lundi 13 décembre 2010

Vente liée de PC et logiciels - retour sur les décisions de la Cour de cassation

Les décisions sont intervenues le 15 novembre dernier. J'utilise le pluriel car ce n'est pas une mais deux arrêts que la Première chambre civile de la Cour de cassation a rendu ce jour là à propos de l'application de la réglementation française sur les ventes liées au cas de la commercialisation d'ordinateur contenant des logiciels préinstallés (comme par exemple le système d'exploitation Windows).

Le sujet du traitement juridique de cette question n'est pas nouveau puisque les premiers contentieux ont débuté au cours des années 2000. L'enjeu repose sur l'application d'un article du Code de la consommation, l'article L. 122-1 qui interdit les ventes dites "subordonnées", c'est à dire dans notre jargon d'internaute "michu", les ventes liées.

Le Code de la consommation prévoit ceci :
"Il est interdit de refuser à un consommateur la vente d'un produit ou la prestation d'un service, sauf motif légitime, et de subordonner la vente d'un produit à l'achat d'une quantité imposée ou à l'achat concomitant d'un autre produit ou d'un autre service ainsi que de subordonner la prestation d'un service à celle d'un autre service ou à l'achat d'un produit."

L'application de cette disposition a fait l'objet de plusieurs positions. Celle prise par le Ministère de la consommation dans une réponse ministérielle de 2005, mais également de nombreuses décisions principalement de juridiction de proximité.

Bien souvent l'interprétation - divergente - des juridictions du fond provenait d'une exception rappelée par la jurisprudence en matière de vente subordonnée : l'intérêt du consommateur. Ainsi, "lorsque la pratique commerciale présente un intérêt pour le consommateur", la vente n'est plus alors qualifiée de vente subordonnée. Et donc tout le débat portait sur le fait de savoir si un consommateur trouve un intérêt - au moins pratique - à avoir un ordinateur commercialisé avec des logiciels et notamment un système d'exploitation.

Sur ce dossier, deux affaires sont arrivées devant la Cour de cassation.

La première concernait l'acquisition le 6 décembre 2007 d'un ordinateur de marque Lenovo équipé de divers logiciels. En l'absence de toute possibilité d'obtenir le remboursement des logiciels, le consommateur assignait alors la société devant la juridiction de proximité de Tarascon. Le juge du fond refusait de faire droit à la demande au motif que "l'accord des parties s'est fait sur un type d'ordinateur complet et prêt à l'emploi et que le consommateur avait, l'acquisition effectuée, la possibilité de se faire rembourser les marchandises dans leur globalité". Ainsi, le magistrat refusait sur le fondement de l'article L.122-1 de sanctionner la pratique de vente liée.

Mais la Cour de cassation ne l'entend pas de la même oreille et casse le jugement de première instance. En effet, elle prend acte de tout le chamboulement que connaît actuellement une partie de la législation française protectrice du consommateur.

En effet, le droit français connaît plusieurs dispositions protectrices du consommateur qui ont pour effet de sanctionner purement et simplement telle ou telle pratique commerciale. C'est le cas de la vente liée, mais également de la vente avec prime ou de l'organisation de loteries payantes. Le droit communautaire n'a pas la même logique que le droit français et l'automatisme de la condamnation d'une pratique est plutôt rare.

C'est pourquoi, dans plusieurs contentieux, la Cour de justice de l'Union européenne a récemment - on peut le dire - mis une claque à certains principes de droit français en raison d'une incompatibilité de ce dernier avec la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur. En effet, dès lors qu'une "pratique commerciale" est en cause, l'analyse du cadre juridique applicable à ces pratiques commerciales doit obligatoirement s'analyser au regard des dispositions de la directive et non du droit français.

L'article 2 de la directive définit, en utilisant une formulation particulièrement large, la notion de "pratique commerciale" comme "toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs".

La CJUE a eu l'occasion de rappeler ainsi le 9 novembre 2010 (C-540/08, §21) que "la directive se caractérise par un champ d’application matériel particulièrement large s’étendant à toute pratique commerciale qui présente un lien direct avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs. Ne sont ainsi exclues dudit champ d’application, ainsi que cela ressort du sixième considérant de cette directive, que les législations nationales relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte «uniquement» aux intérêts économiques de concurrents ou qui concernent une transaction entre professionnels".

Surtout, le §30 de la décision de la CJUE poursuit en rappelant que "la directive procédant à une harmonisation complète des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, les États membres ne peuvent pas adopter, comme le prévoit expressément l’article 4 de celle-ci, des mesures plus restrictives que celles définies par ladite directive, même aux fins d’assurer un degré plus élevé de protection des consommateurs".

Sous-entendu, les législations nationales qui créent des interdictions "pures et simples" qui ne sont pas fixées dans la directive ... tombent. Et donc les pratiques précédemment condamnées doivent s'analyser au regard des principes posés dans la directive et notamment vérifier si la pratique en cause "altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu'elle touche ou auquel elle s'adresse, ou du membre moyen du groupe lorsqu'une pratique commerciale est ciblée vers un groupe particulier de consommateurs".

