mardi 3 janvier 2006

Responsabilité de plein droit : un premier jugement déjà contredit par une cour d'appel !

Il fallait s'y attendre. Le premier jugement relatif à l'application de la responsabilité de plein droit commence à se répandre sur la toile mondiale. En quelques phrases relevées par Laure Marino sur son blog, le juge de proximité de Dijon indiquait que la preuve "du défaut de fourniture du service par un professionnel engageant sa responsabilité de plein droit est donc rapportée" dès lors que le "consommateur" (à savoir l'association UFC21) n'avait plus de connexion internet suite à l'écrasement de sa ligne téléphonique.

Avec cette décision, de nombreux internautes ont sans doute eu la tentation de sortir les derniers cotillons prévus pour le nouvel an. Le reste de champagne pouvait commencer à couler dans les verres.

Cela n'était sans compter sur un autre arrêt, rendu lui le 4 novembre 2005 et également inédit .. et non pas rendu par une juridiction de proximité, mais par la Cour d'appel de Paris. En l'espèce, un internaute avait souscrit à l'offre TV+Téléphonie+Internet de Free. Lors de la souscription, le système lui avait indiqué que son numéro de téléphone était éligible au dégroupage total. Seulement, l'information (communiquée à Free par France Telecom) s'est avérée fausse, l'internaute n'ayant pas la possibilité de bénéficier de la TV.

Résultat, il décida de saisir la justice (de proximité) qui lui donna raison (comme à Dijon). Mieux, le juge de proximité ordonnait à Free de lui fournir les chaînes de télévision (ce qui était matériellement impossible car sous la maîtrise technique de France Telecom).

Résultat, Free décida de faire appel et gagna. Les juges considèrent que le FAI justifie d'une cause exonératoire de responsabilité, celle prévue à l'article L. 121-20-3, alinéa 2. Plus précisément, les juges relèvent que :
- "le répartiteur en question est la propriété exclusive de France Telecom ; qu'en conséquence, l'effectivité de cette opération ne dépend que de France Telecom, tiers au contrat" ;
- "Free jusitfie que les informations données par France Telecom étaient erronées au regard de la configuration effective sur le bâtiment en queston" ;
- "cette difficulté, indépendante de la volonté de l'appelante, est irrésistible dans la mesure où une mesure alternative permettant de délivrer le service TV via la boucle local n'est disponible".

En conséquence, la CA de Paris, après avoir relevé que Free "justifie avoir effectué les diligences lui incombant" et comme il n'a "aucune emprise sur les opérations techniques totalement dépendantes de la compétence de France Telecom qui garde la maîtrise de ses lignes" justifie "d'une cause exonératoire de responsabilité". CQFD

En clair, les juges d'appel soulèvent à plusieurs reprises le rôle central joué par France Telecom. En sa qualité de propriétaire des répartiteur et de maître technique des équipements et des opérations de dégroupage, on ne peut imputer à Free (même par l'intermédiaire de la responsabilité de plein droit) une quelconque responsabilité.

En pratique, cette décision efface d'un revers de la main tous les premiers bienfaits qui avaient pu être imaginés à partir de la décision du Juge de proximité de Dijon ...

PS : un commentaire croisé de ces deux décisions paraîtra prochainement.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

En l'état, la contradiction invoquée est tout sauf certaine.

En effet, le manquement relevé dans l'affaire CA PAris est un manquement au stade de l'information du consommateur (possibilité d'accès à la TV) l'exécution de la prestation (la fourniture du service de TV) étant quant-à-elle radicalement impossible.

Dans ces circonstances, l'entrée en condamnation pouvait sembler peu soutenable, surtout dans le cadre d'une demande d'exécution forcée, la force majeure sur le terrain de l'exécution semblant clairement acquise.

La situation dans le cas de J Prox. Dijon est très différente: il y a défaillance technique dans le cadre d'une fourniture, techniquement possible, avec contestation portant sur l'auteur de la défaillance: Free ou son sous traitant FT. Dans ce cas très différent, où FT agit clairement comme sous-traitant de FREE, il semblera que le fait de FT ne peut être considéré comme une cause étrangère exonératoire pour FREE, ne serait-ce que parce que le fait de FT se confond alors avec celui de son mandant FREE.

Par ailleurs, il conviendrait de rappeler que, dans ses dispositions extérieures au code de la consommation, la LCEN restreint encore le champ du fait du tiers susceptible de constituer une cause extérieure en parlant de "tiers étranger à la fourniture de la prestation", ce qui semble nécessairement exclure FT en ce qui concerne les opérations de cablage.

Dans tous les cas, par ailleurs, il semble un peu fort de prétendre que la responsabilité de plein droit se trouverait écartée par CA PAris, puisqu'on reste ici dans le domaine de la loi, avec une recherche jurisprudentielle de la teneur de la cause exonératoire prévue par le législateur, et devant être appréciée in concreto selon les cas d'espèce.

