mardi 26 février 2013

L'usage non abusif d'internet ne peut donner lieu à licenciement

Depuis que la jurisprudence a reconnu la possibilité pour l'employeur de fixer des limites dans l'usage par les salariés de l'outil informatique, plusieurs litiges ont pu surgir permettant, décision après décision, d'affiner la ligne de séparation entre les comportements autorisés et interdits par les magistrats.


En l'espèce, un salarié avait été engagé par la SAS NTS 2000 au mois de novembre 2002. En novembre 2009, elle fait l'objet d'un licenciement pour cause réelle et sérieuse. En effet, il est reproché au salarié de s'être connectée, durant ses heures de travail, sur des sites Internet n'ayant aucun

lien direct avec les travaux qui lui étaient confiés. Pour l'employeur, "ces temps de connexion ont duré plusieurs heures, à ces temps sont venus s'ajouter les temps de consultation des résultats de ces recherches" avant de préciser que "les connexions établies sur le site Internet pendant votre temps de travail grâce aux outils mis à votre disposition par l'entreprise pour l'exécution de votre travail sont présumées avoir un caractère professionnel".

Le salarié décida de saisir le Conseil de Prud'hommes de Périgueux qui, par jugement du 14 mars 2011,  estimait que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamna l'employeur à 30.000 euros de dommages et intérêts. L'employeur décida de faire appel.

La Cour d'appel de Bordeaux a été appelé à examiné deux aspects : la possibilité de contrôler l'usage d'internet au sein de l'entreprise et l'abus (ou non) dans cet usage d'internet.



Tout d'abord, les magistrats relèvent que les relevés de connexion à internet ont été :
"collectés suite à un contrôle 'manuel' opéré a posteriori par l'employeur, et que (le salarié), au même titre que tous les employés de l'entreprise, avait connaissance par l'article 17 du règlement intérieur de l'entreprise du 20 mai 2009 (soumis au préalable au comité d'entreprise et à l'inspection du travail) que l'usage d'Internet au sein de l'entreprise était strictement limité, cet article stipulant que : "tout usage ou consultation de sites Internet sans rapport avec l'exercice professionnel pourra entraîner des sanctions disciplinaires".
De surcroit, la jurisprudence considère que les connexions établies par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumées avoir un caractère professionnel, en sorte que l'employeur est en droit de les rechercher aux fins de les identifier, hors la présence de l'intéressé, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels".
Dans ces conditions, les juges estiment que "l'employeur n'a pas obtenu ces fichiers par des moyens déloyaux ni contraires aux préconisations de la CNIL".

Ensuite, la Cour d'appel de Bordeaux a été appelée à apprécier l'usage abusif de l'outil informatique par le salarié. Elle relève que :
L'article L 1121-1du code du travail dispose que : nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas proportionnées au but recherché.
La CNIL dans son rapport de 2004 rappelle qu'une interdiction générale et absolue de toute utilisation d'Internet à des fins autres que professionnelle ne paraît pas réaliste dans une société de l'information et de la communication et semble de plus disproportionnée au regard des textes applicables et de leur interprétation par la jurisprudence.
L'utilisation sur les lieux du travail des outils informatiques à des fins autres que professionnelles est généralement tolérée. Elle doit rester raisonnable et ne doit pas affecter la sécurité des réseaux ou la productivité de l'entreprise ou de l'administration concernée.
En l'espèce, l'employeur reprochait à la salariée d'avoir consulté des sites Internet à caractère non professionnel durant 596 minutes (9,9 heures) entre le 14 septembre le 28 octobre 2009. De son côté, le salarié contestait cette durée et affirmait que l'usage n'avait pas excédé 283 minutes (4,4 heures) entre le 14 septembre et le 28 octobre 2009.

Les magistrats tranchent et estiment que :
Le temps de consultation retenu dans la lettre de licenciement a manifestement été majoré par l'employeur, dans la mesure où il a été calculé à partir de la première jusqu'à la dernière connexion sans prendre en compte la durée des interruptions, entre les temps de consultations. Celui, reconnu par le salarié parait minoré dans la mesure ou elle n'inclut pas dans ce temps la consultation des sites juridiques en matière sociale, et ce, bien que cette matière ne relève pas de ses attributions. 
Les juges retiennent donc que le salarié s'est connecté pendant une durée de 6 heures et 30 minutes, "ce qui équivaut à plus d'une heure de consultation par semaine de 30 heures de travail (temps partiel)". Cette durée de consultation sans être négligeable ne peut toutefois être considérée comme déraisonnable et donc réellement abusive.

Au-delà de la périodicité et du temps passé, c'est aussi le contenu des sites visités qui ont attiré l'attention de l'employeur. Mais en l'espèce, le salarié consultait des sites ... juridiques.

Les magistrats relèvent que :
Or, la lecture du fichier produit par l'employeur révèle que les sites juridiques visités par la salariée, sont des sites consultables par n'importe quel internaute, s'agissant de sites juridiques en matière de droit du travail, accessibles à tous, qui n'affectent en rien la sécurité ni la confidentialité de l'entreprise. La consultation de ces sites en ligne n'est pas plus répréhensible que pourrait l'être la consultation de livres de droit social, au sein de l'entreprise. 
En conséquence, la Cour d'appel de Bordeaux considère que les faits reprochés au salarié sont "certes réels" mais "insuffisants pour justifier un licenciement" qui est "disproportionné au regard des faits reprochés, dans la mesure où le salarié avait eu un comportement particulièrement exemplaire (...) Il n'a pas cherché à avoir accès à des données confidentielles, propres à nuire à l'entreprise".

Elle confirme la condamnation de l'entreprise à 30.000 euros de dommages et intérêts.

Source: CA Bordeaux, 15 janvier 2013, SAS NTS 2000 c/ X, RG 11/02062

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