Fraude à la nigériane. C'est souvent par cette dénomination que sont désignées ces fraudes qui se développent depuis de très nombreuses années sur internet. Le but est simple : convaincre un internaute d'adresser à l'escroc (ou à ses complices ou mules) de l'argent liquide par l'intermédiaire d'un système non traçable (comme par exemple Western Union). Après, les moyens utilisés sont multiples : faire croire que l'on a reçu un important héritage et que l'on a besoin d'aide pour le faire sortir du pays, se présenter comme le vendeur d'un véhicule et obtenir de la victime une partie du montant de la vente avant que celui-ci prenne possession du véhicule, etc... L'imagination des fraudeurs est sans limite.
Face à ces pratiques, des victimes ont été amenées à agir en justice. Non pas à l'encontre des escrocs mais à l'encontre de leur banque. Pour quelle raison ? Pour toutes les victimes, la banque aurait manqué à ses obligations et devoirs (devoir de conseil, devoir d'information, etc.) en laissant leur client ainsi retirer du liquide et l'envoyer à un parfait inconnu à l'autre bout du monde.
Au cours de l'année 2010, de nombreux magistrats ont eu l'occasion de se pencher sur cette problématique. On va essayer de synthétiser ici les réponses. Elles sont plutôt simples : le juge retient de moins en moins la responsabilité de la banque par rapport aux
années 2006 et 2007 où cette responsabilité était plus souvent retenue.
5 mai 2010 - Cour d'appel de Besançon
Un internaute vend un véhicule au prix de 1000€. Il reçoit alors un chèque de 7.500€ qu'il dépose sur son compte le 25 avril 2006. Le 27 avril 2006, il débite la somme de 6.500 € pour la transférer au "pseudo-transporteur" ainsi que 1.000 € car l'acheteur décidait d'annuler l'achat. Les deux montants étaient transférés par Western Union. Le 3 mai 2006, le chèque s'avère être impayé.
Pour la Cour d'appel de Besançon :
"Il convient en effet de souligner les circonstances très particulières de la transaction qui aurait dû inciter à une vigilance toute particulière puisque son acquéreur, dénommé Clarke Curtis, titulaire d'une adresse e-mail au Royaume-Uni, lui a adressé un chèque au nom d'un tiers tiré sur une banque française en l'occurrence La Poste, et aurait envisagé d'exposer des frais de transport équivalent à plus de six fois le prix d'achat, pour le compte d'un agent maritime établi quant à lui aux États-Unis. L'inscription immédiate en compte d'un chèque est un usage bancaire qui n'engage pas la responsabilité du banquier,en cas d'absence de provision, sauf faute caractérisée de celui-ci.
Il apparaît en outre que le particulier a procédé au retrait de cette somme dans son intégralité dès le surlendemain du dépôt de ce chèque pour le moins suspect, alors qu'il ne justifie d'aucune urgence particulière à mener cette opération ; sa banque, en l'absence d'information particulière, n'avait, le 27 avril 2006, aucune raison légitime de s'y opposer et force est de constater que c'est uniquement par l'effet de cette précipitation sur laquelle il ne s'explique pas que le particulier s'est trouvé piégé par l'escroquerie de son acquéreur."
La responsabilité de la banque n'est pas retenue.
6 mai 2010 - Cour d'appel de Paris
Une personne met en vente son véhicule au prix de 5500 €. Elle reçoit de la part d'un acheteur hollandais un chèque de banque d'un montant de 9000€ tiré sur une banque irlandaise. Elle encaisse ce chèque le 31 décembre 2004. Le 12 janvier 2005, elle retire 3500 € pour verser cette somme par Western Union à une personne se présentant comme le transporteur. Le 4 février 2005, la Société Générale est informée que le chèque de banque est un faux et procède au débit du compte bancaire.
Pour la Cour d'appel de Paris :
"la banque qui reçoit un chèque de banque qui n'est pas grossièrement falsifié n'est pas tenue à un devoir de précaution particulier; qu'il n'est pas établi qu'à la date où le chèque a été remis, l'attention des banques ait été attirée par les opérations douteuses commises au nom de cette banque irlandaise, l'article de presse versé aux débats étant en date de mai 2005; qu'en revanche, la bénéficiaire du chèque aurait du être alertée par le modus operandi pour le moins étrange"
La responsabilité de la banque n'est pas retenue.
06 mai 2010 - Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Un internaute met en vente sa moto au prix de 2700€. Un acheteur lui envoie un chèque de banque d'un montant de 7.900€ tiré sur une banque britannique. Le 15 octobre 2005, il encaisse le chèque. Le 27 octobre 2005, il débite la somme de 5.200 € pour la faire parvenir à l'acheteur par Western Union. Le 29 octobre 2005, le chèque revient impayé.
Pour la Cour d'appel d'Aix-en-Provence :
"Attendu que si le chèque litigieux n'a été crédité au compte le 19 octobre 2005 (date de valeur) que sous réserve d'encaissement, il apparaît que la Caisse d'Epargne a manqué à son obligation d'information et de conseil en permettant à son client d'effectuer un retrait en espèces de 5.500 euros le 27 octobre 2005 alors que son compte était à cette date débiteur en raison de la contre-passation du chèque au débit pour 7.900 euros (date de valeur 26 octobre 2005) et que l'intéressé ne bénéficiait d'aucune autorisation de découvert.