Cette recherche de l'existence d'une cause exonératoire (et non, à l'inverse, de l'existence d'une faute de FREE) n'a de sens précisément QUE dans le contexte d'une responsabilité de plein droit.

Sur le plan des principes, on rappellera finalement que le texte de la LCEN est ici tiré de celui appliqué depuis de nombreuses années aux agences de voyages, à l'égard desquelles la jurisprudence de la Cour de Cassation a clairement imposé la plus grande sévérité sur le terrain de l'appréciation de la cause étrangère exonératoire, la haute juridiction refusant notamment d'exclure la responsabilité de l'agent de voyage en cas d'accident juridiquement imputable à la faute d'un sous traitant incontournable (p.ex. compagnie aérienne unique).

A l'arrivée, en logique juridique, on peut donc légitimement penser que les cas dans lesquels le FAI pourra s'abriter derrière la faute de FT pour échapper à sa responsabilité de plein droit seront davantage l'exception que la règle.

Benoit Tabaka a dit…

Merci de votre commentaire.

Concernant la décision de Dijon, je ne suis pas totalement votre interprétation. Le problème rencontré par l'internaute vient, sans doute - à la lecture du jugement - de ce que l'on appelle le "slamming", c'est à dire à l'écrasement d'une ligne dégroupée par un autre opérateur procédant au dégroupage.

En pratique, on ne se situe plus sur le terrain de l'erreur commise par FT suite à la demande dégroupage de Free, mais bien postérieurement à l'exécution de ce contrat de sous-traitance.

Est-on encore donc dans la fourniture de la prestation dès lors que les fait sont imputables certes à un acteur du contrat, mais postérieurement à l'exécution de la prestation qui lui était demandée.

Tout ceci sans compter sur le fait que lors d'un slamming, le seul acteur ayant la maîtrise demeure France Telecom, je trouve totalement dispropotionné d'imputer cette responsabilité à un acteur qui n'est pas en mesure de choisir un autre prestataire non défaillant.

Anonyme a dit…

Je prends note de votre observation que les faits de l'espèce dans J. prox. Dijon, relèveraient d'un cas de "slamming".

Il me parait incontestable que le slamming, c-a-d la substitution intempestive, au niveau du câblage, d'un opérateur (FT ou un autre) à l'opérateur légitime constitue bien le fait d'un tiers au sens de la LCEN et de L 121 20 3 C.cons. On admettra par ailleurs son caractère essentiellement irrésistible et imprévisible, même s'il est en réalité banal et commun.

En revanche, dès lors que nous nous situons bien sur le terrain de la responsabilité de plein droit et de l'obligation de résultat, il ne faut pas négliger le fait que le slamming ne revêt le caractère d'évènement insurmontable que pour la période brève nécessaire au rétablissement de la connexion. En effet, pour rétablir celle-ci, il suffit au fournisseur légitime de passer une nouvelle commande de cablage auprès de FT sans pouvoir s'abriter derrière la faute initiale éventuelle de celle-ci.

Cette commande d'un nouveau câblage sera certes onéreuse pour le FAI, mais on sait que même l'extrême onérosité n'est pas équipolente à la Force Majeure en droit civil français.

Ainsi, si pour une raison quelconque le rétablissement du câblage n'intervient pas très rapidement, le slamming ayant perdu son caractère d'insurmontabilité, le FAI légitime, bien que non responsable de la déconnexion initiale, sera néanmoins logiquement tenu responsable à raison de l'absence de reconnexion sans délai à compter, au moins, de l'instant où il s'est vu officiellement informé de l'existence d'une déconnexion.

Ainsi, dans le contexte d'une absence de reconnexion excédant quelques heures/jours à compter de l'information officielle du FAI constitué de mauvaise foi, l'existence d'un débat entre ce FAI et FT - ou un FAI tiers - sur la cause originelle de la déconnexion sera indifférente au consommateur et, notamment, devrait être d'incidence juridique nulle sen ce qui concerne la responsabilité de ce FAI à l'égard de son client.

Dans le cas de J. prox Dijon, il a été noté que FREE avait été mise en demeure de rétablir la connexion et on se situerait donc bien dans ce type de cas de figure d'une carence dans la reconnexion APRES LA DISPARITION de l'évènement de force majeure éventuel ayant causé la défaillance de la prestation, ou du moins, après que cet évènement ait cessé d'être insurmontable.

Si l'on suppose que le code de la consommation était bien applicable aux relations entre l'UFC et FREE (ce qui reste en revanche à démontrer) la décision du juge de Dijon paraîtra donc juridiquement fondée.

Anonyme a dit…

A propos du cablage par FT, FT est le sous-traitant unique (pas d'autres choix possibles) donc je vois pas trop pourquoi cela ne serai pas exonératoire. A moins que FT ne soit pas considéré par la justice comme le seul fournisseur de ligne téléphonique ?

L'agence de voyage a elle le choix de sous traitant.

dans le cas de slamming, le "tiers étranger à la fourniture de la prestation" rentre en compte puisque la ligne est ecrasé par un FAI tier totalement étranger à la prestation