mercredi 23 février 2011

Usage non autorisé de la marque DIVX : 350.000 euros de dommages et intérêts

La société américaine DIVX a déposé le 20 juin 2003 la marque française verbale "DIVX" dans les classes relatives, notamment, aux appareils destinés à l'enregistrement, la transmission ou la retransmission du son ou des images ou aux logiciels.

La société a développé un codec (permettant de compresser les fichiers vidéo et de les décompresser afin de permettre sa lecture par un lecteur de CD ou DVD) avec sa propre technologie : le fameux codec DivX. En conséquence, un DVD encodé avec le codec DIVX devra être utilisé dans un lecteur DVD doté du décodeur DIVX.

La société DivX a donc mis en place un système de licence : seuls les fabricants licenciés sont autorisés, moyennant finance, à équiper leurs lecteurs du codec DIVX et à y apposer le label DIVX.

En mai 2006, elle fait constater par huissier et par l'APP que la société AKAI, distribuée en France par la société DEMSA, propose des lecteurs DVD, ensembles home cinéma et chaînes Hi-FI sans inclure le codec mais en faisant figurer le logo DIVX. Elle décide donc d'agir en justice à l'encontre du fabricant et de son distributeur français sur le terrain de la contrefaçon.

En première instance, la société DIVX obtient gain de cause et se voit attribuer, à titre de provision, 200.000 euros de dommages et intérêts. Les sociétés condamnées décidèrent de faire appel.

Devant la Cour d'appel, les sociétés condamnées tentent de faire juger que la marque "DIVX" "constituait dès avant le 20 juin 2003, date du dépôt de la marque, la désignation usuelle et générique de tout format de compression / décompression de fichiers vidéo et, par extension, de tout support ou matériel de lecture compatible avec ce format".

Les juges parisiens relèvent, au contraire que :
"Le codec de la société DIVX, pionnière dans le domaine de la compression / décompression des fichiers vidéo, était très bien implanté en 2003, (alors) que l'on trouvait cependant sur le marché, à cette date, des codecs commercialisés par des sociétés concurrentes telles que REAL NETWORKS, MICROSOFT, APPLE et répondant à des dénominations différentes telles que MPEG-2, REAL, QUICK TIME ;
(...)
que le terme DIVX visait toujours les produits de la société éponyme, soit le codec en particulier soit plus généralement l'ensemble des produits issus de la technologie de compression/ décompression des fichiers vidéo mise au point par cette société, et qu'en aucun cas, ainsi que l'a exactement relevé le tribunal, le terme DIVX n'était utilisé pour désigner les produits des sociétés concurrentes ;
(...)
le signe attaqué n'était pas à la date du dépôt de la marque la dénomination nécessaire, générique ou usuelle des produits couverts par l'enregistrement et qu'il était apte, par voie de conséquence, à garantir la fonction d'indication d'origine de la marque en permettant au consommateur de distinguer les produits de la société DIVX des produits identiques ou similaires distribués par des sociétés concurrentes"
N'arrivant à démontrer que le terme DIVX avait, dès son origine, un caractère générique, les sociétés appelantes ont tenté de démontrer que ce terme aurait perdu son caractère distinctif au travers de l'usage. La Cour d'appel de Paris rejette l'argument. Elle relève, au contraire que :
"au terme de l'analyse à laquelle la cour s'est livrée de l'ensemble des pièces versées aux débats, en particulier des extraits de la presse écrite généraliste ou économique et de sites internet spécialisés dans la haute technologie, que le tribunal a pertinemment retenu par des motifs exacts et suffisants que la cour adopte, que les sociétés appelantes, pas plus qu'elles n'ont pu le faire au moment du dépôt, ne démontrent que le signe DIVX soit devenu, après le dépôt de la marque, la désignation dans le langage courant du codec et des produits qui lui sont associés"
Sur le fond, les juges estiment que la société AKAI et son distributeur ont commis des actes de contrefaçon :
"le signe DIVX est, en l'espèce, apposé sur des appareils AKAI qui mettent en oeuvre une technologie de compression / décompression des fichiers vidéo différente de celle développée par la société DIVX et que, en particulier, ces appareils ne sont pas équipés du codec DIVX, qu'il est par ailleurs établi ainsi qu'il résulte des développements qui précèdent, que le terme DIVX ne constitue pas la désignation nécessaire, générique ou usuelle du codec, que, par voie de conséquence, les sociétés appelantes ne sont pas fondées à se prétendre contraintes d'apposer le signe DIVX sur leurs produits en tant que référence nécessaire pour indiquer au public que ses produits sont en mesure de lire les formats encodés avec le logiciel DIVX alors que, enfin, elles ne démontrent en rien en quoi elles auraient pris les mesures nécessaires pour prévenir un risque de confusion dans l'esprit du public qui serait enclin à croire que ses produits mettent en oeuvre la technologie DIVX".
Au final, les deux sociétés sont condamnées à payer à la société DivX 350.000 euros à titre de dommages et intérêts et à 50.000 euros au titre de l'article 700 CPC.

