samedi 27 août 2011

La taxe sur les sodas, une mesure qui fera pschitt ?

Parmi le train de mesures d'austérité annoncé par le Premier ministre François Fillon le 24 août 2011, une nouvelle taxe a commencé à défrayer la chronique. La taxe dite "sodas". Dans la fiche de présentation de la mesure, le Gouvernement estime qu'il est "nécessaire de freiner le développement de l’obésité qui fragilise la santé des personnes concernées et qui représentera à terme un coût important pour la sécurité sociale".

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Source : Lawrence Whittemore sur flickr (CC)

Dans ces conditions, la mesure souhaite taxer les boissons sucrées afin de réduire leur consommation. Juridiquement, cette taxe consistera en "une accise spécifique sur les boissons sucrées dont le taux sera aligné sur celui du vin". Selon les estimations de Bercy, elle devrait rapporter 120 millions d'euros.

A noter qu'elle n'aura pas vocation à s'appliquer aux "eaux, les jus de fruit (sans sucres ajoutés) et les produits contenant des édulcorants". Ainsi, Coca Light, Coca Zéro et Pepsi Max seront exclus du champ de ladite taxe.

Cette mesure a entraîné une réaction, plus que réservée, de la part du lobby de l'industrie alimentaire - ANIA en tête. L'Association nationale des industries agroalimentaires considère la mesure comme "scandaleuse" et "illogique".

A ce titre, un rapport d'information de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (OPES) en date du 5 octobre 2005 avait plutôt invité les pouvoirs publics à subventionner les produits à faible densité énergétique et forte valeur diététique plutôt que d'instaurer une "fat tax". Les parlementaires estimaient que "Ce mécanisme semble en effet plus efficace que le système consistant à taxer plus fortement les produits caloriques (la « fat tax ») et qui, au final, pénalise les acheteurs plus défavorisés".

Ils s'appuyaient notamment sur un rapport de l'INSERM qui concluait, à propos d'une taxation des produits gras ou sucrés, que "l'ensemble des effets potentiels est difficile à évaluer compte tenu du nombre très élevé de substituts à la disposition des consommateurs, et, pour la même raison, il est probable que des taxes sur un nombre restreint de produits auront des effets limités sur la prévalence de l'obésité".

Par la suite, un rapport de 2008 de l'IGAS et de l'IGF avaient fait diverses propositions au Gouvernement afin de taxer les boissons sucrées, de relever les taxes sur l'alcool voire la TVA sur certains produits. Face à une opposition des associations de consommateurs, le Gouvernement d'alors avait violemment taclé le rapport des deux administrations estimant que "Ce n'est pas un rapport de gouvernement. Cela reste un rapport d'experts, qui n'a aucune valeur de proposition, ni de fait établi".

Ainsi, l'idée d'une taxe sur les produits enrichis, et donc les sodas, n'est pas nouvelle. Ses effets sur la lutte contre l'obésité sont, au contraire, discutés. Or, s'il s'agit de financer des campagnes d'information, il faut garder à l'esprit que l'idée d'une taxe destiné à financer les programmes nutritionnels français et notamment le PNNS (Programme National Nutrition Santé) n'est pas nouvelle et pire .. existe déjà tout en étant contournée.

La taxe nutrition sur les messages publicitaires ...

Il faut pour cela remonter à l'année 2003 et à la discussion au Parlement du projet de loi relative à la politique de santé publique. A l'occasion de son examen en première lecture par le Sénat, la Chambre Haute vote, dans une logique de lutte contre l'obésité, un amendement ainsi rédigé :
"Toute publicité télévisuelle en faveur de produits alimentaires dans des programmes destinés à la jeunesse doit être assortie d'un message de caractère sanitaire rappelant les principes d'éducation diététique - diversité, modération - agréés par l'Institut national d'éducation et de prévention pour la santé.
A défaut, l'annonceur devra financer un temps de passage équivalent sur la même chaîne et dans les mêmes conditions horaires pour la diffusion d'un message d'information sanitaire sur la nutrition réalisé sous la responsabilité de l'Institut national d'éducation et de prévention pour la santé."

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Source : Alone de Kerekes Janos Csongor sur Flickr (CC)

La logique ici posée par les parlementaires, malgré l'avis défavorable du Gouvernement, est simple : chaque annonceur faisant la promotion de produits alimentaires doit insérer une mention "sanitaire" ou, à défaut, financer un spot publicitaire à caractère sanitaire.

Lors de l'examen à l'Assemblée nationale du texte, les députés vont plus loin. Pour eux :