Attendu que la Caisse d'Epargne qui en sa qualité de professionnel connaissait nécessairement ce type de fraude très répandu et n'a pas alerté son client sur la possibilité qu'il soit victime d'une escroquerie, a manqué à son obligation de mise en garde"
La responsabilité de la banque est retenue.
10 juin 2010 - Cour d'appel de Rouen
Un internaute propose à la vente son véhicule sur internet au prix de 8600€. Il entre en contact avec un acheteur domicilié au Royaume-Uni qui lui adresse un chèque de banque d'un montant de 13.000€ comprenant 4.400€ pour les frais de transport et de livraison. Le 11 décembre 2006, le chèque était encaissé. Le 15 décembre 2006, il débitait de son compte la somme de 4.400 € pour la verser au pseudo-transporteur via Western Union.
Pour la Cour d'appel de Rouen :
"Un établissement bancaire est tenu d'une obligation de vigilance ; qu'à ce titre, elle doit vérifier la régularité formelle d'un chèque remis à l'encaissement.
(...)
Qu'il n'est pas établi que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel soit adhérente de l'Association Française de Banques qui aurait alerté ses adhérents sur des escroqueries effectuées au moyen de chèques de banque de la Bank of Ireland et ait été destinataire des informations du même ordre diffusées par le CCF ; que de façon pertinente, le premier juge a relevé qu'il s'agissait, concernant le CCF d'une escroquerie spécifique à cet organisme bancaire ;
(...)
Le particulier n'a pas caractérisé de manquement de la banque à son obligation de vigilance, son préjudice résultant de sa propre imprudence"
La responsabilité de la banque n'est pas retenue.
4 novembre 2010 - Cour d'appel de Pau
Une internaute entre en contact avec une certaine Jennifer Smith qui se présente comme propriétaire d'une compagnie textile à Londres ayant besoin de trouver quelqu'un susceptible d'encaisser pour son compte le paiement de ses clients européens. Ainsi, l'internaute encaissait les chèques, se conservait une commission de 10% et renvoyait l'argent restant à Jennifer Smith par Western Union. Le 2 mai 2007, elle remet un premier chèque de 7000 € émis par Bank of Scotland. Le 24 mai, elle procède au retrait de 6300 €. Le 18 juin, elle est informée du fait que le chèque était un faux.
Pour la Cour d'appel de Pau :
"En tout état de cause, le banquier n'a pas à s'immiscer dans la gestion des affaires de son client et Madame X n'a pas indiqué au banquier les conditions dans lesquelles le chèque lui avait été remis. Il ressort des échanges entre Madame X et Mademoiselle SMITH, sur le net que Madame X a accepté de procéder à cette transaction sans demander aucune garantie, elle n'a pris aucun renseignement sur son interlocuteur et sur la société de textile. Elle ne s'est pas inquiétée lorsque son interlocuteur qui habitait normalement aux Etats-Unis lui a demandé d'expédier le mandat au Nigéria. Aucune faute ne peut être reprochée à la banque.
(...)
Madame X indique que la banque n'a pas respecté le délai de l'article L.131-49 du code monétaire et financier et qu'elle a procédé à une contre passation abusive en procédant plus d'un mois et demi après la remise du chèque à la contre passation du chèque litigieux. Or, le chèque en cause n'a pas été émis en France et il n'était pas payable en France. Cet article n'est pas applicable à l'espèce. Il n'existe pas de délais d'encaissement particuliers pour les chèques payables à l'étranger."
La responsabilité de la banque n'est pas retenue.
8 novembre 2010 - Cour d'appel de Colmar
Le 7 mai 2007, un internaute déposait un chèque de 5.500€ sur son compte bancaire et procédait à divers retraits pour procéder à des virements via Western Union. Par la suite, le chèque s'avéra être un faux.
Pour la Cour d'appel de Colmar :
"Si la banque a l'obligation de vérifier la régularité formelle du chèque remis à l'encaissement, elle ne peut se substituer à ses clients pour leur interdire de disposer des fonds avant que le compte soit crédité.
(...)
Ses conclusions démontrent qu'elle a fait preuve d'une grande naïveté en acceptant d'adresser des fonds par l'intermédiaire de Western Union alors que les conséquences de ce mode de paiement sont immédiates. La seule identité du bénéficiaire du virement suffisait à la rendre méfiante. Son correspondant par internet disait se nommer Nicholas Ellis alors que le virement a été effectué au nom de Marcus Smith. La Caisse d'Epargne n'avait pas le pouvoir de lui interdire de disposer des fonds avant l'encaissement du chèque. Si ce type d'escroquerie apparaît fréquent, l'appelante ne peut faire de comparaison avec d'autres banques françaises car le chèque était tiré sur une banque existant réellement".
La responsabilité de la banque n'est pas retenue.