Source : CA Paris, 12/01/2011, SAS Demsa, Akai Sales PTE Ltd c/ Société DIVX Inc. (inédit)

lundi 21 février 2011

"Please RT" ou le droit de réponse appliqué aux tweets

En début de semaine, à un moment où les esprits ne sont pas encore bien réveillés, il est toujours intéressant de vouloir faire un peu de gymnastique intellectuelle. L'histoire du jour est simple : peut-on exercer un droit de réponse sur Twitter ?

Twitter, tout le monde le connaît. Le fameux réseau de communication utilisant des "statuts" de moins de 140 caractères. Les personnes inscrites y publient leurs dernières informations, envoient des messages à d'autres ou "retweettent" et donc, rediffusent, les messages d'autres utilisateurs de tweetter. A un moment, cela peut déraper. Cela s'est vu à plusieurs reprises. Des fausses annonces, des messages violents, etc.

Si l'on se place sur le terrain législatif, on pourrait s'intéresser à la manière dont on pourrait faire usage de l'article 6.IV de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN). Cet article institue, tout simplement, un droit de réponse en ligne. L'article prévoit cela :
IV.-Toute personne nommée ou désignée dans un service de communication au public en ligne dispose d'un droit de réponse, sans préjudice des demandes de correction ou de suppression du message qu'elle peut adresser au service.
La demande d'exercice du droit de réponse est adressée au directeur de la publication ou, lorsque la personne éditant à titre non professionnel a conservé l'anonymat, à la personne mentionnée au 2 du I qui la transmet sans délai au directeur de la publication. Elle est présentée au plus tard dans un délai de trois mois à compter de la mise à disposition du public du message justifiant cette demande.
Le directeur de la publication est tenu d'insérer dans les trois jours de leur réception les réponses de toute personne nommée ou désignée dans le service de communication au public en ligne sous peine d'une amende de 3 750 Euros, sans préjudice des autres peines et dommages-intérêts auxquels l'article pourrait donner lieu.
Les conditions d'insertion de la réponse sont celles prévues par l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 précitée. La réponse sera toujours gratuite.
Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent IV.
En résumé, toute personne citée sur un service de communication au public en ligne, c'est à dire sur un site internet, peut demander à exercer son droit de réponse. Il est adressé soit à l'éditeur du contenu, soit à l'hébergeur. Et l'éditeur du contenu a 3 jours, sous peine de sanction pénale, pour insérer ledit droit de réponse.

Un décret du 24 octobre 2007 est venu préciser les conditions d'exercice de ce droit. La réponse prend la forme d'un message limité à la taille du message initial et doit être mise à la disposition du public dans des conditions similaires au message original. Enfin, la réponse est "soit publiée à la suite du message en cause, soit accessible à partir de celui-ci".

Et en matière de tweets alors ? Comment faire ? Dès lors qu'un utilisateur rédige dans sa timeline un message public (c'est à dire que la timeline s'apparente à une communication au public en ligne et non, au regard de la communauté d'intérêt liant le titulaire du compte et ses followers, une correspondance privée) et visant une personne nommée (ou désignée par le biais de son nom d'utilisateur), cette dernière est en droit d'exiger un droit de réponse.

La personne désignée peut donc exiger que le titulaire du compte publie cette réponse au même endroit (donc, sous la forme d'un tweet également) avec le même nombre de caractères. Le point délicat demeurera l'obligation de lier le message d'origine au droit de réponse.

