Source : Zcopley sur flickr (CC)
Au cours de l'été 2011, le débat a commencé à ressurgir. Crise économique, défiance vis-à-vis des systèmes financiers ont été autant de facteurs qui ont poussé des internautes à acquérir ces devises électroniques. Néanmoins, le système repose sur plusieurs éléments : l'attribution de bitcoins "gratuits", le change entre l'euro et le dollar en bitcoins et la possibilité d'acheter des produits sur certains sites en payant en bitcoins. Echanges marchands, transactions commerciales, change sont autant de pratiques qui nécessitent une chose, in fine, un compte bancaire.
Et tel était le sujet que les juges français ont eu à gérer.
Le 15 mai 2009, une société (Macaraja) ouvre un compte bancaire auprès du Crédit industriel et commercial (CIC). Le 10 mai 2011, le CIC décide de résilier, sans motif et moyennant un préavis de 2 mois, le compte bancaire. La société Macaraja se voit doit remettre un chèque d'un montant de 1.323.000 €, correspondant au solde du compte le jour de sa clôture le 16 juillet 2011.
Macaraja fait alors diverses démarches pour ouvrir un compte bancaire. Elle prend contact avec Barclays, Crédit agricole Ile de France, Société générale, BNP Paribas, HSBC et Bred qui ne donnent pas suite à sa demande d'ouverture de compte. Macaraja décide alors de se retourner vers la Banque de France afin que celle-ci désigne un établissement pour gérer son compte bancaire, en application du "droit au compte".
Le 22 juillet 2011, la Banque de France désigne la CIC comme établissement bancaire. Or, le CIC refuse l'ouverture du compte. Macaraja décide alors de saisir en référé d'heure à heure l'établissement bancaire. Par une ordonnance du 11 août 2011, le Tribunal de commerce de Créteil a enjoint au CIC d'ouvrir un compte de dépôt à la société Macaraja dans le respect du Code monétaire et financier, sous astreinte de 500 € par jour à compter du 2ème jour suivant la signification de l'ordonnance.
Le CIC décida de faire appel de l'ordonnance en mettant en avant un élément : l'existence d'un trouble manifestement illicite de la part de la société Macaraja qui exercerait une activité bancaire non déclarée, celle d'intermédiaire en bitcoins.
Devant la Cour d'appel de Paris, le CIC expose que :
"Cette société exerce une activité d'intermédiaire dans le commerce des bitcoins qui n'est pas conforme à son objet social, à savoir la création et le développement de logiciels; qu'il souligne que les très nombreux mouvements au crédit du compte ( 1001 transactions du 01/01/2011 au 31/05/2011, 3266 du 01/06/2011 au 14/06/2001) sont constitués exclusivement par des virements reçus de personnes physiques apparemment pour l'achat de bitcoins et que les mouvements en débit correspondent au paiement de bitcoins par des vendeurs sous forme de virements internet dans toute la zone euro; qu'analysant le bitcoin comme une devise et donc une monnaie électronique, il allègue que le fait pour la société Macaraja de percevoir une commission sur chaque opération participe du commerce de l'argent et doit être considéré comme une opération de banque qui n'est permise qu'aux professionnels sous le contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel qui établit et publie la liste des intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement ( IOBSP), liste sur laquelle ne figure pas la société Macaraja; que selon lui, l'intimée qui explique que, dans le cadre du contrat la liant à la société Tibanne, elle apporte une garantie de sécurité aux clients européens qui réalisent des transactions avec cette société, encaisse le montant déposé par les acheteurs de bitcoins, reverse aux vendeurs le montant de la transaction, se rémunère sur les opérations effectuées et permet aux clients de faire l'économie de frais de change, exerce une activité d'intermédiaire financier pour laquelle elle n'est pas agréée ni autorisée"
En réplique, Macaraja indique que :
"le bitcoin, 'résultat d'un calcul complexe effectué par un programme engendrant une chaîne cryptée', n'est pas une monnaie électronique mais un bien immatériel comme tout logiciel; qu'elle indique que depuis peu de temps elle exerce une activité d'intermédiaire de commerce pour une société gérant un site d'échanges de bitcoins sur internet; qu'elle précise que, dans le cadre de l'accord commercial qu'elle a conclu avec la société Tibanne, elle n'accepte que des opérations relatives aux échanges de bitcoins, qu'à aucun moment un client du site ou de la société Tibanne ne peut effectuer ou initier un paiement sur son compte bancaire et qu'elle ne fournit aucun service de paiement au public"
Devant ces arguments, la Cour d'appel de Paris butte en touche. Elle relève tout d'abord que "la société Macaraja a obtenu de la Banque de France l'ouverture d'un compte dans les livres du CIC, par application de l'article L 312-1 du code monétaire et financier qui a organisé une procédure dite du 'droit au compte' permettant à toute personne physique ou morale, domiciliée en France, dépourvue d'un compte de dépôt, d'obtenir l'ouverture d'un tel compte".
En ce qui concerne le débat autour de la nature juridique du bitcoin, les magistrats estiment que : "les contestations soulevées par le CIC relatives à l'activité exercée par la société Macaraja, à laquelle elle reproche de pratiquer des opérations de banque ou d'intermédiaire financier, ne peuvent être appréciés qu'en déterminant la nature même des bitcoins, ce qui ne relève pas de l'appréciation du juge des référés, mais de celle du juge du fond"
En clair, il ne revient pas au juge des référés de rentrer dans un débat sur la nature juridique du bitcoin. Gageons que la Banque de France a sans doute, de son côté et au regard de l'importance prise par ce sujet, lancé une réflexion afin de déterminer la qualification juridique exacte du bitcoin.
En cas de qualification en "monnaie", cela reviendrait à remettre en cause l'absence de régulation du bitcoin. Des experts indiquaient récemment au Monde la difficulté de mettre en oeuvre une régulation des échanges basés sur le bitcoin. Seulement, c'était sans doute, sans oublier le passage par un "compte bancaire" véritable dont la gestion demeure elle soumise à une forte régulation.
Source : CA Paris, Pôle 1, Chambre 1, n° 11/15269, SA Crédit industriel et commercial c/ SAS Macaraja
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire