jeudi 6 octobre 2005

Redevance pour copie privée : des sites étrangers condamnés à informer le consommateur

Voici une décision très intéressante communiquée par l'excellentissime Cédric Manara car elle aborde une problématique très forte du commerce électronique : les relations commerciales intracommunautaires.

En l'espèce, la Société Rue Du Commerce avait décidé de saisir la justice à l'encontre de plusieurs de ses concurrents étrangers en concurrence déloyale. Le motif : le fait que ces sites proposent des CD et des DVD vierges à des prix inégalables car non grevés de la "redevance pour copie privée". La solution mérite le détour.

Dans un jugement en date du 15 septembre 2005 (prochainement disponible sur Juriscom.net), le Tribunal de commerce de Bobigny a relevé qu'aux termes de l'article L. 311-4, "la rémunération prévue à l'article L. 311-3 est versée par le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires, au sens du 3º du I de l'article 256 bis du code général des impôts, de supports d'enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d'oeuvres, lors de la mise en circulation en France de ces supports".

Le passage au Code général des impôts, nous indique qu'"est considérée comme acquisition intracommunautaire l'obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d'un bien meuble corporel expédié ou transporté en France par le vendeur, par l'acquéreur ou pour leur compte, à destination de l'acquéreur à partir d'un autre Etat membre de la Communauté européenne".

En pratique, un consommateur qui achète un bien dans l'espèce communautaire réalise au sens de ces deux textes une acquisition intracommunautaire. En théorie donc, le consommateur est tenu de faire les démarches afin de s'acquitter de la redevance de copie privée. Encore faut-il qu'il en soit informé (même si nul n'est censé ignorer la loi).

Et c'est ce que relève le Tribunal : "en ne prévenant pas les acquéreurs des conditions particulières auxquelles sont soumis ces produits en France, [les sociétés étrangères] les exposent à commettre l'infraction de contrefaçon ou de recel de contrefaçon, d'autre part, créent l'illusion d'une baisse de prix d'annonce des produits troublant ainsi les cours du marché et entraînant un détournement de clientèle au profit des sociétés implantées en France".

Etant donné qu'il est "évident" qu'à partir du moment où la redevance n'est pas acquittée par le vendeur ou qu'il n'est pas fait mention de l'obligation pour le consommateur de l'acquitter, le prix des produits, quelque soit son mode de calcul, ne peut que bénéficier d'un avantage comparatif par rapport à celui affiché par tout cyber-commerçant établir en France.

Les juges enjoignent donc aux sociétés étrangères - et ceci sous astreinte de 200 euros par jour de retard, de "cesser toute forme de publicité sur offre de CD et DVD à destination du public français qui ne mentionnerait pas, de façon claire et précise, l'obligation pour l'acquéreur situé en France d'acquitter la rémunération pour copie privée et l'indication de son montant par produit". Par ailleurs, ces sites devront faire apposer une mention identique dans leurs conditions générales de vente.

Plusieurs constats peuvent être tirés de ce jugement.

Tout d'abord, les juges rappellent clairement l'obligation pour le consommateur, en cas d'acquisition intracommunautaire, de s'auto-déclarer auprès des organismes de collecte de la redevance pour copie privée sur les supports CD et DVD. Seulement, voici quelques mois, un petit test avait été réalisé (à savoir demander à l'un de ces organismes un formulaire permettant d'opérer une telle déclaration). Résultat, le seul élément communiqué était un formulaire destiné aux importateurs professionnels que le consommateur était bien dans l'impossibilité de remplir. Donc, la mise en oeuvre pratique de la mesure n'est sûrement pas immédiate.

Ensuite, les juges imposent, pour la première fois, à un site étranger des mentions complémentaires dans toute publicité opérée pour un produit. Une telle mesure inédite risque - sans nul doute - de donner quelques idées à d'autres marchands comme imposer aux cybermarchands étrangers de livrer des notices en français (ou d'indiquer qu'aucun mode d'emploi en français n'est envoyé) voire de mentionner que tel produit commercialisé (produits pharmaceutiques, etc.) est interdit sur le territoire français.

Cette décision fait, dans tous les cas, un écho assez intéressant avec l'article 17 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique qui pose un champ d'application large de la loi française en matière de commerce électronique.

Enfin, et à titre anecdotique, je m'arrêterai sur une phrase de ce jugement où l'on peut lire que cette absence d'information a pour effet "d'anesthésier la conscience du consommateur qui ne paye pas le montant de la rémunération pour copie privée". C'est effectivement le juge qui affirme cela mais en reprenant des propos tenus par un lecteur dans le forum de discussion de 01net. Une première sans doute !

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Etonnant !

en gros, la France impose une taxe, et c'est aux commerçants de faire le ménage au niveau européen ?

Anonyme a dit…

Une socièté exerçant son activité au Luxembourg, obeissant aux règlementations européennes et luxembourgeoises n'a pas à respecter une règlementation spécifique française concernant l'importateur. Cette décision du tribunal de commerce a une base légale très fragile. Je suis particulièrement intéressé de connaître la façon dont cette décision sera éxécutée. Rue du Commerce aurait été mieux inspirée de créer une filiale luxembourgeoise....

Anonyme a dit…

Cette décision est d'un absurde écoeurant! Depuis quand un pays a-t-il le pouvoir de faire exercer son droit hors de son territoire national?
Depuis quand le marcher-roi dont la règle stipule la libre circulation des biens et des personnes doit être freiné par ce genre de décision et empêcher justement ces transferts de bien?
Depuis quand le commerce est égalitaire? C'est tout le problème des Droits nationaux non uniformisés et quelquepart c'est pas plus mal...
La taxe Sacem n'a aucune base légale puisqu'elle [u]s'ajoute[/u] à la taxe sur les médias vierges (à l'époque VHS et K7 audio) prévue depuis 1985 d'après la Loi sur la copie privée ou "Loi Lang".
Plus sérieusement, la France aurait-elle pour ambition d'empêcher à ses ressortissants de consommer sur le marcher européen et de s'exclure ainsi encore davantage de la Communauté Européenne.
Après le coté exécution de cette décision est effectivement très intéressant.
En tout cas, encore un juge imbécile pour qui Internet = "courriels" et tout le reste "c'est mal" qui prend des décisions absurdes au profit des entreprises sans mesurer leur impact, preuve que la France est dirigée d'une manière ou d'une autre par le MEDEF, même le pouvoir judiciaire...

Je sens que les vacances en Allemagne, en Angleterre ou au Luxembourg vont connaitre un boom important sous peu à ce compte-là et que les coffres vont non seulement revenir plein de cigarettes ou d'alcool mais aussi de DVD et de CD... A quand les médias vierges dans les duty-free?

Anonyme a dit…

Bonjour

Je viens de passer plus d'une heure a chercher sur les sites de la sacem et du spedidam, le fameux formulaire pour déclarer les achats de CD et DVD a l'étranger.
Résultat: Pas de formulaire !
Si on veut respecter la loi, il faut vraiment être motivé !!