrage, ouverture, champ de profondeur, lumière, etc. ont pu être utilisés. Seul le photographe est humainement en mesure d'expliquer en quoi telle ou telle photographie est un élément de sa personnalité, n'est pas banale mais bien au contraire, un exemple d'originalité.
Bon, ici, la société commerciale est incapable d'expliquer l'originalité. Conséquence, les magistrats considèrent que l'image est dépourvue de tout droit d'auteur.
Euh. Stop. C'est là où le sujet devient important. Hop, on fait une pause et on regarde attentivement.
Au travers de son jugement, le tribunal anéantit la protection au titre du droit d'auteur sur la photographie. Mais il l'anéantit de manière totalement. En disant "pas de droit d'auteur", cela signifie que l'image n'est plus protégée aussi bien sur ses aspects patrimoniaux que moraux.
La conséquence pratique est la suivante :
- n'importe qui peut alors utiliser l'image comme bon lui semble, sans autorisation préalable du titulaire des droits patrimoniaux et sans paiement d'une quelconque rémunération pour cet usage ;
- l'utilisateur peut alors se dispenser - en l'absence de droits moraux - de mentionner l'auteur de la photographie, peut alors porter atteinte à son intégrité, etc.
La conséquence de ce litige n'est pas neutre. En n'étant pas en mesure de défendre l'originalité de l'oeuvre, certes la société commerciale perd les droits patrimoniaux qu'elle avait achetés (et l'exclusivité d'utilisation qui peut y être attachée). Mais le photographe, non mis en mesure de se défendre, perd aussi ses droits moraux voire les droits patrimoniaux qu'il n'avait point cédé.
Qu'auraient dû faire la société commerciale et le photographe ? Sans doute, aurait-il fallu que la société appelle à la cause le photographe et demande à ce dernier d'expliquer en quoi la photographie était originale et empreinte de son originalité, voire qu'il engage une action complémentaire sur le terrain d'une atteinte à l'un de ses droits moraux. Cela peut être imaginé lorsqu'il existe un lien direct entre le photographe et la société commerciale. Cela devient plus irréaliste lorsque la société acquiert des droits auprès d'une agence ou d'un autre intermédiaire opaque entre elle et l'auteur de la photographie.
Cette problématique démontre que, même en présence d'une cession de droits, il est difficile pour le titulaire des droits patrimoniaux de se couper définitivement de l'auteur de l'oeuvre. Et ce risque n'est pas nul.
Prenons l'exemple d'une agence de photos. Son modèle économique est fondé sur la valorisation des droits d'auteur acquis auprès des photographes. Pour faire simple : elle achète des droits (souvent exclusifs) et accorde des licences d'utilisation des photographies. Si un contentieux survient et qu'elle n'est pas en mesure de démontrer l'originalité d'une ou plusieurs photographies, elle perdra une source de revenu et le photographe un élément de son patrimoine.
Alors que faire ? Des deux côtés de la photographie, la réponse n'est pas aisée. Côté photographe, on pourrait lui recommander d'insérer dans les contrats de cessions de droit une clause par laquelle l'acquéreur des droits doit l'informer sans délai de tout contentieux relatif à son oeuvre. Côté acquéreur des droits, on pourrait lui recommander de s'assurer d'identifier le photographe voire de lui demander une notice explicative de l'oeuvre démontrant son originalité.
Sinon, le seul argument qui demeurera seront ces mots d'Alain. "La bêtise des hommes est de critiquer l'originalité des autres".
4 commentaires:
Article très intéressant sans jargon juridique et avec une touche humoristique rafraîchissante!
Je ne comprends pas pourquoi SmartCo n'a pas appelé en cause le photographe !
Il semblerait que relativement à sa photo la défense ait confondu l´interrogation "quoi" avec "pourquoi" !
En continuant sur l'humour, et l'absurdité du raisonnement, n'oublions pas le propriétaire de la yourte qui bénéficie d'un droit à l'image sur sa maison (comme tout propriétaire d'une maison selon la JP) et qui pourrait s'opposer à l'utilisation de l'image par les agence de photos, ce qui pourrait mettre d'accord tout le monde ;-)). Le code civil rencontre le code de la propriété intellectuelle...
Mon cher Remy, on tourne 7 fois ses doigts dans sa bouche avant d´écrire une ânerie pareille !!! Je te renvoie amicalement à ton code civil et plus particulièrement sous les articles 9 et 544 où tu pourras lire que depuis 2004 " Le propriétaire d'une chose ne dispose pas d'un droit exclusif sur l'image de celle-ci; il peut toutefois s'opposer à l'utilisation de cette image par un tiers lorsqu'elle lui cause un trouble anormal".
Cass., ass. plén., 7 mai 2004
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