Et en ce qui concerne la responsabilité de la Banque Postale ou de Western Union ?
26 avril 2010 - Cour d'appel de Douai
Une personne adresse via Western Union de l'argent à une connaissance située au Royaume-Uni. Il apparaît que les sommes sont retirées par une personne, n'étant pas le bénéficiaire légitime.
Pour la Cour d'appel de Douai :
"Les parties sont donc liées par un contrat de dépôt tel que définit par les articles 1921 et 1937 du code civil. En application de ces textes, la Banque Postale a l'obligation de rendre identiquement le chose qu'elle a reçue, à celui qui a été indiqué pour la recevoir, et elle reste tenue de son obligation envers son client qui lui a confié les fonds, même si elle n'a commis aucune faute, sauf à démontrer pour s'exonérer de sa responsabilité, que le déposant a commis une faute.
(...)
Dans ces conditions, en l'absence de toute faute prouvée du déposant, la Banque Postale ne s'exonère pas de sa responsabilité en tant dépositaire des fonds dont son correspondant s'est défait sur présentation d'un faux bénéficiaire et sans justifier avoir effectué les vérifications d'identité indispensables".
La responsabilité de la banque est retenue.
8 juillet 2010 - Cour d'appel de Rennes
Un internaute décide d'acheter un véhicule sur internet et son choix s'arrête sur une Audi au prix de 13.900€. Le 18 février 2005, il fait un premier virement bancaire d'un montant de 4320€ au propriétaire du véhicule. Le 22 février 2005, il adresse la somme de 10.080€ par l'intermédiaire de Western Union à une de ses connaissances. Or, les sommes sont retirées sans l'intervention de ladite connaissance. En effet, le vendeur avait obtenu une copie des bordereaux Western Union. Le véhicule ne sera jamais livré.
Pour la Cour d'appel de Rennes :
"Le contrat passé entre la Banque Postale et Monsieur X consiste en un dépôt aux fins de transfert de fonds et remise à un destinataire demeurant à l'étranger. Et par application des articles 1932 et 1937 du code civil, le dépositaire est tenu de restituer à l'identique la chose déposée, à celui qui la lui a confiée ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait ou à celui qui a été indiqué pour la recevoir.
En vertu de ces textes, la Banque Postale reste tenue de son obligation de restitution envers le client qui lui a confié les fonds, même si elle n'a commis aucune faute, sauf à établir la faute du déposant ou d'un préposé de celui-ci. Elle se trouve tenue par ailleurs d'une obligation de moyens pour vérifier ou faire vérifier par son partenaire l'identité du bénéficiaire de la remise des fonds.
(...)
La fourniture par Monsieur X des renseignements figurant sur le bordereau d'envoi n'établit pas en elle-même la volonté de contourner les règles conventionnelles, mais elle a permis par contre la rédaction et la présentation d'un bordereau de réception portant toutes les mentions nécessaires à la remise des fonds.
Il reste que la Banque Postale en tant que dépositaire se trouve tenue d'assurer la remise des fonds, par son partenaire, au bénéficiaire désigné par l'expéditeur, en procédant à la vérification de son identité. La carte d'identité présentée n'est certainement pas celle de Monsieur Y et le contrôle de concordance entre l'identité du bénéficiaire et celle du porteur de la carte d'identité présentée n'a manifestement pas été effectué.
L'imprudence fautive de Monsieur X mais aussi la négligence fautive de la Banque Postale ont contribué à la remise de fonds litigieuse, chacune des parties engageant pour moitié sa responsabilité"
La responsabilité de la banque est retenue partiellement.
Que retenir de toutes ces décisions ? Il apparaît clairement que le juge est de plus en plus réticent à retenir une quelconque responsabilité de la banque. Si la banque est tenue à une obligation d'information et de conseil, elle reste également tenue à une obligation de non ingérence dans les affaires du titulaire du compte. Néanmoins, au niveau de l'outil utilisé pour procéder au virement litigieux, il apparaît que les rares juges qui ont été amenés à statuer sur le sujet ont retenu la responsabilité de l'outil de transfert en ce qu'il a manqué à l'obligation de vérifier que le légitime destinataire des fonds était bien la personne se présentant au guichet.
Sources :
CA Besançon, 05/05/2010, Anthony X c/ SA Caisse d'Epargne de Franche-Comté (inédit)
CA Paris, 06/05/2010, Société Générale c/ Rita X (inédit)
CA Aix-en-Provence, 06/05/2010, Bernard X c/ SA Caisse d'Epargne de Prévoyance de Côte d'Azur (inédit)
CA Rouen, 10/06/2010, Benjamin X c/ Caisse régionale du Crédit agricole mutuel de Normadie Seine (inédit)
CA Pau, 04/11/2010, Véronique X c/ Caisse régionale du Crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne (inédit)
CA Colmar, 08/11/2010, Marie-Claire X c/ Caisse d'Epargne et de Prévoyance d'Alsace (inédit)
CA Douai, 26/04/2010, SA Banque Postale c/ Cindy X (inédit)
CA Rennes, 08/07/2010, SA Banque Postale c/ Bruno X (inédit)