Concernant la vente liée, la Cour de cassation reprend à son compte cette analyse et estime que la directive "s'oppose à une réglementation nationale qui, sauf certaines exceptions et sans tenir compte des circonstances spécifiques du cas d'espèce, interdit toute offre conjointe faite par un vendeur à un consommateur, de sorte que l'article L. 122-1 du code de la consommation qui interdit de telles offres conjointes sans tenir compte des circonstances spécifiques doit être appliqué dans le respect des critères énoncés par la directive". En clair : le juge doit non pas rechercher l'existence d'une vente liée, mais doit rechercher l'existence d'une pratique commerciale déloyale.

En offrant à la vente un ordinateur équipé de logiciels préinstallés, est-ce que le professionnel a commis une pratique qui est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur ? La question est encore ouverte à ce stade, mais il est clair que démontrer une telle altération sera difficile. En effet, il faudrait démontrer alors une information erronée, mensongère de la part du professionnel (par exemple, expliquant que le logiciel est "offert" ou que le logiciel est strictement nécessaire) pour sans doute démontrer l'existence d'une telle pratique commerciale déloyale.

La seconde concernait l'acquisition le 6 juin 2006 d'un PC dans un magasin Darty. Devant le refus de remboursement des logiciels, le consommateur avait saisi la Juridiction de proximité de Paris Ier qui n'a pas fait droit à sa demande. Mais ici, la Cour de cassation casse le jugement au motif que la juridiction du fond n'a pas recherché s'il y avait eu ou non vente liée.

Et effectivement, je sens d'un seul coup un peu de perplexité dans l'esprit du lecteur. Pourquoi dans cette affaire, la Cour de cassation a demandé au juge de proximité de rechercher si on pouvait appliquer l'article L.122-1 du Code de la consommation alors qu'elle avait dit le contraire plus haut ? Tout simplement car on se situait "avant l'expiration du délai de transposition de la Directive n° 2005/29 CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005".

En clair, si le délai de transposition de la directive n'était pas expiré, le texte n'était alors pas directement applicable aux contentieux. Et donc, le texte français sur la vente liée conservait ses pleins effets.

Bon, et c'est à ce moment là que le juriste pervers (vicieux certains diraient) commence à gratter. Le second arrêt de la Cour de cassation dit : pour les litiges nés avant l'expiration du délai de transposition, le régime juridique français de la vente liée continue à s'appliquer. Pour les litiges nés postérieurement à cette date, on doit appliquer les principes de la directive sur les pratiques commerciales déloyales.

Quelle est cette date ?
L'article 19 de la directive dit ceci : "Les États membres adoptent et publient au plus tard le 12 juin 2007 les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive".

En conséquence, la Directive donnait jusqu'au 12 juin 2007 aux Etats pour se mettre en conformité.

Seulement, un deuxième aménagement - rare au demeurant en droit communautaire - était prévu dans le même article 19, aménagement ainsi rédigé : "Ils appliquent ces dispositions au plus tard le 12 décembre 2007". En clair, selon la directive, le nouveau régime des pratiques commerciales déloyales devait entrer en vigueur dans les divers Etats membres au plus à compter du 12 décembre 2007.

On peut se dire, et alors ?
Ben, c'est là où on reboucle avec la première affaire de la Cour de cassation car le produit a été acheté le 6 décembre 2007 soit, après le délai de transposition, mais avant le délai d'entrée en vigueur.

De mon côté, je ne sais pas si les parties et les magistrats de la Cour de cassation se sont penchés sur ce point. Mais il semble quand même un peu étonnant que la Cour ait fait application d'un texte communautaire - non encore transposé en droit français - avant la date à laquelle ledit texte communautaire avait fixé son entrée en vigueur.

Peut être que ce point sera soulevé devant le juge du fond qui sera amené à rejuger l'affaire Lenovo. Et peut être alors que le juge du fond appliquera quand même le droit français au motif qu'à 6 jours près, le droit communautaire n'avait pas vocation à s'appliquer.

Une vraie problématique de droit communautaire avec un petit mélange de droit des nouvelles technologies et de droit de la consommation. Un parfait sujet d'examen ;-)

Source : Cass. Civ.1, 15 novembre 2010, n°09-11.161 et Cass. Civ.1, 15 novembre 2010, n°08-20.227

1 commentaire:

Luc BARTMANN a dit…

Très intéressant. Une portée pratique toutefois limitée aux ventes conclues avant le 12 décembre 2007. Je pense qu'il faudrait sans délai fourbir de nouvelles armes pour contrer les effets de cette directive. Est-on certain que l'Europe avait bien compris quelle pourrait être l'effet désastreux de son texte pour le consommateur, en validant les pratiques des géants du logiciel ?