"Tout annonceur d'une publicité télévisuelle pour des aliments, dont la composition nutritionnelle est susceptible de nuire à la santé des enfants ou des adolescents en cas de consommation excessive, doit financer la réalisation et la diffusion d'un message d'information nutritionnelle. Ce message est diffusé sur la même chaîne de télévision, dans les mêmes conditions d'horaires que le message publicitaire. Les différents annonceurs concernés peuvent, le cas échéant, se regrouper pour réaliser et diffuser un message d'information nutritionnelle commun."
Ainsi, pour les députés, le principe posé est celui d'une taxation des annonceurs, taxe destinée à financer les opérations de communication menées par l'INPES. Seulement, lors de l'examen au Sénat du texte, une version amendée (et qui deviendra la version définitive) est adoptée :
"Les messages publicitaires télévisés ou radiodiffusés en faveur de boissons avec ajouts de sucres, de sel ou d'édulcorants de synthèse et de produits alimentaires manufacturés, émis et diffusés à partir du territoire français et reçus sur ce territoire, doivent contenir une information à caractère sanitaire. La même obligation d'information s'impose aux actions de promotion de ces boissons et produits.
Les annonceurs peuvent déroger à cette obligation sous réserve du versement d'une contribution au profit de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé. Cette contribution est destinée à financer la réalisation et la diffusion d'actions d'information et d'éducation nutritionnelles, notamment dans les médias concernés ainsi qu'au travers d'actions locales."
Ainsi, les annonceurs sont dans l'obligation d'insérer des mentions sanitaires dans le cadre de leur communication. A défaut, ils devront s'acquitter d'une taxe d'un montant de 1,5% des sommes payées par les annonceurs aux régies. La loi est définitivement publiée le 11 août 2004. Le dispositif (figurant à l'article L.2133-1 du Code de santé publique) est par la suite modifié à plusieurs reprises afin de préciser la manière dont la contribution financière est perçue. Un dernier alinéa est néanmoins inséré à la fin de l'année 2004 imposant que cette mesure entre en vigueur "au plus tard le 1er janvier 2006".

Finalement, il faudra attendre un arrêté du 27 février 2007, publié au Journal officiel du 28 février 2007, pour compléter le cadre juridique et notamment fixer les mentions obligatoires et leur format (voir le guide de l'UDA).

Mais qui ne rapporte que quelques centaines de milliers d'euros

C'est donc, non pas le 1er janvier 2006, mais seulement le 1er mars 2007 que le dispositif entre en vigueur. Celui-ci a-t-il permis finalement à l'INPES de toucher un peu d'argent pour financer ses opérations de communication ?

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Source : m.a.r.c sur Flickr (cc)

Si l'on se penche dans les délibérations du Conseil d'administration de l'INPES, il est possible au travers de l'analyse des budgets primitifs et des comptes financiers d'évaluer ce que l'INPES attendait recevoir au titre de la "taxe nutrition" et le réel.


Ainsi, alors que l'INPES avait budgété 3.000.000€ de recettes en 2008 au titre de la taxe nutrition (avant de diviser par 10 cette estimation les années suivantes), c'est au total un peu plus de 1,5 millions d'€ qui ont été perçus par l'INPES au cours de ces 3 dernières années au titre de la taxe nutrition.

On est loin des budgets consacrés par l'INPES au titre de ses programmes d'information. Pour la seule année 2011, l'INPES a ainsi prévu d'engager près de 88 millions d'€ en campagnes diverses.

Finalement, ces montants relativement faibles proviennent-ils d'une baisse considérable des investissements publicitaires dans le secteur alimentaire ? A priori, non. Les chiffres publiés chaque année par l'Union des annonceurs montrent plutôt une croissance du montant des investissements médias dans le secteur de l'alimentation.


Ainsi, ce montant est passé de 1,8 milliards d'euros en 2008 à 2,4 milliards d'euros en 2010. Si la contribution financière avait été acquittée pour chaque publicité, l'INPES aurait pu obtenir environ 30 millions d'euros par an.

L'explication n'est donc pas à aller chercher au niveau des dépenses publicitaires. Mais plutôt dans l'option offerte par le Code de la santé publique. En effet, la contribution financière n'est due que si l'annonceur n'appose pas les messages sanitaires. Est-ce à dire que tous les annonceurs ont choisi la même voie. La réponse se trouve, notamment, dans une des lettres de l'ANIA adressée à ses membres. Réagissant à la publication de la loi, l'ANIA adressait ainsi ses recommandations :
"Afin de ne pas cautionner l’idée de taxation et de démontrer que l’industrie privilégie des mesures d’information et d’éducation, l’ANIA recommande aux entreprises d’apposer les messages sanitaires plutôt que de payer la taxe". CQFD.

Les résultats montrent que lesdites entreprises ont suivi ces consignes et ont préféré afficher les messages sanitaires plutôt que de reverser une contribution financière à l'INPES. A ce stade, aucune étude publiée n'a permis d'identifier l'impact (positif ou non) de ces messages sanitaires sur la santé des Français. Mais sans doute que cet impact devrait diminuer voire s'estomper avec le temps. L'une des mesures - toute relative bien évidemment - est par exemple une analyse de la "Trend" du site MangerBouger.fr (qui figure dans quasiment toutes les mentions sanitaires) sur Google Trends. Mis à part un pic en 2009, la courbe décroît progressivement.

A noter qu'aujourd'hui, et en application de l'article L. 137-24 du Code de la sécurité sociale (issu de la loi du 12 mai 2010 sur l'ouverture à la concurrence du secteur des jeux d'argent en ligne), l'INPES reçoit de la part des opérateurs de paris sportifs et autres casinos en ligne une contribution financière. Son montant s'est élevé à 4,4 millions d'euros pour la seule année 2010 (alors que l'ouverture a été effective avant l'été 2010). Elle devrait rapporter 5 millions d'euros en 2011 à l'INPES, soit le plafond fixé par la loi.

Donc, taxer les boissons sucrées en faveur de la lutte contre l'obésité. Sans doute une riche idée, mais qui repose sur le consommateur. Plutôt faudrait-il aussi évaluer le dispositif mis en oeuvre en 2007 et savoir si la contribution des annonceurs à la diffusion du message sanitaire doit continuer à passer par l'intermédiaire d'un simple message sanitaire ou, à terme, prendre la forme d'une participation financière plus systématique.

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