Depuis quelques jours, un débat agite la blogosphère : faut-il publier dès 18h les sondages "sortis des urnes" relatif au premier tour de l'élection présidentielle ? Si certains blogueurs souhaitent outre passer l'interdiction, d'autres en appellent à un esprit civique et demande de respecter l'heure fatidique des 20h.
Dans un communiqué publié hier, le Forum des droits sur l'internet a condamné ce souhait de certains blogueurs. Il rappelle même les sanctions que ceux-ci encourent :
- La méconnaissance de l’article 11 de la loi du 19 juillet 1977 interdisant toute publication de sondage le jour du scrutin est punie de 75 000 € d’amende délictuelle ;
- La méconnaissance de l'article L. 52-2 du Code électoral interdisant toute diffusion de résultats avant la fermeture du dernier bureau de vote (en Métropole) est punie de 3 750 € d'amende.
La Commission nationale de contrôle de la campagne en vue de l'élection présidentielle (CNCCEP) a indiqué qu'une équipe serait chargée de traquer spécifiquement les blogueurs et autres auteurs de sites qui violeraient cette interdiction.
Plusieurs éléments peuvent être apportés au débat.
Tout d'abord, certains blogueurs menacent d'aller se délocaliser à l'étranger afin de contourner la loi française et ceci en faisant appel à un hébergeur étranger. Bien évidemment cette solution sera insuffisante vu que l'auteur de l'infraction demeure un français résidant en France. Sa responsabilité pénale pourra être engagée.
Ensuite, on peut se demander pourquoi la CNCCEP ne fait pas appel à une disposition (pourtant connue !) de la LCEN : l'article 6.I.2 qui encadre la responsabilité des prestataires techniques (que l'on qualifie communément "d'hébergeurs"). En effet, il suffirait d'adresser à ceux-ci une lettre "générique" leur mentionnant le fait que la publication de sondages "sortie des urnes" avant la fermeture du dernier bureau de vote est une infraction pénale - et donc "manifestement illicite".
Les prestataires prendraient ensuite leurs responsabilités en décidant (ou non) de mettre en oeuvre des outils techniques empêchant la publication de telles informations avant 20h.
On pourrait rétorquer que cette lettre ne pourrait pas être considérée comme une "notification" régulière. Or, je doute qu'un juge estime qu'une information aussi précise (et non discutable juridiquement) ainsi adressée ne puisse être ensuite interprétée comme constituant une "connaissance" du caractère illicite de contenus par le prestataire.
Enfin, le dernier argument qui, hélas, n'est pas mis en avant est le réel risque que peut présenter cette publication anticipée. En effet, en cas de résultats serrés, le Conseil constitutionnel pourrait décider d'invalider le premier tour du scrutin au motif que la sincérité du scrutin a été altérée par cette publication anticipée.
Cette problématique s'était déjà posée en 2002 lorsque des internautes appelés à voter avec des gants. Après quelques articles, ces appels avaient été retirés pour les mêmes raisons : il s'agissait d'un risque fort sur la validité du second tour.
Cette année, le risque est encore plus présent :
- l'internet est très consulté ;
- le fait que l'on peut avoir accès à des sondages "sortis d'urnes" sur certains blogs commence à être connu ;
- le résultat du premier tour semble très incertain et plutôt serré
- et surtout, la période 18h/20h est souvent une période charnière puisque c'est le moment où de nombreux citoyens se présentent dans les bureaux pour exprimer leur vote - souvent au retour de congés.
Résultat : un cocktail d'élément qui nécessairement influera sur le résultat de l'élection.
1 commentaire:
Tout d'abord, la question de l'annulation du scrutin ne se pose qu'en cas de perturbation du vote telle qu'elle pourrait remettre en cause la sincérité du scrutin. Si l'écart entre le 2e et le 3e est grand, la diffusion par Morandini de rumeurs à 18h sera considérée comme un phénomène préjudiciable mais insuffisant pour contester la validité de l'élection.
Ensuite, sur le fond, le texte de la LCEN n'est pas aussi clair que cela. L'hébergeur serait simplement tenu d'agir "promptement". Autant dire que s'il n'agit pas dimanche à 18h mais à 20h, la responsabilité de l'hébergeur sera difficile à engager. Et pour respecter les formes, il faudrait encore alerter l'auteur des contenus litigieux qui aura tout le loisir de migrer ses contenus sur un serveur étranger. Certes, il pourra être poursuivi mais le contenu sera néanmoins accessible en ligne.
Le référé / l'ordonnance sur requête serait une solution envisageable. La procédure peut être préparée à l'avance pour que l'ordonnance sorte à 18h et après, on exécute.
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