En effet, compte tenu de l'impossibilité d'associer directement deux messages dans sa Timeline (sauf sous la forme d'un lien mais limitant alors le nombre de caractères disponibles pour le message en réponse), on peut  imaginer que cette obligation sera difficilement respectée.

Une autre solution consisterait alors à la personne dénommée de répondre directement au tweet incriminé et de demander à l'auteur du tweet incriminé de le retweetter et ainsi rediffuser la réponse à l'ensemble de ses followers. L'intérêt, pour la personne dénommée, est de conserver la maîtrise du contenu de la réponse et ainsi de permettre sa diffusion auprès de tous les followers de l'auteur du message d'origine. Le "Please RT" trouverait alors un usage juridique .. unique !

La limite à cet exercice demeure également les nombreux "retweets" que le message initial a pu connaître. Néanmoins, dès lors que le tweet initial a été volontairement retweetté, la personne dénommée serait légitime à contacter chacun des auteurs de retweets afin d'obtenir de leur part l'insertion du droit de réponse tant désiré.

Un exercice de fiction juridique mais qui mériterait, sans nul doute, d'être mis en oeuvre. Juste pour permettre aux nombreux twitteurs juridiques de faire quelques tweets. Et dans ce cas là, n'oubliez pas un "cc @btabaka".

samedi 19 février 2011

Seule l'HADOPI peut faire usage de la marque HADOPI

L'affaire avait été révélée au début du mois de janvier 2010 par plusieurs sites internet et l'AFP. Un particulier avait déposé six mois avant le Gouvernement la marque "Hadopi" à l'INPI. En effet, avec la marque déposée le 19 mai 2009, il souhaitait développer sa propre plate-forme musicale. Seulement, l'INPI décida d'annuler sa marque. Le dépositaire décida donc de saisir la justice.

En pratique, le particulier a déposé, le 19 mai 2009, auprès de l'INPI, une demande d'enregistrement de la marque verbale HADOPI pour désigner certains produits et services des classes 35, 38 et 45 (notamment publicité en ligne sur un réseau informatique, fourniture d'accès à un réseau d'informatique mondial, services de messagerie électronique, location d'accès à des réseaux d'informatique mondiaux, mais également agences matrimoniales, pompes funèbres, service de crémation, établissement d'horoscope...).

Le 30 avril 2010, le Directeur de l'INPI a rejeté, sur le fondement des articles L 712-7 b) et L 711-3 b) et c) du code de la propriété intellectuelle, la demande d'enregistrement de la marque en considérant que "le signe HADOPI était contraire à l'ordre public et était de nature à tromper le public sur la nature des produits et services visés dans la demande d'enregistrement".

Le particulier décida de former un recours contre cette décision. Il expliqua dans son mémoire soutient qu'il "n'existe pas de trouble à l'ordre public dès lors que le signe HADOPI « n'est pas un sigle légalement consacré », la désignation usuelle de la Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la Protection des Droits sur Internet sous l'acronyme HADOPI n'a pas de caractère officiel et la promulgation de la loi N° 2009-669 du 12 juin 2009 créant la Haute Autorité est postérieure à la demande d'enregistrement de la marque".

En outre, il indiqua qu'au jour du dépôt, "le signe était disponible, la Haute Autorité ne pouvant faire, antérieurement à la loi, un usage public du signe HADOPI" et "qu'il n'existe aucun risque de confusion dans l'esprit du public qui ne peut être amené à croire à une filiation entre la Haute Autorité et des produits ou services visés dans sa demande d'enregistrement de marque".

De son côté le représentant de l'INPI expliqua que le "vocable HADOPI, acronyme pour Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la Protection des Droits sur Internet est le « nom usuel » sous lequel la Haute Autorité a été connue d'un large public, avant même sa création par la loi. (...) Que pour un public de consommateurs, le signe HADOPI évoque ou suggère l'autorité publique investie de plusieurs missions de protection de droits en matière d'Internet et que son utilisation est donc de nature à tromper le public sur « une « qualité essentielle des services en cause » en leur prêtant une nature officielle ou un caractère officiel" et que "l'enregistrement à titre de marque du signe HADOPI au profit de l'État n'est pas critiquable dans la mesure où c'est l'autorité publique qui dépose une demande d'enregistrement portant sur un signe suggérant un caractère officiel des services ou produits considérés".

