lundi 29 novembre 2010

Achats de biens d'occasion : peut-on faire concilier CtoC et livre de police ?

Commençons par le début, et notamment, par le rappel d'un article du Code pénal. Aux termes de l'article L. 321-7 du Code pénal :
"Est puni de six mois d'emprisonnement et de 30000 euros d'amende le fait, par une personne dont l'activité professionnelle comporte la vente d'objets mobiliers usagés ou acquis à des personnes autres que celles qui les fabriquent ou en font le commerce, d'omettre, y compris par négligence, de tenir jour par jour, dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, un registre contenant une description des objets acquis ou détenus en vue de la vente ou de l'échange et permettant l'identification de ces objets ainsi que celle des personnes qui les ont vendus ou apportés à l'échange".
Le Code pénal impose donc une obligation à tous les vendeurs professionnels proposant à la vente des objets mobiliers usagés ou acquis auprès de particuliers de tenir ce que l'on appelle communément un livre de police. L'absence de tenue d'un tel registre constitue une infraction pénale.

Le contenu du livre de police est fixé à l'article R.321-3 du Code pénal :
"Le registre d'objets mobiliers prévu au premier alinéa de l'article 321-7 doit comporter, outre la description des objets acquis ou détenus en vue de la vente ou de l'échange :
1° Les nom, prénoms, qualité et domicile de chaque personne qui a vendu, apporté à l'échange ou remis en dépôt en vue de la vente un ou plusieurs objets, ainsi que la nature, le numéro et la date de délivrance de la pièce d'identité produite par la personne physique qui a réalisé la vente, l'échange ou le dépôt, avec l'indication de l'autorité qui l'a établie ;
2° Lorsqu'il s'agit d'une personne morale, la dénomination et le siège de celle-ci ainsi que les nom, prénoms, qualité et domicile du représentant de la personne morale qui a effectué l'opération pour son compte, avec les références de la pièce d'identité produite."
Problème, de plus en plus de professionnels - spécialisés dans la revente de produits d'occasion - achètent leurs biens non plus dans le monde physique mais sur des plates-formes de commerce électronique ou des sites de petites annonces. Alors qu'auparavant, ils pouvaient aisément remplir leurs obligations, notamment celle tenant au relevé du numéro de pièce d'identité du vendeur, le développement de l'acquisition à distance auprès de particuliers rend ce respect de plus en plus difficile.Face à ce risque juridique pesant sur de nombreux professionnels, un syndicat professionnel (SNCAO) a interrogé le Ministère de l'intérieur sur la manière dont ces professionnels achetant des produits à des particuliers sur internet pouvaient respecter les prescriptions relatives à la tenue du livre de police. La réponse apportée par le Ministère est la suivante :
"Monsieur le Président,
Vous avez appelé mon attention sur les difficultés que connaît une personne qui souhaite créer un commerce de biens d'occasion, en s'approvisionnant sur l'Internet, pour satisfaire à la réglementation qui s'impose au revendeur d'objets usagés.
II ne m'appartient pas de me prononcer sur les conditions d'achat des objets d'occasion qui ne constituent qu'une modalité de vente à distance. Il est exact, en revanche que ce mode d'acquisition ne permet pas toujours aux professionnels de la vente des objets usagés de remplir l'obligation de recueillir scrupuleusement, sur le registre d'objets mobiliers, les renseignements visés au 1° de l'article R 321-3 du Code Pénal concernant notamment, la nature, le numéro et la date de délivrance de la pièce d'identité produite par la personne physique qui a réalisé la vente, l'échange ou le dépôt, avec l'indication de l'autorité qui l'a établie. Ces mesures visent à assurer la régularité des échanges et la prévention de la fraude et du recel. II peut s'avérer impossible, dans la pratique, de vérifier les renseignements prévus à l'article R 321-3 précité, notamment lorsque les achats sont effectués par l'intermédiaire des sites de ventes aux enchères Cette opération est cependant nécessaire, a fortiori lorsqu'il est envisagé de revendre les objets acquis sous forme de pièces détachées.
II convient donc, en l'absence de dispositions particulières concernant l'achat a distance, d'exiger ces renseignements lors de la transaction effectuée en ligne, comme pour tout autre achat. Il importe, en conséquence, de solliciter du vendeur la production de son titre d'identité par transmission de la copie du document. Lorsqu'il ne peut être procédé au recueil de ces renseignements, les mentions inscrites au registre d'objets mobiliers relatives aux achats effectués par internet ne répondent pas aux exigences de traçabilité des marchandises d'occasion.
La production des éléments justificatifs de l'identité du vendeur, conformément aux prescriptions réglementaires, vise à attester de la sincérité et de la loyauté des transactions. Elle doit permettre leur contrôle par les autorités publiques. Le respect de ces mesures est de nature à répondre aux attentes d'égalité de traitement entre les professionnels concernés, indépendamment de leur mode d'approvisionnement.
Ces modalités de contrôle ne répondent plus, cependant, aux conditions d'achat des objets usagés par l'internet, par les professionnels du secteur concerné. Il apparaît nécessaire d'aménager les procédures d'enregistrement des opérations commerciales portant sur ces marchandises. Une telle mesure implique d'engager une réflexion sur l'adaptation des procédures de contrôle des transactions dématérialisées. Dans cette hypothèse, il appartiendra au Ministère de la Justice d'aménager le Code Pénal en conséquence."
Ainsi, le Ministère de l'Intérieur rappelle l'obligation pour les revendeurs d'objets d'occasion de recueillir les informations relatives à l'identité des vendeurs particuliers y compris lorsque les revendeurs obtiennent ces produits par l'intermédiaire de plates-formes de commerce électronique ou de sites de petites annonces. Prenant néanmoins conscience de la difficulté, le Ministère de l'Intérieur lance la balle dans le camp du Ministère de la Justice, l'invitant à aménager le Code pénal pour tenir compte de ces contraintes. La révision du cadre légal et réglementaire encadrant le livre de police, en raison notamment des nouvelles technologies, avait aussi été recommandé par le Forum des droits sur l'internet dans sa recommandation du 22 juillet 2004 relative au courtage en ligne de biens culturels.

En attendant, l'épée de Damoclès demeure au-dessus de la tête des revendeurs d'objets mobiliers usagés. Face au développement de ce phénomène de CtoB (consumer to business), le SNCAO invite ses membres à "conserver une preuve de la demande qu'ils ont faite au vendeur particulier de leur communiquer sa pièce d'identité (par mail, par exemple)".

Mais il est évident que cette question est plus complexe. En effet, autant les vendeurs s'étant déclarés comme des "professionnels" sont identifiés comme tels sur les diverses plates-formes, autant les acheteurs - particuliers ou professionnels - ne connaissent aucune distinction. De même, exiger de tous les vendeurs particuliers de fournir une copie de leur pièce d'identité à tous les acheteurs, semble à ce jour illusoire. Une belle réflexion à lancer donc.

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