lundi 18 juillet 2011

L'Assemblée nationale a-t-elle bon goût de dématérialiser le titre restaurant ?

En ce 18 juillet 2011, la société Edenred - l'un des leaders mondiaux du fameux "titre restaurant" (ou ticket resto) - a publié ses résultats financiers pour le 1er semestre 2011. L'entreprise, issue du groupe Accor, affiche ainsi un chiffre d'affaire semestriel de plus de 500 millions d'euros avec une croissance de 9,8% sur cette période par rapport à la même période 2010.

Au total, au cours des six premiers mois de l'année, Edenred a émis pour plus de 7 milliards d'euros de titres (titres restaurants, chèque cadeaux, etc.) en France, Europe, et surtout en Amérique Latine qui représente plus de la moitié de leur marché. En France, c'est plus de 1,2 milliards d'euros de titres qui ont été émis au cours de ce premier trimestre, ce qui représente un tiers du marché européen pour Edenred.

En particulier, le communiqué de presse de la société relève que "L’activité Ticket Restaurant ® affiche de bonnes tendances, avec une croissance de l’activité de +4,2% en données comparables au deuxième trimestre, contre +2,9% au premier trimestre".

Finding Dinner in the Alleys of Kyoto
Source : Stuck in Customs sur Flickr (CC)

Une dématérialisation du titre restaurant ...

Pourquoi ainsi revenir sur les résultats financiers de ce grand groupe. Cela provient de la lecture de la version adoptée par la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale du projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs.

En effet, tout en bas de ce texte, on peut y lire un nouvel article adopté par la Commission des affaires économiques ainsi rédigé :
Article 10 undecies (nouveau)
Au 1° de l’article L. 3262-7 du code du travail, après les mots : « Les mentions », sont insérés les mots : « ou, lorsque ces titres sont stockés sous une forme électronique, y compris magnétique, les règles applicables au support de stockage et au dispositif de lecture de ce support ».
Que signifie cette disposition ? L'article L. 3262-7 du Code du travail renvoie à un décret le soin de fixer les mentions qui doivent figurer sur les titres restaurants émis au profit des salariés. La modification législative ainsi proposée souhaite, en outre, qu'un décret vienne fixer le règles relatives au stockage et à la lecture de titres restaurants sous forme électronique.

En clair, ce texte a vocation, par l'intermédiaire, d'un décret d'application à fixer les conditions de la dématérialisation des titres restaurants. Ainsi, demain ou après-demain, ce n'est plus le ticket resto classique que vous aurez entre les mains, mais une carte à puce ou une version totalement dématérialisée (bon d'achat pour commander en ligne, etc.).

Cette modification législative est intéressante. Tout d'abord car elle provient d'un amendement parlementaire déposé par le député Jean-Louis Léonard (sous le numéro CE92). Le parlementaire (auteur de rapports sur la modernisation des services touristiques - il avait été rapporteur d'un projet de loi - et siégeant au conseil d'administration d'ATOUT France aux côtés des dirigeants d'Air France ou ... Accor) donne à son amendement le bref exposé des motifs suivant :
"Le cadre juridique de ce titre a été instauré dans le cadre d'une ordonnance n°67-830 du 27 septembre 1967. Il n'a pas été revu jusqu'à ce jour, s'agissant de la nature du support matériel de ce titre qui demeure un document papier.Le présent amendement a pour objet d'ouvrir une option de dématérialisation, de manière à améliorer encore les conditions d'utilisations de ce titre spécial, pour en renforcer l'attractivité".
Attractivité ? En effet, la dématérialisation des titres restaurants (mais également des chèques voyages, etc.) semble être source de croissance. Dans son plan 2016, Edenred indique que sa stratégie "est fondée sur un objectif de forte croissance du volume d’émission et des flux de trésorerie. Trois piliers permettront sa mise en œuvre : 1) L’innovation, 2) La dématérialisation (passage du support papier aux supports électroniques) et 3) La systématisation (le déploiement d’un succès local à l’ensemble des pays Edenred)".

Holsten's
Source : EJP Photos sur flickr (CC)

Qui n'attend pas les conclusions des travaux du Gouvernement

Cette attractivité, le Gouvernement l'avait récemment constaté. Lors d'une visite dans un Monoprix, la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Christine Lagarde - avait ainsi annoncé le 19 mai 2011 sa "décision de poursuivre le chantier de simplification et de modernisation du titre restaurant en lançant des travaux exploratoires sur les conditions de dématérialisation de ces titres. Ces travaux devront examiner comment l’utilisation de puces, de cartes ou de tout autre dispositif dématérialisé, peut conduire à un titre restaurant encore plus simple et moins coûteux pour les salariés et pour les entreprises".

Le dépôt et l'adoption par la Commission des affaires économiques de cet amendement sont-ils le signe d'une finalisation des "travaux préparatoires". Sans doute que non. La précipitation est à chercher ailleurs.

Pour de nombreux acteurs, la dématérialisation du titre restaurant est un enjeu économique. Ainsi dans une interview au Figaro du début de l'année 2011, pour le PDG d'Edenred, la dématérialisation devait avoir lieu "en 2012, certainement". Quant au président du Chèque déjeuner, "La dématérialisation totale nécessitera au moins cinq ans, mais d'ici à 2013, les titres dématérialisés pourraient commencer à se généraliser". Tous convenaient d'une chose : le besoin d'avoir une modification législative - protectrice du consommateur - afin de permettre cette dématérialisation.

Or, en 2012, des élections interviendront. Les travaux parlementaires s'arrêteront à compter du début de l'année prochaine pour reprendre en septembre 2012. Trop tard pour faire passer une réforme de cette nature. Sans doute que le présent projet de loi était le dernier véhicule législatif avant 2013 permettant aux acteurs économiques de faire passer cette modification législative, ceci sans attendre les conclusions des travaux préparatoires menés par le Ministère de l'économie.

Il fait peu de doute que cet article soit rejeté par l'Assemblée nationale ou le Sénat lors de la discussion du projet de loi. Espérons alors que lors de la préparation des textes réglementaires, les intérêts des consommateurs et des entreprises soient assurés afin d'obtenir la simplicité et l'économie annoncées.

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