Interrogée, l'HADOPI a indiqué de son côté que :
*le signe HADOPI, qui est l'acronyme usuel de la Haute Autorité, a fait l'objet d'une large diffusion avant la demande d'enregistrement de Monsieur Renaud X, cette diffusion étant opérée notamment par de très nombreux articles de presse écrite tant généraliste que spécialisée.
*Le caractère trompeur du signe déposé par Monsieur Renaud X en ce qu'il suggère un caractère officiel aux services ou produits fait que le signe déposé à titre de marque est contraire à l'ordre public, le public pouvant croire, abusivement, que les services ou produits émanent de la Haute Autorité.
*Le signe HADOPI pouvait faire l'objet d'un dépôt de marque par l'autorité publique éponyme chargée par la loi de missions, notamment celle de labellisation d'accès à Internet et qu'il était donc de son intérêt de se réserver l'utilisation du vocable HADOPI, qui permet au public d'internautes de l'identifier à l'occasion des actions qu'elle doit mener dans le cadre de ses missions légales.

De son côté, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence dans son arrêt rendu le 5 janvier 2011 indique que :
Attendu qu'il est suffisamment établi qu'avant la promulgation de la loi N° 2009-669 du 12 juin 2009 « favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet » un très large public a été familiarisé avec l'appellation HADOPI qu'il rattachait à la loi HADOPI en cours d'élaboration, destinée à organiser la protection des droits de propriété intellectuelle sur Internet et à créer une Autorité de régulation ; que tous les médias (d'abondants éléments de presse écrite étant produits à titre d'illustration) se sont faits l'écho du « débat de société » qui a eu lieu à l'occasion de l'élaboration de ce texte de loi ; que la loi a créé une autorité publique indépendante, appelée la « Haute Autorité » à laquelle a été confiée notamment une mission de « régulation et de veille dans le domaine des mesures techniques de protection et d'identification des 'uvres et des objets protégés par un droit d'auteur ou par un droit voisin » ;
(...)
le signe HADOPI choisi par Monsieur Renaud X à titre de marque pour désigner différents produits et services est de nature à tromper le public sur la nature et/ou la qualité des produits et services visés dans sa demande d'enregistrement ; que dans l'esprit du très large public qui a été soumis au « débat », relayé abondamment par les médias, sur la nécessité ou non d'une protection des droits d'auteur sur Internet, le signe HADOPI bien avant la promulgation de la HADOPI évoquait pour un très large public la mise en place par l'État d'une autorité de régulation ; qu'il s'ensuit que le signe HADOPI qui est déposé à titre de marque par Monsieur Renaud X, mais qui était rattaché de manière étroite à un dispositif étatique, est de nature à induire en erreur un public d'attention moyenne (d'abord lecteur /auditeur, puis consommateur) ; qu'il lui était directement suggéré que les produits et services portant la marque HADOPI relèvent ou émanent, d'une manière quelconque, du dispositif « officiel », peu important que ce dernier ait été alors en voie de création ; que le signe HADOPI déposé par Monsieur Renaud X à titre de marque créait une confusion certaine avec la Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la Protection des Droits sur Internet ; que Monsieur le Directeur de l'Institut National de la Propriété Industrielle était donc fondé sur le seul fondement de l'article L 711-3 c) du code de la propriété intellectuelle a rejeté la demande d'enregistrement de Monsieur Renaud X ; que le signe HADOPI ne pouvait, le 19 mai 2009, être adopté en tant que marque dès lors qu'il était de nature à tromper le public sur la qualité de tous les produits et services visés dans la demande en ce qu'il laissait croire à leur possible rattachement à un dispositif légal, dont la mise en place était alors imminente"

La Cour d'appel confirme donc la décision du Directeur de l'INPI rejettant la demande d'inscription de la marque HADOPI. Seule l'HADOPI est en mesure de faire usage du terme HADOPI

Source : CA Aix-en-Provence, 05/01/2011, Renaud X représenté par Me Emmanuel Pierrat c/ INPI, Monsieur le Procureur général près de la Cour d'appel et Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la Protection des droits sur Internet (HADOPI) représentée par Me Fabienne Fajgenbaum.