mercredi 28 mars 2007

Copie privée : une décision qui blanchit les sites étrangers et fera (sans doute) boguer le régime français

La Cour d'appel de Paris vient de rendre un arrêt très intéressant dans le litige opposant la société Rue Du Commerce à plusieurs sites étrangers à propos de la vente de supports numériques d'enregistrement.

La Société Rue Du Commerce avait, en effet, décidé de saisir la justice à l'encontre de plusieurs de ses concurrents étrangers en concurrence déloyale. Le motif : le fait que ces sites proposent des CD et des DVD vierges à des prix inégalables car non grevés de la "redevance pour copie privée".

En première instance, le Tribunal de commerce de Bobigny lui donnait raison en estimant que
"en ne prévenant pas les acquéreurs des conditions particulières auxquelles sont soumis ces produits en France, [les sociétés étrangères] les exposent à commettre l'infraction de contrefaçon ou de recel de contrefaçon, d'autre part, créent l'illusion d'une baisse de prix d'annonce des produits troublant ainsi les cours du marché et entraînant un détournement de clientèle au profit des sociétés implantées en France".
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Les juges ordonnaient donc aux sites internet de modifier l'information du consommateur pour lui rappeler (sur le site, dans les offres et plus généralement dans toute publicité) qu'il était redevable du montant de cette rémunération pour copie privée.

En référé, la Cour d'appel de Paris confirmait la mesure d'exécution en estimant que la mesure ordonnée n'était pas "manifestement excessive" et qu'il n'existait pas "d'impossibilité technique de s'y soumettre".

Allant plus loin, la Cour d'appel rendait un nouvel arrêt le 25 janvier 2007 procédant à la liquidation de l'astreinte prononcée en première instance. Elle relevait que
"les sociétés intimées ne sont pas fondées à invoquer l'impossibilité matérielle d'insérer la mention de la "taxe SACEM" dans leur publicité et leurs offres d'achat en raison de l'exiguïté des formats des supports publicitaires" et que "si l'injonction faite ne peut concerner que les sociétés intimées personnellement et non pas les moteurs de recherche tels que GOOGLE, les sites qui informent les consommateurs en ligne ou qui comparent les prix, tiers par rapport au jugement intervenu, il ne peut être sérieusement soutenu que les intimées sont sans pouvoirs sur ces sites, dès lors que ceux-ci ne font que reprendre les informations sur les prix qu'ils ont trouvées sur les sites des sociétés concernées". En effet, "si les intimées s'étaient conformées à l'injonction reçue, les sites comparateurs qui, comme elles l'exposent elles-mêmes, réactualisent leurs sites sans leur intervention, n'auraient pu que donner le prix avec mention de la taxe SACEM".

Dernier épisode : la Cour d'appel de Paris vient de donner son appréciation sur le fond de l'affaire. En appel de la décision du Tribunal de commerce de Bobigny, les juges parisiens décident de s'écarter de la décision rendue en première instance. Ils considèrent que les sociétés étrangères ne sont pas redevables de la taxe SACEM et ne sont pas soumises
"dans l'exercice de leur activité de vente à distance, à une obligation légale d'information de leurs clients sur les incidences de cette taxe sur les prix pratiqués ainsi que sur la nécessité de la payer"

Ainsi la Cour d'appel de Paris revient sur le principe fixé en première instance : les sites étrangers ne sont pas tenus d'informer le consommateur sur son obligation de procéder au paiement de la redevance pour copie privée lors de l'acquisition intra-communautaire d'un support numérique d'enregistrement. Les juges semblent donc refaire immerger le principe (illusoire ?) selon lequel "nul n'est censé ignorer la loi".

En pratique, cette position est intéressante car elle délivre les sites étrangers de toute obligation d'information complète à destination du consommateur. Au delà de la taxe SACEM, cela pourrait également viser les droits de douane ou la TVA dont devrait s'acquitter un consommateur achetant un produit à un vendeur basé en dehors de l'Union européenne et ayant développé une activité économique visant spécifiquement le public français (par l'intermédiaire de plates-formes de mise en relation par exemple).

Mais surtout, on peut se demander si cette décision ne va pas à l'encontre de l'article 19 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique qui prévoit que "
toute personne qui exerce l'activité définie à l'article 14 doit, même en l'absence d'offre de contrat, dès lors qu'elle mentionne un prix, indiquer celui-ci de manière claire et non ambiguë, et notamment si les taxes et les frais de livraison sont inclus"

Ce texte vise toute mention d'un prix, c'est à dire sur un site internet mais également dans des publicités. Pourquoi en l'espèce, la cour d'appel n'a pas fait usage de cet article qui a lui seul pouvait justifier le maintien de cette mesure d'exécution.

Mais au-delà du débat pratique, la Cour d'appel de Paris - sans doute sans le vouloir - a jeté également un vrai pavé dans une marre déjà bien agitée. En effet, dans le corps de leur décision, les juges ont reconnu que le traitement inégalitaire entre pays de l'Union européenne
"n'est pas sans incidence sur les prix de vente des produits en cause offerts aux consommateurs leur commandant des CD ou des DVD vierges dans des pays comme la France dont la législation impose à leurs concurrents de s'acquitter d'une telle taxe"

Ainsi, les juges mettent en avant le fait que la rémunération pour copie privée peut avoir pour effet de perturber le marché communautaire et la libre concurrence.

Si la décision peut apparaître à court terme comme une défaite pour la société Rue du Commerce, l'arrêt de la Cour d'appel risque de pousser encore plus les autorités communautaires à remettre en cause le régime français et ainsi répondre aux attentes exprimées par le cyber-marchand français. Comme le dit l'adage, "On a perdu une bataille, mais on n'a pas perdu la guerre".

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